L'amélioration de la condition féminine fut la priorité du Souverain dès son intronisation. 25 ans plus tard, les femmes ont conquis plusieurs droits aux niveaux familial, professionnel et individuel. Une révolution selon la ministre de la Solidarité, de l'Insertion sociale et de la Famille, Aawatif Hayar, qui livre son témoignage sur 25 ans de conquêtes féminines sous le règne de SM le Roi. Entretien. * Comment voyez-vous le progrès des droits des femmes durant les 25 dernières années ?
Sous le leadership royal, le Maroc a incontestablement réalisé des progrès indéniables en matière des droits des femmes. Le ton fut donné dès les premiers jours du règne de SM le Roi que Dieu l'assiste avec le discours prononcé à l'occasion de l'anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple de 1999 dans lequel le Souverain avait insisté sur l'égalité entre les hommes et les femmes. À quoi s'ajoutent plusieurs discours qui rappelaient l'importance de l'accès des femmes à l'ensemble de leurs droits. Pendant vingt-cinq ans, nous avons assisté à des progrès qu'on aurait jamais imaginés, j'en cite la refonte du Code de la famille qui a promu les droits des femmes. Grâce à la réforme de 2004, la femme marocaine a acquis de nouveaux droits, dont le droit de transmettre la nationalité aux enfants, la tutelle matrimoniale, la responsabilité du foyer, la fin de la répudiation etc... Puis, il y a eu la Constitution de 2011 qui fut un progrès historique consacrant le principe de la parité entre les femmes et les hommes. Ce fut une avancée extraordinaire. Je peux vous citer une série d'autres progrès qui ont eu un impact sur la condition féminine, dont la loi 103.13 sur les violences faites aux femmes ainsi que l'ensemble des lois qui ont facilité la participation politique des femmes et leur représentativité dans les assemblées élues que ce soit au niveau local ou national. Force est de constater que nous avons maintenant 35% de représentativité féminine dans les conseils locaux au moment où plusieurs femmes président des Mairies de grande envergure comme c'est le cas à Casablanca, Rabat et Marrakech sans oublier que la région Guélmim Ouad Noun est présidée par une femme. Même au sein de la classe politique, la présence des femmes s'impose de plus en plus. Il suffit de voir que le PAM, l'un des partis principaux de la majorité, est dirigé par une direction collégiale coordonnée par Mme Mansouri. Aussi, Mme Mounib a été la première femme à diriger un parti politique. N'oublions pas également que le gouvernement auquel j'appartiens compte six femmes ayant des portefeuilles ministériels importants. Il s'agit, à mes yeux, de l'incarnation des avancées auxquelles nous avons assisté ces dernières années. SM le Roi, que Dieu le glorifie, porte cette préoccupation qui figure régulièrement dans ses discours. La femme est la moitiée de la société sans laquelle aucun pays ne peut aspirer au développement.
* En évoquant la Moudawana, vous faites partie de l'instance chargée de la révision du texte. Comment se sont déroulés ses travaux ?
À l'instar de la première réforme de la Moudawana, la nouvelle révision du Code de la famille a été menée grâce à l'impulsion royale. SM le Roi a appelé à initier ce chantier ambitieux dans le discours du Trône de 2022. C'est ainsi que s'est créée l'Instance chargée de la révision de la Moudawana auquel j'ai eu l'honneur de participer aux côtés du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, la présidence du Ministère public, le ministère de la Justice, et le Conseil supérieur des Oulémas et le Conseil national des Droits de l'Homme. Nous avons travaillé pendant plusieurs mois où nous avons pris soin d'écouter tous les représentants des Institutions, la Société civile, à savoir les associations féministes, les partis politiques, les syndicats, les représentants du patronat, les organisations professionnelles, les universités, les centres de recherche... Près de 1000 acteurs ont été auditionnés. Nous avons œuvré conformément au cadrage de SM le Roi. Puis, nous avons synthétisé les propositions que nous avons recueillies dans le rapport final. Comme vous savez, SM le Roi a saisi le Conseil supérieur des Oulémas pour solliciter leur avis d'un point de vue religieux.
"Concernant la nouvelle révision du Code de la famille, nous avons oeuvré conformément au cadrage de SM le Roi"
* Certes, il y a eu des progrès indéniables sur le plan politique et juridique, en est-il de même au niveau des mentalités en ce qui concerne les droits des femmes et la culture de l'égalité ?
Quand on travaille au niveau juridique en faisant voter les lois, on espère parvenir à faire changer les mentalités et les pratiques archaïques. Généralement, les sociétés manifestent souvent une certaine inertie ou parfois des résistances aux progrès lorsqu'il y a des changements. Là, en ce qui concerne le volet culturel, nous le plaçons au sommet de nos priorités. Je rappelle que le plan gouvernemental de l'égalité 2023-2026 comporte trois axes, dont celui intitulé "droits et valeurs", qui vise l'appropriation de la culture de l'égalité par la société et la promotion des valeurs athentiquement marocaines telles que la solidarité et l'entraide sociale au sein des familles de sorte à faire évoluer notre système de valeurs.
