Les médecins internes et résidents se mettent en grève pour faire entendre leur voix. La tutelle se voit face à un nouveau cri de colère en pleine réforme du système de santé. Décryptage. Le secteur de la Santé est en ébullition. Après les étudiants en médecine, c'est au tour des médecins internes et résidents de monter au créneau. Ce mercredi, les médecins sont appelés à se mettre en grève durant 24 heures sans paralyser les services d'urgence. Un appel lancé par la Commission nationale des médecins internes et résidents (CNIR) qui parie sur une forte participation de cette catégorie de blouses blanches qui s'estime exclue par les deux ministères de tutelle des discussions autour des réformes importantes de la Santé, à savoir la loi 8.22 portant création des groupements sanitaires territoriaux et la réforme du troisième cycle des études médicales. Les médecins, qu'ils soient internes ou résidents, se considèrent comme la colonne vertébrale des hôpitaux universitaires puisqu'il leur incombe de faire la majeure partie des consultations et des actes médicaux tout en assumant également la garde dans les urgences. Une raison suffisante, pensent-ils, pour être associés aux discussions.
La goutte qui a fait déborder le vase Le recours à la grève est donc un moyen de monter au créneau contre le ministère de l'Enseignement supérieur et le ministère de la Santé, qui, selon Ali Farissi, coordinateur de la Commission nationale, ont fermé la porte au dialogue. "Nous avons déposé deux demandes d'audience, dès lors nous n'avons eu aucune réponse", affirme-t-il, rappelant que les intéressés y voient un signe de mépris injustifié de la part des deux ministères de tutelle qui ont d'ores et déjà convié les syndicats à la table des discussions. Le dialogue demeure une exigence pour la CNIR qui se juge en état de contribuer à enrichir le dialogue sur les sujets qui concernent l'avenir des médecins internes et résidents qui sont la colonne vertébrale des hôpitaux universitaires. Jusqu'à présent, le silence reste de mise chez les deux ministères de tutelle qui n'ont pas encore réagi officiellement à l'annonce de la grève. Contactés par nos soins, ni le département de Khalid Ait Taleb ni celui d'Abdellatif Miraoui n'ont répondu à nos sollicitations.
Ce que revendiquent les blouses blanches La Commission a d'ores et déjà préparé son cahier revendicatif qui contient une liste de revendications. Les médecins attachent beaucoup d'importance à l'aspect financier puisqu'ils estiment qu'ils sont mal rétribués. Pour mieux appréhender les choses, il convient d'expliquer le système. Le statut d'interne concerne les étudiants en médecine des deux dernières années de formation. Les internes peuvent accéder au statut de résident après deux ans de service. Ils font les tâches ordinaires des médecins et assument la garde aux urgences. Le résidanat est accessible également par concours pour les étudiants ayant obtenu leurs diplômes. Une fois arrivés au résidanat, deux possibilités se présentent aux médecins généralistes : soit opter pour un contrat ou choisir le statut de bénévole, autrement appelé "non-contractuel". La Commission estime que les bénévoles sont sous-payés et appelle à augmenter leurs salaires à 12.000 dirhams au même titre que les résidents contractuels, sachant qu'ils ont le même diplôme. Pour rappel, les bénévoles touchent actuellement 3500 dirhams par mois. Une rétribution jugée fort dérisoire. Concernant les internes, la CNIR juge nécessaire de revoir leurs salaires pour les porter à 10.000 dirhams, puisque, explique Ali Farissi, ils font des tâches importantes aussi bien dans leurs services que dans les urgences. Le cahier revendicatif porte également sur l'indemnisation de certaines tâches spécifiques. La Commission plaide pour l'augmentation de l'indemnité sur la garde de 186 à 500 dirhams pour les médecins, y compris les internes. Idem pour l'astreinte dont l'indemnité doit être revue à la hausse (200 dirhams), aux yeux de la Commission. Au-delà de la rémunération, les médecins en colère plaident pour l'amélioration des conditions de travail. Par exemple, la Commission demande à ce que les médecins, qu'ils soient résidents ou internes, bénéficient d'un repos après une garde de soir. Contrats : Appel à revoir la durée Ali Farissi soulève un autre problème qui préoccupe ses confrères. Celui du système de contractualisation avec l'Etat. La Commission appelle à réduire la durée des contrats pour les résidents engagés avec l'Etat ou avec les CHU, à deux ans. Force est de rappeler que la durée est fixée actuellement à huit ans. L'objectif est de donner aux médecins plus de perspectives de carrière. M. Farissi insiste sur le cas des médecins désireux de quitter la Fonction publique. En cas de démission, ces derniers risquent de payer une pénalité jugée énorme par notre interlocuteur qui fait état d'une aberration. Pour rappel, la démission implique de restituer un montant équivalent à tout ce que le médecin a gagné durant l'exercice de sa fonction.
