En dépit des réformes, les blocages persistent. La plateforme "E-Participation" dédiée aux pétitions reste incomplète et inefficace, entravant l'accès des citoyens à la démocratie participative. En 2023, le gouvernement a adopté un projet de décret fixant la composition, les attributions et les modalités de fonctionnement de la commission des pétitions. L'objectif étant de faciliter l'exercice de ce droit constitutionnel et d'encourager la participation citoyenne, surtout que le bilan de soumission des pétitions demeure "très bas". Malgré ces amendements, la situation reste inchangée en raison decertaines lacunes techniques qui entravent toujours le processus.
C'est ce que dénonce le Centre Marocain pour la Citoyenneté, pointant du doigt les dysfonctionnements de la plateforme "E-Participation", censée permettre la soumission électronique des pétitions mais qui, en pratique, demeure incomplète et inefficace.
Le Centre Marocain pour la Citoyenneté tire la sonnette d'alarme sur les obstacles techniques qui entravent le processus de soumission des pétitions électroniques, un mécanisme pourtant essentiel à la démocratie participative inscrite dans la Constitution marocaine.
Selon le Centre, la plateforme "E-Participation", mise en place pour appliquer le décret n° 2.23.980, demeure incomplète sur le plan fonctionnel, empêchant ainsi le dépôt effectif des pétitions. Actuellement, seules deux étapes du processus sont accessibles : la "préparation de la pétition" et la "commission de soumission de la pétition". La dernière phase, cruciale pour la collecte des signatures électroniques, reste hors de portée en raison de dysfonctionnements techniques, compromettant ainsi l'efficacité de ce levier démocratique.
"Lorsqu'un citoyen prend le temps de rédiger une pétition ou de faire une contribution et qu'il ne reçoit ni accusé de réception ni retour, cela alimente son scepticisme envers les institutions", explique Az-elarab Hilmi, Coordinateur des programmes - Association Les Citoyens.
Une plateforme non opérationnelle, un droit bafoué
L'un des enjeux majeurs de cette situation réside dans l'incapacité des citoyens à finaliser leurs pétitions. L'exemple de la pétition soumise le 7 février 2024 sous le numéro 711824, visant à interdire le tabagisme dans les lieux publics, illustre bien cet écueil. Malgré le dépôt officiel de la pétition, l'absence de la fonctionnalité permettant de recueillir les signatures a bloqué le processus. Ce blocage ne relève pas seulement d'un simple problème technique, mais traduit une défaillance structurelle dans la mise en œuvre des réformes annoncées. En effet, la digitalisation du processus de soumission des pétitions aurait dû simplifier et accélérer la participation citoyenne. Or, en l'état actuel, elle constitue un obstacle supplémentaire. L'impossibilité pour les citoyens d'achever leurs démarches réduit la portée de ce droit constitutionnel à une formalité incomplète, vidée de sa substance. Une réforme qui se veut inclusive et démocratique se doit de garantir une accessibilité totale à ses outils, sous peine de créer une fracture entre les promesses politiques et leur exécution concrète. Une réforme sans effet ?
Le faible taux de soumission des pétitions au Maroc s'explique en grande partie par des obstacles administratifs et techniques persistants. Si l'initiative gouvernementale visait à renforcer la participation citoyenne, l'inaccessibilité d'un outil essentiel remet en question son efficacité.
En théorie, la digitalisation des pétitions aurait dû simplifier les démarches et encourager une plus large implication des citoyens dans la gestion des affaires publiques. En pratique, elle freine davantage ce processus.
Malgré les alertes lancées par le Centre Marocain pour la Citoyenneté, notamment via des correspondances adressées au Chef du gouvernement et au ministre chargé des relations avec le Parlement en juin et septembre 2024, aucune mesure corrective n'a été mise en place. Un appel à l'action
Face à cette situation, le Centre exhorte le Chef du gouvernement à intervenir en urgence pour garantir le déploiement intégral de la plateforme. Il insiste sur la nécessité d'un outil pleinement opérationnel, garantissant aux citoyens l'exercice effectif de leur droit à la pétition, pierre angulaire de la démocratie participative. Sans une résolution rapide de ces blocages, ce mécanisme risque de rester un droit de pure forme, inaccessible dans les faits aux citoyens marocains. 3 questions à Az-elarab Hilmi "Les dysfonctionnements de la plateforme E-Participation renforcent le désengagement des citoyens, notamment des jeunes, qui ne voient aucun impact concret de leur participation"
- Quels impacts concrets les dysfonctionnements de la plateforme "E-Participation" ont-ils sur la participation citoyenne ? D'après notre expérience terrain avec l'Association Les Citoyens, notamment à travers la tournée nationale des Cafés Citoyens, où nous avons échangé avec plus de 1000 citoyens dans les 12 régions du Maroc, il est clair que la participation citoyenne des jeunes reste confrontée à plusieurs défis structurels et institutionnels. L'un des constats majeurs ressortis de nos échanges est le manque de confiance des citoyens envers les outils numériques institutionnels. Beaucoup considèrent que leurs contributions via ces plateformes ne sont ni visibles ni prises en compte, ce qui renforce leur désengagement. Ce sentiment est d'autant plus marqué chez les jeunes qui, bien qu'à l'aise avec les outils numériques, ne perçoivent aucun impact concret de leur participation en ligne sur les décisions publiques. Dans certaines régions, nous avons observé que des initiatives comme "Ouchariko" ou des programmes soutenus par des partenaires étrangers existent, mais souffrent d'un déficit de visibilité et d'un manque d'accompagnement institutionnel. Les citoyens réclament ainsi davantage d'interactions directes avec les élus et les décideurs, au-delà du numérique.
- Dans quelle mesure l'inefficacité de cette plateforme affecte-t-elle la confiance des citoyens envers les institutions ? Un autre point clé soulevé lors de la tournée nationale est que l'inefficacité des plateformes institutionnelles accentue le fossé entre les citoyens et l'Etat. Lorsqu'un citoyen prend le temps de rédiger une pétition ou de faire une contribution et qu'il ne reçoit ni accusé de réception ni retour, cela alimente son scepticisme envers les institutions. Toutefois, nos rencontres ont aussi montré que lorsque des initiatives de participation sont portées par des acteurs locaux et des associations de proximité, la confiance est plus grande. Cela démontre que la clé de la participation citoyenne repose autant sur la proximité et la transparence que sur les outils techniques eux-mêmes.
- Quelles alternatives proposez-vous pour garantir l'aboutissement des pétitions en attendant la correction des failles techniques ? Les dysfonctionnements de la plateforme E-Participation renforcent le désengagement des citoyens, en particulier des jeunes, qui ne voient aucun impact concret de leur participation et ne reçoivent pas de retour sur leurs pétitions, alimentant ainsi leur scepticisme envers les institutions. Pour pallier ces lacunes, il est essentiel de créer des relais locaux pour accompagner les pétitionnaires, de renforcer la communication autour de ces outils, de multiplier les espaces de dialogue direct avec les citoyens et d'impliquer davantage les collectivités locales et les associations dans l'animation des plateformes. Ces actions permettraient de restaurer la confiance et d'améliorer la participation citoyenne en attendant la correction des failles techniques.