Les autorités ukrainiennes comptent faire bientôt du Maroc un hub céréalier vers l'Afrique. Les préparatifs ont d'ores et déjà commencé, selon l'ambassadeur de l'Ukraine à Rabat, Serhii Saienko. Détails. Il y a trois mois, sur les colonnes de "L'Opinion", l'ambassadeur de l'Ukraine, Serhii Saienko, annonçait en exclusivité la volonté de son pays d'établir un hub céréalier au Maroc. Une sorte de corridor logistique destiné à faire du Royaume une base de stockage et une plateforme de transit du blé ukrainien vers l'Afrique. Une décision stratégique pour Kiev qui a renforcé ses liens avec le Maroc ces derniers mois, depuis la visite du ministre des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, qui a annoncé pour la première fois le soutien ukrainien au plan d'autonomie pour le Sahara.
Passer à la vitesse supérieure Maintenant, Kiev veut aller plus loin. "Actuellement, nous souhaitons donner plus de dynamique aux relations bilatérales", insiste l'ambassadeur ukrainien dans une déclaration à « L'Opinion ». Selon lui, l'objectif des Ukrainiens est de passer à la vitesse supérieure sur le plan économique. À Kiev, on sait très bien que l'amitié politique reste strictement tributaire du partenariat économique. Le business céréalier est la clé de voûte de la coopération future entre les deux pays. Force est de rappeler que l'Ukraine s'apprête à participer au Salon International de l'Agriculture au Maroc (SIAM) à Meknès pour la première fois. Une vitrine inédite pour Kiev afin d'exposer son potentiel agricole et promouvoir son projet de "hub céréalier" auprès des responsables marocains. L'idée est simple : approvisionner l'Afrique à travers le Maroc. Kiev pense que ce projet est d'autant plus réalisable que l'initiative Royale visant à donner aux pays du Sahel un accès à l'océan Atlantique va dans le même sens et permettra de faciliter les exportations par voie maritime. "L'Ukraine soutient cette initiative et y voit un projet ambitieux et opportun qui sert les intérêts de tous les pays de la région. Ce projet va de pair avec notre proposition", nous explique M. Saienko, ajoutant que les échanges ont commencé avec les interlocuteurs marocains concernés. Jusqu'à présent, le Maroc n'a pas réagi officiellement à l'offre ukrainienne. Entre-temps, la diplomatie ukrainienne se focalise plus sur le secteur privé, nous confie Serhii Saienko qui mise sur la multiplication des rencontres et des échanges de visites entre les secteurs privés des deux pays afin de faire connaître les opportunités de cette initiative.
Etude de faisabilité : En quête d'un schéma technique Quoi qu'ambitieux, le projet d'un hub céréalier demeure embryonnaire vu qu'il nécessite une étude approfondie du schéma logistique nécessaire à sa mise en place. "Actuellement, les experts en Ukraine travaillent sur ce sujet afin de proposer une vision claire à nos amis marocains sur ce projet et sa faisabilité", souligne l'ambassadeur qui fait part de la volonté de l'ambassade d'initier un cycle de visites des experts pour faire un état des lieux des installations portuaires à la fois au Maroc et en Ukraine pour déterminer les circuits logistiques et les besoins en termes d'infrastructures. "Nous voulons que les acteurs privés se mettent d'accord et ensuite les gouvernements suivent évidemment", reprend notre interlocuteur.
Des enjeux géopolitiques et économiques Aujourd'hui, l'Ukraine, l'un des principaux greniers du monde, continue d'exporter son blé en dépit de la guerre contre la Russie qui a perturbé les corridors d'exportation. Faute d'un nouvel accord céréalier entre les Ukrainiens et les Russes, les exportations par la mer Noire sont devenues quasiment impossibles. Toutefois, l'Ukraine parvient tant bien que mal à faire passer son blé par les ports d'Odessa et Mykolaïv. Pour sécuriser durablement son export, le gouvernement ukrainien a jugé opportun d'exporter son blé à partir des ports européens en passant par la voie terrestre. Jusqu'à présent, le Maroc n'a pas beaucoup pâti de la guerre russo-ukrainienne, comme il a diversifié ses sources d'approvisionnement après le 24 février 2022. Cependant, le Royaume s'est vu priver d'un de ses grands fournisseurs puisque l'Ukraine fut le deuxième exportateur de blé au Maroc en 2021, derrière la France, avec un volume estimé à plus de 800.000 tonnes. Maintenant, l'Ukraine veut se repositionner à l'échelle des fournisseurs du Royaume par lequel elle veut passer pour satisfaire les besoins des pays africains. Il s'agit également d'un enjeu géopolitique pour les Ukrainiens qui veulent renforcer leurs liens avec les pays africains au moment où la Russie, bien enracinée au continent, a déjà annoncé des dons de blé à plusieurs pays.
Céréales : Le Maroc diversifie ses sources d'approvisionnement Pour le Maroc, une telle initiative intervient au moment où le Royaume fait de plus en plus appel au marché international pour combler ses besoins, d'autant que la production locale ne cesse de se dégrader sur fond d'une sécheresse inédite. Le stress hydrique et la chute inquiétante de la pluviométrie ont condamné les terres à une baisse de productivité. Selon les prévisions du Centre Commun de la Recherche, relevant de la Commission Européenne, on a estimé que la production céréalière (tous types de céréales confondus) pourrait baisser de 23 à 29% durant la campagne céréalière actuelle par rapport à la précédente. Le Centre a obtenu cette conclusion sur la base d'un examen de l'évolution des cultures céréalières au cours de la saison en cours.
Mobilité économique : Bientôt des facilités de visas Au-delà des céréales, l'Ukraine veut développer son commerce avec le Maroc à tous les niveaux, selon Serhii Saienko, qui demeure convaincu que la mobilité entre les acteurs économiques est une condition sine qua non pour y parvenir. Pour cette raison, les autorités ukrainiennes envisagent la simplification des procédures de visas. Il s'agit, aux yeux de l'ambassadeur, d'un geste de bonne volonté à l'adresse des hommes d'affaires et des patrons d'entreprises afin de permettre une mobilité plus fluide entre les deux pays. L'Ukraine se projette à long terme puisqu'elle sait que la guerre contre la Russie ne durera pas éternellement et que viendra le jour où il faudra envisager la reprise de son économie. Le Maroc est perçu à Kiev comme un futur partenaire économique de premier plan en Afrique, d'autant que les relations politiques sont jugées bonnes sur fond d'une entente sur les sujets d'intérêt commun.