Déployée depuis plus de 20 dans les tribunaux de famille du Royaume, la procédure de réconciliation des différends de couple sème la polémique, suite à ses multiples lacunes. Celles-ci ont fait l'objet de moult discussions au sein de la Commission chargée de la réforme de la Moudawana. Après avoir bouclé les séances d'écoute réservées aux professionnels du droit de la femme, à la société civile et aux partis politiques, la Commission chargée de la réforme de la Moudawana s'emploie à livrer la nouvelle mouture du Code de la famille. Une réforme jugée nécessaire, voire urgente, en vue de combler les carences dont témoigne l'application de la loi actuelle, jugée révolutionnaire il y a 20 ans, mais dont les limites sont désormais de notoriété publique. La réforme, dont les grandes lignes ont été données par SM le Roi Mohammed VI en septembre dernier, vise à aligner les dispositions de la « Moudawana » sur l'évolution de la société marocaine et les impératifs du développement durable. De par son importance pour garantir l'unité familiale et pour prévenir le divorce, la réconciliation figure bien évidemment au centre de cette réforme tant attendue. Auditionné par la Commission chargé de ce chantier, le Parti de l'Istiqlal avait plaidé pour son institutionnalisation immédiate afin de combler l'inefficacité de la présente procédure légale. Actuellement en vigueur au sein des tribunaux, la procédure de la réconciliation ne fait pas assez pour prévenir le divorce, selon Zhor El Horr, membre de la Commission chargée de la réforme de la Moudawana de 2004 et ancienne juge présidente du Tribunal de première instance de Casablanca. Preuve en est le nombre des cas de divorce qui a atteint 588.969 au niveau des tribunaux de première instance, entre 2017 et 2021, selon le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ). Ce phénomène a pris des proportions tellement inquiétantes, qu'il faudrait engager une révision en urgence de la procédure légale.
Réconciliation au tribunal La procédure de réconciliation est régie notamment par l'article 81 du présent Code de la famille, selon lequel, suite au litige familial, les deux conjoints sont convoqués au tribunal avec la présence de deux arbitres parmi leurs membres de famille pour une séance voulue d'écoute et de rapprochement. Cependant, cette procédure n'est, selon les professionnels des tribunaux, qu'une formalité qui peine toujours à apporter les résultats escomptés. « La plupart des juges avouent leur incapacité à réussir la réconciliation lorsque les conflits font rage, notamment en couple », témoigne Zhor El Horr, qui a passé de longues années à côtoyer les tribunaux de famille au Maroc. L'intervention des membres de la famille et la complexité des relations rendent impossible la réconciliation au sein du tribunal, conduisant inéluctablement au divorce. En réalité, faute de résolution du différend, 84% cas finissent par accomplir la procédure de divorce. Et pour cause, les experts évoquent l'absence des conditions idoines à la réconciliation au sein des tribunaux. « Le climat intense et inapproprié qui règne dans les tribunaux fait que ces derniers deviennent un lieu de conflit pour les Marocains, plutôt qu'un endroit pour la résolution des différends », note notre interlocutrice.
Services indépendants Outre cela, l'ancienne magistrate estime que les juges ne sont pas suffisamment outillés pour mener à bien la procédure de réconciliation, en vue de renouer une paix durable entre les conjoints. « De par son appellation, le juge travaille selon une approche systémique pour émettre un jugement. L'expérience a montré clairement qu'il est incapable de réussir cette mission très complexe », selon Zhor El Horr. D'où la nécessité, selon elle, de doter cette procédure d'un cadre légal spécifique dans l'optique de la déléguer à des services indépendants dédiés à cet effet. Pour réussir cette expérience, l'ex-magistrate appelle à rendre obligatoire le passage à la réconciliation avant d'entamer la procédure de divorce, qu'il soit pour raison de discorde (chiqaq) ou par consentement mutuel.