Rester dans les CHU Enfin, la question de la formation demeure parmi les revendications prioritaires. La Commission s'oppose à transférer la formation des CHU aux établissements régionaux sauf si toutes les conditions pédagogiques et logistiques sont réunies. S'agissant du cas des médecins ayant un contrat avec les CHU, ils jugent nécessaire de rester affectés principalement dans les hôpitaux universitaires. Par ailleurs, en se mettant en grève, les médecins concernés espèrent attirer l'attention des ministères de tutelle qui sont actuellement confrontés à plusieurs colères, dont celle des étudiants en médecine qui ont boycotté les examens pendant longtemps tout en allant manifester devant le Parlement. Déterminés à aller jusqu'au bout dans les réformes du système de formation et de la Fonction publique de Santé, une condition sine qua non pour la refonte du système de Santé, les ministères de tutelle, qui reconnaissent l'importance de valoriser les ressources humaines, semblent parvenus jusqu'à présent à absorber la colère des étudiants. En sera-t-il de même pour les médecins en grève ? Trois questions au Dr Ali Farissi : "L'exclusion des discussions a été ressentie comme un mépris" * A votre avis, la grève est-elle indispensable pour faire entendre votre voix ? Si nous nous sommes mis en grève aujourd'hui, c'est parce que les médecins ressentent un mépris à leur égard après l'exclusion de la CNIR des discussions menées par le ministère de la Santé et de la Protection sociale et le reste des parties prenantes concernant la loi 8.22 portant création des groupements sanitaires territoriaux. Le même sentiment a été ressenti avec le ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation qui a délibérément exclu les médecins internes et résidents des discussions portant sur la réforme du troisième cycle des études médicales alors que les internes et résidents sont les principaux concernés. Les étudiants ont été initialement présents à ces réunions via la CNEM (Commission nationale des étudiants en médecine, pharmacie et médecine dentaire) et le syndicat de l'enseignement supérieur a été aussi inclus.
* Pouvez-vous nous expliquer pourquoi le débat est-il si difficile avec les ministères de tutelle ? Actuellement, les canaux de dialogue sont fermés. Nous n'avons pas été associés au débat, bien que nous ayons adressé deux demandes d'audience aux ministères de tutelle au sujet de notre dossier revendicatif. Nous avons émis un communiqué dans lequel nous avons dénoncé l'absence de réaction de la part de la tutelle. Quand nous avons compris que les deux ministères rejettent délibérément nos sollicitations alors qu'ils parlaient avec les syndicats, nous avons décidé d'exprimer notre colère de façon plus forte pour dénoncer notre exclusion des discussions.
* Vous avez énoncé une série de revendications, quelles sont celles les plus prioritaires ? D'abord, il y a des acquis historiques qu'on souhaite préserver. Notre dossier revendicatif comprend 10 points essentiels et aussi importants les uns que les autres. Nous insistons sur la revalorisation de l'indemnité reçue par les internes et les résidents bénévoles qui touchent approximativement 3500 dhs. C'est une aberration de continuer à exploiter ces ressources humaines de cette façon. Figurez-vous qu'ils n'ont pas d'AMO mais une assurance, ce qui fait qu'ils ne sont pas protégés. Troisième cycle des études en médecine : Les réserves de la CNIR La réforme du troisième cycle des études de médecine a fait l'objet d'un bras de fer entre les deux ministères de tutelle et les étudiants en médecine pendant la période du boycott. Le gouvernement, rappelons-le, entend activer la réforme pédagogique liée au diplôme de spécialité. La CNIR (Commission Nationale des Médecins Internes et Résidents) demeure insatisfaite. "Pour ce qui est de la réforme du troisième cycle, nous voyons un retour sur les acquis d'intégration des médecins résidents signés avec le ministère de la Santé et de la Protection sociale en 2011", explique Ali Farissi à ce sujet, ajoutant : "Nous demandons à garder les deux voies : contractuels et non contractuels (bénévoles), en améliorant l'attractivité du secteur public et en améliorant les conditions des résidents bénévoles". Par ailleurs, il y a lieu de noter qu'après un long cycle de pourparlers avec les étudiants en médecine, le gouvernement a fait des concessions en maintenant les statuts d'internat et de résidanat avec une possibilité d'unification du parcours des résidents. Une promesse qui devrait être tenue. Réforme pédagogique : Nécessité de revoir la gouvernance La multiplication des crises liées à la réforme du système de Santé, surtout en ce qui concerne la formation, interpelle sur la gouvernance. Aux yeux du député istiqlalien Allal Amraoui, il est temps que la formation en sciences de Santé soit regroupée sous la tutelle et la supervision du ministère de la Santé. Ceci implique, aux yeux du député, que le ministère de l'Enseignement supérieur lui transfère cette compétence dans le cadre d'une nouvelle gouvernance. "Cette passation s'impose d'autant plus que le ministère de la Santé est seul en état de superviser correctement la formation des médecins et du personnel médical de façon générale et d'identifier les besoins en termes de formation et d'organisation", a plaidé M. Amraoui dans une précédente interview accordée à "L'Opinion", ajoutant qu'il faut aboutir à un système de formation dans l'ensemble des sciences de la Santé qui soit sous l'autorité d'un seul département ministériel. Allal Amraoui est convaincu qu'il est improductif que les médecins, pharmaciens et dentistes soient formés dans les Facultés de médecine indépendamment des autres métiers de la Santé tels que les infirmiers et autres techniciens de santé formés dans d'autres établissements qui relèvent d'un autre département ministériel. "Cela provoque des dysfonctionnements qui nuisent à l'homogénéité entre les métiers de la Santé dans les établissements hospitaliers", a-t-il conclu.