En ce qui concerne le ministère, nous agissons sur la famille puisque c'est là qu'on doit lutter contre les stéréotypes et les préjugés. Il faut veiller à accompagner les familles et veiller à ce que la socialisation des enfants dès leur plus jeune âge prenne en compte la culture de l'égalité. Pour ce faire, nous avons lancé plusieurs programmes, dont celui appelé "Jisr Al Ousra" grâce auquel nous avons pu mettre en place, en 2023, une centaine de centres à travers le Royaume. Ces centres s'occupent de la "positive parenting", c'est-à-dire la médiation familiale, la préparation au mariage... C'est un travail sur les générations à venir. Par ailleurs, nous accordons une attention particulière à la promotion de la "masculinité positive" en collaboration avec les acteurs de la société civile, dont des influenceurs qui ont diffusé des messages de sensibilisation dans le cadre d'une campagne lancée en 2023. Il s'agit pour nous de prêcher la bonne parole dans la société et faire évoluer les mentalités.
"L'appropriation de la culture de l'égalité par la société est l'une de nos priorités"
* Tant qu'on parle de violences contre les femmes, est-ce que votre ministère coordonne avec la Justice pour améliorer la prise en charge des femmes par la police et le parquet lorsqu'elles déposent plainte ?
C'est l'une de nos préoccupations majeures. Le plan gouvernement que je viens de mentionner prévoit, en effet, parmi ses trois axes, la protection et le bien-être des femmes. Nous œuvrons à créer des centres de prise en charge de femmes victimes de violences en collaboration avec plusieurs acteurs, y compris le Ministère de la Justice et la présidence du Ministère public, la Sûreté nationale et la Gendarmerie royale.... Près de 150 centres ont été mis en place avec un système informatique dénommé "Jisr Al Aman", dédié aux femmes souhaitant déposer des demandes de prise en charge lorsqu'elles subissent des violences.
Nous travaillons également avec l'Association nationale des femmes du Maroc, présidée par SAR la Princesse Lalla Meryem. Je rappelle aussi le numéro vert mis en place pour orienter les femmes vers les centres en fonction de leurs cas. En définitive, nous attachons beaucoup d'importance à la convergence des efforts de tous les acteurs concernés afin de fournir un système d'accompagnement efficace. Nous avons réussi à élaborer un protocole territorial de prise en charge des femmes violentées dans lequel tous les départements ministériels participent. Par exemple, quand une femme porte plainte aurpès de la Justice, elle est orientée ensuite vers les centres médiacaux ou vers les centres multi-fonctions. Quand une autre vient à l'hôpital, on veille à ce qu'elle soit entendue par la Justice... En gros, c'est système intégré où il y a des passerelles entre toutes les institutions auxquelles incombe d'accompagner la femme victime de violence.
* L'accès au travail demeure un véritable défi, le gouvernement prévoit d'augmenter le taux d'activité des femmes à 30%. On est encore loin avec une proportion qui n'est, hélas, pas à la hauteur, qu'est ce qui manque pour enclencher une dynamique d'ici 2026?
Malheureusement, nous avons trouvé cette situation lorsque le gouvernement est arrivé aux commandes. Le taux d'activité était, en 2021, inférieur à 20%. Comme ce taux avait tendance à diminuer, l'Exécutif a placé l'emploi des femmes au sommet de ses priorités. Il y a plusieurs leviers. Il faut libérer le temps des femmes et les contraintes qui pèsent sur elles en renforçant l'infrastructure d'accueil de la petite enfance. Pour que les femmes puissent avoir une activité professionnelle, elles doivent avoir un endroit sûr où placer leurs enfants. Raison pour laquelle le ministère tâche de promouvoir le métier des travailleurs sociaux. Grâce à une étude, nous avons identifié 18 métiers dont l'assistante maternelle qui est extrêmement importante car elle complète le rôle des crèches. Il y a aussi le cas des assistantes maternelles qui travaillent chez elles. Là, les retombés sont doublement bénéfiques puisqu'on permet à une femme de travailler chez elle et gagner sa vie tout en permettant aux autres de se libérer pendant la journée.
* Cela nous renvoie vers le "Care Economy". Vous avez récemment lancé un grand débat sur l'économie des soins qui devrait bénéficier spécialement aux femmes. A quel point va-t-elle contribuer à raffermir leur autonomisation ?
Le ministère a, comme vous le savez, décidé d'organiser un congrès mondial dans lequel nous avons discuté des benchmarks à l'échelle international et des bonnes pratiques afin de créer un modèle marocain et un faire émerger un écosystème propice à la création d'emplois pour les femmes. L'Organisation mondiale du Travail estime sur la base d'une étude publiée en 2024 qu'il y a moyen de créer 13 millions d'emplois dans la région MENA dans l'économie des soins. Comme la plupart de ces emplois sont occupés par des femmes, c'est une aubaine pour notre pays qui a besoin de structurer ce secteur et l'intégrer dans le système de protection sociale.