A terme, chaque province et préfecture verra l'ouverture d'un tribunal de famille. En tout, 70 tribunaux seront créés. Etat civil, violence à l'encontre de la femme et de l'enfant, mariage et divorce, garde des enfants, tutelle et pension seront de leur ressort. 500 magistrats y officieront. Quarante mille. Tel est le chiffre annuel moyen des divorces sur les dix dernières années. Ce chiffre à lui seul donne une idée de l'ampleur du défi que doit relever la Justice marocaine. Pourquoi? Tout simplement parce que le nouveau Code de la Famille a érigé les tribunaux de famille en acteur central et que le divorce ne pourra être prononcé que par le juge, sans parler des autres matières également dévolues à la Justice. La «procédure judiciaire» a ainsi été généralisée et systématisée. Pour oser un néologisme, disons que tout a été «judiciarisé». Ce qui signifie que les nouveaux tribunaux de famille seront compétents pour tout ce qui touche le statut personnel et successoral : l'état civil, la violence à l'encontre de la femme ou de l'enfant, le mariage et le divorce, la garde des enfants, la tutelle légale, la pension et les affaires des mineurs. C'est là l'une des raisons justifiant la création des tribunaux de famille. Mais elle n'est pas exclusive. La pratique a démontré depuis 1993 (date de la première réforme de la Moudawana) la nécessité de la création de telles juridictions. Le Souverain l'avait affirmé lors du discours d'ouverture de l'année judiciaire, le 29 janvier 2003. Il l'a réaffirmé dans sa lettre du 12 octobre 2003 adressée au ministre de la Justice, Mohamed Bouzoubaâ. «L'application de la Moudawana a confirmé que les lacunes et les défaillances qui ont été relevées ne tenaient pas seulement à certaines dispositions de ce code, mais surtout à l'absence de juridictions de la famille, qualifiées (…) à même de garantir (…) la célérité requise dans le traitement des dossiers et l'exécution des jugements». C'est pourquoi les préparatifs ont été entamés dès le début de l'année en cours pour ouvrir les douze premiers tribunaux de famille dans les principales régions du pays. Sept tribunaux de famille déjà opérationnels Il a ainsi été décidé d'ouvrir un tribunal de famille dans chacun des soixante-dix tribunaux de première instance du Royaume. A terme, donc, chaque province et préfecture verra l'ouverture d'un tribunal de famille. Néanmoins, les villes où le nombre de dossiers traités est le plus important, seront prioritaires dans cette programmation. Douze juridictions de ce type ont d'ores et déjà été aménagées, équipées et dotées en ressources humaines adéquates. Cinq d'entre elles sont opérationnelles à Rommani, Benslimane, Tiznit, Inezgane et Tanger. Deux autres ont été récemment inaugurées par le ministre de la Justice à Casablanca (17 octobre) et à Settat (24 octobre). Et, enfin, les cinq dernières le seront dans les jours qui viennent à Fquih Bensaleh, Ouarzazate, Sidi Bennour et Casablanca. Il restera donc cinquante-huit tribunaux de famille à aménager, à équiper et à mettre en service. A titre d'exemple, les besoins des juridictions de famille en magistrats spécialisés s'élèvent à près de 500 juges et, en équipement informatique, à plus de 400 ordinateurs… Ce qui nécessite un budget conséquent. Et encore, ces juridictions sont hébergées dans les tribunaux de première instance. Cette situation est-elle appelée à durer ? Zhour El Horr, présidente du tribunal de première instance de El Fida-Derb Soltane, et membre de la Commission consultative royale de révision de la Moudawana, ne le pense pas : «Actuellement, étant donné les moyens disponibles, les tribunaux de famille sont logés en tant que chambres spécialisées dans les tribunaux de première instance. Il s'agit d'une situation provisoire. Les tribunaux devront devenir à terme des juridictions spécialisées autonomes à l'instar des tribunaux de commerce et des tribunaux administratifs. Cette évolution pourra être entamée par les plus grandes villes du pays». Après l'adoption du nouveau Code de la famille, les tribunaux de famille ne chômeront pas en raison de cette «judiciarisation» de la procédure, qui est considérée par nombre de spécialistes comme l'un des principaux acquis de la réforme de la Moudawana. Ahmed Khamlichi, directeur de Dar al Hadith al Hassania, et membre de la Commission de révision de la Moudawana, en fait partie. Il argumente son propos en donnant l'exemple de l'autorisation de la polygamie, du divorce ou du mariage du mineur qui intervenait selon une procédure qui n'était ni verbale ni écrite, puisque l'on se contentait de remplir un formulaire ne comportant ni les requêtes des parties, ni les fondements sur lesquels s'était fondé le juge pour prononcer son jugement. Il a également cité l'absence de procédure judiciaire en ce qui concerne les multiples plaintes relatives à la détermination du montant des droits dus à la femme divorcée et à ses enfants qui étaient fixés sans aucune référence ni au revenu du conjoint, ni à ses possibilités financières et encore moins aux besoins des enfants… Un guide de la famille sera édité Une autre nouveauté positive en matière de procédure appliquée par ces tribunaux mérite d'être signalée. Elle concerne le passage de la procédure écrite à la procédure orale. En quoi est-elle positive ? Réponse de Mme El Horr : «Elle constitue une avancée parce qu'elle rend la justice plus accessible, moins chère et plus rapide. Primo, par son caractère oral, elle prend en considération le taux élevé d'analphabétisme dans le pays. Secundo, elle est moins chère, voire gratuite, puisque la présence de l'avocat n'étant pas obligatoire, le justiciable peut plaider lui-même devant le juge de famille. Tertio, tout cela réuni assure la célérité des jugements». Enfin, hormis la création des tribunaux de famille, l'accent sera mis sur la formation de magistrats spécialisés et l'élaboration d'un guide pratique. En ce sens, près de trente magistrats sont actuellement en formation à l'Institut supérieur de la magistrature. Par ailleurs, une commission d'experts sera incessamment constituée pour élaborer ce guide pratique comportant les différents actes, dispositions et procédures concernant les tribunaux de famille pour en faire une référence unifiée pour ces juridictions. On se doute donc bien que le ministère de la Justice est très sollicité par cette réforme majeure du statut personnel, à la fois en termes d'élaboration de textes, de formation des juges et de la mise à la disposition des tribunaux des moyens nécessaires pour l'ouverture des juridictions de famille