Personnel qualifié De par la complexité des rapports humains, il est nécessaire de doter ces services d'experts reconnus en la matière et qui répondent à des conditions bien spécifiques. « Qu'ils soient lauréats de filières de réconciliation en droit, en psychologie ou en sociologie, ces experts doivent être outillés de mécanismes spécifiques pour se pencher sagement et avec souplesse sur le règlement des différends, cas par cas dans toutes ses spécificités », a-t-elle argué, mettant en question la marge de liberté des magistrats dans ce sens. Pour défendre l'efficacité de cette démarche, l'avocate évoque l'expérience réussie de plusieurs pays, notamment le Pakistan, la Malaisie et, plus proche de nous, l'Egypte qui a créé des Bureaux dédiés exclusivement au règlement des différends familiaux. En effet, Zhor El Horr, comme bien d'autres exerçant au sein des tribunaux du Royaume, se montre convaincue de l'importance d'une telle démarche pour atténuer les cas de divorce qui atteignent des niveaux très inquiétants et dont les causes sont très simples, voire minimes, selon elle. Outre son impact sur la préservation de la cohésion sociale, la délégation de la procédure de réconciliation, en cas de litige, permettra de soulager la pression sur le système judicaire, sujet à une surcharge des dossiers, notamment de divorce. Rejoignant l'avis du Parti de l'Istiqlal à ce sujet, l'Association de soutien à la famille avait formulé cette proposition lors de son audition devant la Commission chargée de la réforme de la Moudawana. Aujourd'hui, sa présidente, Zhor El Horr, se dit très optimiste quant au nouveau texte de loi, en cours d'élaboration. « Conscients de la gravité de la situation, les membres de la Commission prendront en compte cette proposition, plus efficace pour le système judiciaire et moins coûteuse pour les conjoints par rapport à la procédure de divorce », aspire Zhor El Horr, soulignant l'impact de cette démarche sur la préservation de la cohésion familiale qui assiste à des menaces sérieuses suite à l'augmentation des cas de divorce ou encore de célibat. Trois questions à Zhor El Horr : « Le nouveau Code de la famille devrait garantir l'unité familiale et consolider la paix et la stabilité sociale » * La deadline fixée par SM le Roi pour la révision du Code de la famille approche. Quels sont, selon vous, les grands obstacles à dépasser dans cette réforme tant attendue ? - La Moudawana, telle qu'elle est appliquée aujourd'hui, témoigne de plusieurs lacunes auxquelles il faut remédier dans le prochain texte. Le Code de la famille, qui a jadis posé les jalons d'une révolution sociale, apparaît, à bien des égards, déphasé et déconnecté des réalités et des aspirations contemporaines du peuple marocain. Cette réforme, étant intervenue des années après la promulgation de la Constitution de 2011, devrait préserver les acquis réalisés en matière de protection des droits de la femme et des enfants en particulier tout en remédiant aux carences persistantes sur plusieurs volets. Outre le fait d'instaurer l'égalité, le nouveau Code devrait garantir l'unité sociale et consolider la paix et la stabilité sociale. En tant qu'actrice du système judicaire, j'estime nécessaire, voire urgent, d'interdire le mariage des mineurs, un phénomène qui a pris des proportions inquiétantes ces dernières années. Ce mariage constitue une violation des droits des enfants et les expose à des abus et à des exploitations en les privant de l'éducation. Pour ce faire, il faut fixer l'âge du mariage à 18 ans tout en mettant fin au pouvoir discrétionnaire du juge, soit «la faculté de réduire cet âge dans les cas dits justifiés ». La Moudawana de 2004 comporte une disposition discriminatoire en octroyant exclusivement la tutelle au père. Dans le même sens, nous jugeons primordial de promouvoir un système de tutelle partagée entre les deux parents. Ce système permettrait aux parents de partager les responsabilités parentales, notamment celles liées à l'éducation. Autre chose, ce n'est plus acceptable de voir une mère perdre le droit à la garde si elle décide de refaire sa vie dans le «Halal» en se remariant. Cette disposition discriminatoire nuit aux droits de l'enfant et surtout à sa stabilité sociale et émotionnelle.
