Il est crucial de souligner que la perception des marchés financiers sur le risque souverain au Maroc repose non seulement sur les conditions macroéconomiques du pays, mais également sur la crédibilité de l'Etat. À cet égard, le renforcement récent du cadre de politique budgétaire par le Maroc avec la publication d'un plan budgétaire à moyen terme, offrant une vision des projets budgétaires pour les trois prochaines années, est une avancée louable. Explications avec l'Economiste Badr Mandri. - Peut-on parler aujourd'hui d'une inflation galopante au Maroc ? Je souhaite d'abord apporter des nuances quant à la qualification d'une inflation « galopante ». Dans le contexte actuel, le terme « galopant » semble dépassé. Ces derniers mois ont plutôt marqué une phase de désinflation, avec un retour de l'inflation aux Etats-Unis et en Europe autour de 3% en octobre, atteignant son niveau le plus bas depuis deux ans. Au Maroc, ce chiffre est descendu à 4,3%, bien loin des 9,4% du premier trimestre de 2023. L'inflation n'est donc plus galopante, mais des incertitudes demeurent quant à son évolution future, surtout avec les tensions géopolitiques actuelles, pouvant impacter le marché des matières premières et par extension, l'économie mondiale. Il est compréhensible que les grandes banques centrales fassent preuve de prudence dans ce contexte. - Partant de ce constat, comment le Royaume peut-il juguler sa dette dans le contexte actuel ? L'inflation au Maroc, bien qu'elle ait eu des conséquences sociales significatives, a été bénéfique pour les finances publiques. D'une part, elle a considérablement augmenté les recettes fiscales, notamment la TVA et les droits d'importation, compensant largement la hausse des subventions.D'autre part, en raison de la structure de la dette nationale, majoritairement à 75% intérieure, elle a réduit le coût réel du stock de dette. De plus, elle a permis au Trésor de profiter de taux d'intérêt réels négatifs pour se refinancer sur le marché des bons du trésor. Cependant, penser que le Maroc pourrait s'appuyer sur l'inflation pour maîtriser sa dette serait peu judicieux. L'inflation reste un risque pour la stabilité macroéconomique à moyen et long terme d'un pays. - Dans ces conditions, peut-il gérer efficacement sa dette publique croissante après le Covid-19 ? Depuis l'avènement du Covid-19 et la série de chocs qui a suivi, la gestion macroéconomique du pays est devenue extrêmement complexe. L'équilibre délicat s'articule entre l'impératif d'adopter une politique budgétaire expansive pour dynamiser l'économie et financer les réformes sociales et les grands projets, sans toutefois mettre en péril la viabilité de la dette publique. Initialement, l'engagement gouvernemental à concilier ces deux objectifs paraissait absurde. Cependant, la Loi des Finances 2024 est venue dissiper certaines de ces perplexités quant à la stratégie budgétaire en cours. De cette stratégie émerge un message clé : la possibilité d'une poursuite des efforts d'investissement et de consolidation budgétaire à la fois, en s'appuyant sur des sources de financement alternatives qui remplaceraient l'endettement traditionnel, ces fameux mécanismes de financement innovants. Ces derniers, sont anticipés pour générer un total de 164 milliards de dirhams entre 2019 et 2026, ce qui est l'équivalent de la moitié des dépenses prévues pour les projets phares des cinq années à venir (tels que la reconstruction, la protection sociale, l'organisation de la Coupe d'Afrique des Nations et de la Coupe du Monde). Ainsi, en reposant sur ces formes de financement alternatives, tout en rationnant et en réallouant les dépenses tel que promis par le gouvernement, il semblerait envisageable de maintenir la dette à des niveaux soutenables. Cependant, il est crucial de garder à l'esprit que sur le long terme, une gestion budgétaire viable ne peut reposer indéfiniment sur des ressources exceptionnelles. - Un scénario d'augmentation de la dette présente des dangers importants pour l'économie marocaine à long terme, selon le rapport du PCNS. Existe-t-il des pistes pour l'éviter ? Malgré les projections du gouvernement, plutôt rassurantes quant à la trajectoire future de la dette, un scénario de ré-accumulamation de cette dernière ne peut être écarté. Des variables exogènes imprévisibles, comme un choc externe entraînant des dépenses supplémentaires ou une poursuite de la hausse des taux d'intérêt et des coûts de financement à l'échelle internationale, demeurent toujours possibles. Dans un tel contexte, comme je l'ai mentionné, maintenir durablement la soutenabilité de la dette ne peut reposer indéfiniment sur des méthodes non conventionnelles, telles que les financements innovants ou la réallocation des dépenses. En effet, la viabilité de la dette ne pourrait être assurée que s'il y a une forte croissance économique permettant un écart positif entre le taux de croissance et le taux d'intérêt réel de la dette, ce qui n'est pas le cas actuellement. Le défi majeur serait donc de maximiser l'efficacité des investissements actuels et futurs, notamment les grands projets à venir, afin d'impulser une croissance suffisante pour réduire le risque d'insoutenabilité de la dette. - Une autre démarche est-elle envisageable ? Une autre voie que nous jugeons cruciale est la transparence budgétaire. Il est crucial de souligner que la perception des marchés financiers sur le risque souverain au Maroc repose non seulement sur les conditions macroéconomiques du pays, mais également sur la crédibilité de l'Etat. À cet égard, le renforcement récent du cadre de politique budgétaire par le Maroc avec la publication d'un plan budgétaire à moyen terme offrant une vision des projets budgétaires pour les trois prochaines années est une avancée louable. Cependant, associer ce cadre budgétaire à moyen terme à une nouvelle règle budgétaire axée sur un objectif d'endettement à moyen terme, avec une règle opérationnelle correspondante, pourrait accroître davantage la transparence et la crédibilité de la politique budgétaire. Les règles budgétaires sont généralement liées à un coût d'emprunt moindre pour l'Etat, car elles renforcent la confiance dans la capacité du gouvernement à maintenir la discipline budgétaire.
Bon à savoir Badr Mandri est un économiste qui a rejoint Policy Center for the New South après deux ans d'expérience au sein de l'Office national marocain des statistiques (HCP, Haut-Commissariat au Plan). Ses activités de recherche se concentrent sur la macroéconomie du développement, en particulier sur la politique fiscale et le financement du développement. Il est titulaire d'une maîtrise en économie appliquée et est actuellement doctorant à l'Université Mohammed V de Rabat. Pour sa part, le Policy Center for the New South (PCNS) est un think tank marocain dont la mission est de contribuer à l'amélioration des politiques publiques, aussi bien économiques que sociales et internationales, qui concernent le Maroc et l'Afrique, parties intégrantes du Sud global. Il mobilise des chercheurs, publie leurs travaux et capitalise sur un réseau de partenaires de renom, issus de tous les continents. Par ailleurs, le PCNS développe une communauté de jeunes leaders à travers le programme Atlantic Dialogues Emerging Leaders (ADEL) et contribue ainsi au dialogue intergénérationnel et à l'émergence des leaders de demain.