A l'occasion de la tenue de la deuxième édition de l'Africa Economic Symposium (AES), prévue les 11 et 12 juillet 2024 au siège du Policy Center for the New South, au Campus de Rabat de l'Université Mohammed VI Polytechnique, Mme Oumayma Bourhriba, Economiste au PCNS, nous fait une analyse de l'économie du continent tout en abordant la portée de cette grande conférence de l'Afrique. * Quel est l'objectif principal de l'Africa Economic Symposium et quels sont les thèmes abordés lors de cette deuxième édition de ce colloque international ? A travers l'AES, le Policy Center for the New South aspire à instaurer un rendez-vous annuel d'envergure continentale réunissant des économistes, des décideurs politiques et des universitaires pour forger de nouvelles réflexions sur le développement économique de l'Afrique. Le symposium compte parmi les grandes initiatives organisées depuis quelques années par le PCNS, notamment « The Atlantic Dialogues » et « African Peace and Security Annual Conference » (APSACO). Sa démarche épouse les principes fondateurs de la mission du Policy Center for the New South, celle de promouvoir la voix du Nouveau Sud et sa place dans le monde. À chaque édition du Symposium, l'Economie Africaine sera placée au cœur des discussions, portant une attention particulière aux défis de stabilité macroéconomique et aux enjeux structurels qui influencent le développement économique du contient. Cette deuxième édition, se déroulera en deux parties distinctes. La première partie explorera les nouveaux défis de la gestion macroéconomique, notamment l'efficacité de la politique monétaire pour juguler l'inflation tout en soutenant la croissance économique, les implications des resserrements monétaires sur la stabilité financière, ainsi que le rôle de nouvelles stratégies budgétaires pour assurer la discipline budgétaire et la soutenabilité de la dette. Dans la seconde partie, le symposium mettra l'accent sur la promotion de la transformation économique de l'Afrique grâce à des mécanismes de financement novateurs. Les discussions porteront sur les mécanismes de financement de la transition énergétique, les aspects sociaux du financement du développement, les actions politiques pour exploiter le potentiel financier domestique. D'autres sujets seront abordés tels que le rôle de la communauté financière internationale pour combler les déficits de financement et relever les défis de la restructuration de la dette. AES offrira également l'opportunité de présenter le Rapport annuel sur l'économie africaine, qui dresse la cartographie des dynamiques économiques africaines à différentes échelles.
* Les économies africaines évoluent dans un paysage macroéconomique aux multiples facettes qui limite leurs options politiques. Quelle analyse faites-vous à ce sujet ? Malgré les améliorations observées sur les marchés financiers mondiaux et la résilience de l'économie mondiale face à la lutte contre l'inflation, les économies africaines continuent de faire face à des défis considérables. Des signes de résilience sont certes visibles à travers le continent, avec des taux d'inflation en baisse dans près des deux tiers des pays africains, les niveaux d'inflation restent obstinément au-dessus des niveaux pré-pandémiques, exerçant une pression sur les plus vulnérables. Ce scénario soulève des questions critiques sur l'efficacité de la politique monétaire pour contenir l'inflation tout en maintenant une croissance économique robuste. De plus, alors que les banques centrales en Afrique ont adopté des politiques monétaires plus strictes, les pays doivent faire face à la nouvelle réalité des taux d'intérêt élevés. Les futures décisions de politique monétaire des banques centrales auront un impact significatif sur les conditions macroéconomiques et détermineront la nature de l'atterrissage économique des nations africaines. Dans l'environnement actuel d'incertitude, chaque décision d'une banque centrale a des implications sur sa crédibilité et la stabilité financière, nécessitant une forte coordination entre les politiques monétaires et prudentielles. En outre, le contexte économique actuel en Afrique est marqué par une augmentation persistante des vulnérabilités, notamment celles liées à l'augmentation de la dette. Les projections du Fonds Monétaire International indiquent que le ratio de la dette publique par rapport au PIB de la région devrait augmenter de plus de 10 points de pourcentage au cours des cinq prochaines années. Cette tendance soulève de sérieuses inquiétudes quant à la capacité des nations africaines à prévenir le risque de surendettement tout en maintenant une discipline budgétaire rigoureuse. Cette tâche est d'autant plus difficile dans un contexte politique marqué par des élections imminentes dans de nombreux pays africains, où les pressions pour augmenter les dépenses et lancer des initiatives populaires risquent de compromettre la soutenabilité des finances publiques. Face à de tels défis, il devient impératif de repenser la gestion budgétaire sur le continent permettant de rendre la politique budgétaire plus stratégique, crédible et efficace dans la réalisation des objectifs de développement. Le développement de stratégies de planification budgétaire à moyen terme est une étape cruciale. Notamment à travers l'amélioration des capacités de prévisions macro-budgétaire, la mise en place de cadres budgétaires pluriannuels plus solides, permettant de mieux aligner les décisions budgétaires sur les priorités stratégiques à moyen terme. Cela concerne aussi l'amélioration de la crédibilité et la transparence du budget, et la gestion systématique des risques budgétaires via le développement des outils de surveillance, le recours aux instruments de couverture de risque et l'accumulation de réserves budgétaires adéquates pour faire face aux chocs imprévus.