* Entre progressistes et conservateurs, le fossé entre les propositions avancées par les différentes parties consultées est abyssal. Comment peut-on trancher tout en gardant l'équilibre ? - Entre les deux, il y a un courant équilibriste contemporain qui promeut une approche axée sur la Chariaa mais également sur les conventions internationales ratifiées par le Royaume. L'idée étant d'aboutir à un texte modéré tout en tenant en compte de l'intérêt de la famille. Je crois vivement que la Chariaa apporte des réponses claires à l'ensemble des doléances d'aujourd'hui. La jurisprudence s'est arrêtée depuis quelques temps, donnant place à des interprétations multiples, parfois mauvaises, du texte coranique. Ainsi, il est nécessaire que nos Oulémas s'activent pour développer une jurisprudence moderne qui tienne compte des évolutions de la société marocaine.
* Polygamie, égalité homme-femme en matière d'héritage, relations hors mariage figurent parmi les revendications brandies par la société civile depuis que SM le Roi a initié cette réforme. Jusqu'où pourra-t-on aller ? - SM le Roi était clair lorsqu'il a dit qu'Il ne permettra pas ce que Dieu a interdit, et qu'Il n'interdira pas ce que Dieu a permis, en particulier dans les domaines qui sont encadrés par des textes coraniques clairs et précis. Ces questions trouvent leurs réponses dans des versets coraniques bien clairs. Raison pour laquelle je crois que la réforme n'ira pas loin surtout dans la question de l'héritage et des relations hors mariage.
Instance chargée de la réforme : Plus de 100 auditions tenues à fin décembre Quelques jours seulement après sa mise en place suite à la lettre Royale adressée au Chef du gouvernement au sujet de la réforme de la Moudawana, l'Instance chargée de la refonte de ce texte a entamé les séances d'écoute et d'audition, dans le cadre de la mise en œuvre de l'approche participative élargie. Au bout du compte, l'Instance a tenu 130 séances au cours desquelles elle a auditionné « le plus grand nombre possible d'acteurs de la société (institutions, société civile, partis politiques, centrales syndicales, centres de recherche...), qui ont présenté leurs perceptions et propositions concernant la réforme du Code de la famille », avait fait savoir le procureur général du Roi près la Cour de Cassation, président du Ministère public et membre de l'Instance, El Hassan Daki, à l'issue de la dernière séance d'écoute organisée fin décembre dernier. Dans le cadre du respect du délai de six mois fixé par SM le Roi, Daki avait affirmé que l'Instance chargée de la révision du Code de la famille examinera l'ensemble des propositions, recommandations et études qui lui ont été soumises au cours des différentes séances d'audition, ainsi qu'à travers des mémorandums écrits dans l'optique de remédier aux dysfonctionnements du Code en vigueur. Code de la famille : L'unité familiale au centre des recommandations de l'Istiqlal Dans le cadre de la démarche participative adoptée dans le cadre de la réforme du Code de la famille, la Commission chargée de ce chantier avait accordé des auditions aux partis politiques, dont le Parti de l'Istiqlal. Les propositions formulées par les membres du parti visent principalement à renforcer la cohésion familiale, à préserver l'intérêt supérieur des enfants et à consolider les droits de la femme, tout en respectant les dispositions des textes de la Charia et la jurisprudence. La formation politique a aussi souligné la nécessité d'œuvrer dans le cadre de ce chantier pour mettre en place des mesures d'accompagnement permettant d'améliorer la situation des familles, notamment l'institutionnalisation de la réconciliation familiale, le développement et le renforcement des tribunaux de la famille et des politiques publiques favorisant l'emploi et l'autonomisation des femmes. L'idée étant, selon le Parti de la Balance, de corriger les dysfonctionnements et combler les lacunes que l'expérience de sa mise en œuvre judiciaire a révélés pendant 20 ans. En plus de la question de la filiation, le mariage des mineures, la pension ou encore la gestion des acquêts matrimoniaux, les membres du parti ont largement insisté sur l'importance de placer l'intérêt supérieur de l'enfant au cœur de cette refonte et, par conséquent, « toute victoire dans cette voie de réforme devrait être engrangée en faveur de l'enfant », insiste Khadija Ezzoumi, députée et présidente de l'Organisation de la Femme Istiqlalienne (OFI).