* Alors que les besoins de développement s'amplifient, l'Afrique se heurte à un déficit significatif en ressources financières. Comment les pays africains peuvent-ils déverrouiller le potentiel du financement domestique ? Les économies africaines sont confrontées à des besoins financiers urgents pour atteindre leurs objectifs de développement. Le continent a besoin de 1.3 trillion de dollars supplémentaires d'ici 2030 pour atteindre ses Objectifs de Développement Durable (ODD). Cette situation est exacerbée par des niveaux d'endettement élevés et des risques de surendettement, conséquence de la succession de chocs depuis la pandémie de Covid-19, y compris des conditions financières plus restrictives qui ont exclu de nombreux pays africains des marchés internationaux. Face à ce contexte, les pays africains devraient mettre en place une approche multi-facettes englobant diverses stratégies clés pour débloquer le potentiel du financement intérieur. Le premier levier est le renforcement des capacités du secteur bancaire et des marchés financiers locaux pour permettre une meilleure mobilisation de l'épargne privée et la canaliser vers des investissements productifs. Parallèlement, la réforme des finances publiques peut jouer un rôle essentiel dans l'expansion de l'espace budgétaire à travers l'optimisation des dépenses publiques et l'amélioration de la mobilisation des ressources fiscales. La mise en place des mécanismes de surveillance renforcés pour lutter contre la fraude fiscale et les flux financiers illicites est fondamentale pour protéger les sources de revenus et assurer la transparence. De plus, les partenariats public-privé (PPP) représentent un outil essentiel permettant aux gouvernements de se procurer et de fournir des infrastructures et des services publics en s'appuyant sur les ressources et l'expertise du secteur privé via des mécanismes de partage des risques. Les PPP peuvent générer une valeur sociale importante, en assurant la livraison des projets dans les délais et les budgets prévus, en apportant des gains d'efficacité et d'innovation dans la conception, et en mobilisant de nouvelles sources de financement. Toutefois, la réussite des PPP à long terme requière l'existence d'un cadre réglementaire solide qui permet d'optimiser l'allocation des risques et d'assurer une gestion saine des investissements publics. Enfin, les pays africains peuvent exploiter le potentiel de leurs fonds souverains en définissant une stratégie d'investissement alignée sur leurs priorités de développement, en renforçant la gouvernance et la professionnalisation de leur gestion, et en diversifiant leurs portefeuilles d'investissement de manière prudente.
* Quel rôle la communauté internationale peut-elle jouer pour soutenir le développement économique de l'Afrique ? La communauté internationale à un rôle crucial à jouer dans le financement des efforts de développement de l'Afrique à travers la mobilisation des ressources financières, la gestion des défis de restructuration de la dette, et l'assistance technique. Toutefois, l'architecture financière mondiale actuelle ne permet pas de faire face aux défis imminents du XXIe siècle, et de répondre adéquatement aux besoins de développement spécifiques et aux vulnérabilités des pays africains, notamment le fardeau de la dette. En outre, les pays africains demeurent sous-représentés dans les organes de gouvernance des institutions financières internationales (IFI). Dans ces conditions, une réforme en profondeur de l'architecture financière mondiale s'avère nécessaire. Celle-ci devrait viser à renforcer la représentation et l'influence des pays africains dans les instances décisionnelles mondiales, trouver une solution concrète à la crise de la dette souveraine qui menace certains les pays africains. Il s'agit d'accroître l'accès aux subventions et aux financements concessionnels et assurer une meilleure réallocation des ressources telles que les Droits de tirage spéciaux (DTS) par l'intermédiaire des banques multilatérales de développement. Ces efforts, entres autres, visent collectivement à renforcer la résilience économique de l'Afrique et à propulser une croissance durable à travers le continent. Bon à savoir Oumayma Bourhriba est économiste au Policy Center for the New South. Son domaine de recherche couvre les politiques macroéconomiques, les questions de commerce international et la croissance économique à long terme. Auparavant, elle a travaillé sur les services commerciaux au Maroc et en Afrique, et sur le développement économique dans la région MENA. Mme Oumayma est titulaire d'une maîtrise en économie appliquée. Elle est actuellement doctorante à l'Université Mohammed V de Rabat. Quant au Policy Center for the New South (PCNS), c'est un groupe de réflexion marocain visant à contribuer à l'amélioration des politiques publiques économiques et sociales qui remettent en question le Maroc et le reste de l'Afrique en tant que parties intégrantes du Sud global. A cet égard, il plaide pour un « nouveau Sud » ouvert, responsable et entreprenant qui définit ses propres récits et cartes mentales autour des bassins méditerranéens et de l'Atlantique Sud, dans le cadre d'une relation tournée vers l'avenir avec le reste du monde. Par ses travaux d'analyse, le think tank vise à accompagner l'évolution des politiques publiques en Afrique et à donner la parole aux experts du Sud.