Sept Collectifs féministes se sont réunis les 10 et 11 novembre, dans une Conférence nationale, pour livrer leurs visions par rapport à ce chantier qui revêt une grande importance pour l'égalité homme-femme en droits et en obligations. Interrogés par « L'Opinion », les membres appellent à une réforme globale et en profondeur du texte de la Moudawana. Venues des quatre coins du Maroc, plusieurs dizaines de femmes, affiliées à des Collectifs féministes ou non, ont pris part à une Conférence nationale consacrée au chantier de la réforme du Code de la famille. Tenue à Rabat sous le thème : « Pour des législations égalitaires, dans un Maroc en Mutation», cet événement a réuni sept Coordinations, coalitions et collectifs associatifs pour la défense des droits et libertés, en général, et les droits de la femme et de l'enfant, en particulier. Ils plaident pour l'intégration de l'égalité dans toutes les dispositions des législations et réglementations relatives aux familles, conformément aux dispositions de la Constitution et des conventions internationales ratifiées par le Maroc. Cette rencontre fait suite à une série de consultations avec l'instance chargée de la réforme de la Moudawana. L'espoir dans leurs yeux, les femmes que « L'Opinion » a interrogées sont toutes convaincues de la nécessité urgente de revoir la Moudawana de façon à concocter un Code servant l'équilibre au sein de la famille et les droits et la dignité des femmes et des enfants.
Réforme globale « Voilà, après des années de lutte, nous sommes sur le point de franchir un pas important pour adapter la Moudawana à la réalité sociale et sociétale de notre pays, et ce, en raison de la vision éclairée de SM le Roi Mohammed VI », a commenté Zahra, venue du Sud du Royaume pour livrer ses recommandations de femme citoyenne lors de ladite conférence. Pour elle, tous les espoirs sont désormais permis pour changer la donne et donner à chacun son droit, notamment la femme. Même son de cloche du côté des militants et professionnels de droit, qui ont appelé à une refonte « globale » et « profonde » de la Moudawana dont le texte ne correspond plus à la réalité de la société marocaine qui a beaucoup évolué depuis la dernière réforme qui a eu lieu en 2004. « Une réforme réussie doit toucher la forme que le fond du texte afin d'aboutir à un texte moderne harmonieux exempt de propos et de dispositions discriminatoires contre la femme relatifs notamment au mariage, de nature à garantir les principes de l'égalité et de l'équité pour la femme ». Dans ce sens, ils ont argué que le « fiqh », qui est la jurisprudence religieuse, doit être adapté aux évolutions de la société et au rôle que joue la femme dans les divers secteurs. Ainsi, ils plaident pour un effort (ijtihad) jurisprudentiel « moderne ». A cet égard, les collectifs appellent à rompre avec l'article 400 du Code de la famille, selon lequel le juge « se réfère aux prescriptions du Rite Malékite (....) aux fins de donner leur expression concrète aux valeurs de justice dans les cas où la loi n'apporte pas une réponse claire à certaines questions ». Interrogée par « L'Opinion », Aïcha Alahiane, de la Coordination féministe pour une refonte globale du Code de la famille, préconise de se référer, dans ce sens, à la Constitution de 2011 ou encore aux Conventions internationales au lieu du Rite Malékite, en raison, selon elle, de son caractère non adapté aux évolutions de la société. Selon les Collectifs, d'autres questions épineuses s'imposent, auxquelles il est urgent d'apporter des réponses claires et définitives. Aïcha Alahiane en cite, d'ailleurs, la tutelle parentale, la polygamie, le mariage des mineurs, la pension alimentaire, la garde, entre autres. Durant la conférence, elle a insisté sur l'importance de mettre en place « une norme commune concernant la pension alimentaire en vue de rompre avec toutes les voies de corruption possibles », sans oublier de consolider le partage de la responsabilité de la garde d'enfant, particulièrement en cas d'handicap, entre les parents. Le divorce par procuration, notamment pour les Marocains résidant à l'étranger, ne passe pas inaperçu pour les militants qui ont pris part à cet événement. Les membres que nous avons interrogés appellent à rompre avec cette pratique qui, bien qu'elle soit autorisée par une jurisprudence de la Cour de Cassation, va à l'encontre des droits de la femme.
Libertés individuelles Les libertés individuelles dans les législations pénales ont été au centre des débats lors de la même conférence. En effet, l'avocat Houcine Raji a relevé la nécessité de procéder à une révision profonde des législations et politiques pénales en cours, parallèlement au Code de la famille. « Les textes pénaux doivent être des garanties pour les libertés individuelles et non pas un outil de censure sur les individus », a-t-il souligné. La question de l'avortement qui ne cesse de faire polémique s'est imposée, naturellement, dans ladite conférence. En effet, nos interlocuteurs préconisent d'introduire l'acte de l'avortement dans le Code de la Santé au lieu du Code pénal, sauf pour les cas d'avortement forcé. En plus de rompre avec le deuxième paragraphe de l'article 446 du Code pénal pour reconnaître le choix de l'avortement comme secret professionnel. Il est également question, selon nos interlocuteurs, de renvoyer la décision de l'avortement à la Commission scientifique pour examiner l'acte en cas d'anomalies génétiques pouvant mettre en danger la santé de la mère.
Filiation paternelle Sur cette question, les militants appellent à la nécessité d'ériger l'expertise génétique en cause déterminant la filiation paternelle à l'instar des «rapports conjugaux» et de «l'aveu du père» disposés dans l'article 152 de l'actuel Code de la famille. En outre, ils appellent à ce que les enfants issus de grossesses «illégitimes» soient pris en charge par leur père jusqu'à l'âge de 21 ans, si les tests ADN prouvent la paternité. « Il est essentiel de promouvoir la filiation des enfants illégitimes comme un droit légitime afin de garantir les droits de chaque enfant quel que soit le cadre dans lequel il a été conçu », soulignent les intervenants à la conférence.
Mina ELKHODARI
Trois questions à Aïcha Alahiane « Il ne faut pas négliger la dimension linguistique dans la révision des lois » Membre de la Coordination féministe pour une refonte globale du Code de la famille ayant pris part à la conférence nationale sur la réforme de la Moudawana, Aïcha Alahiane a répondu à nos questions. - Dans vos recommandations, vous accordez une importance autant à la forme qu'au fond du Code de la famille. En quoi cet aspect est t-il important ? - La dimension linguistique nécessite une attention particulière afin d'éliminer toute forme de discrimination, particulièrement dans les textes législatifs. Par exemple, l'idée que les épouses bénéficient d'une pension alimentaire seulement après des rapports intimes, alors que le fondement du mariage réside dans le respect mutuel, le bien-être familial et la poursuite du bonheur, est perçue comme dégradante pour la femme. Il est préconisé de substituer de telles expressions par des formulations légales ancrées dans les principes des droits fondamentaux de l'Homme. - A quel point l'aboutissement de la réforme du Code pénal est t-il en mesure de consolider le principe de l'égalité, maître mot de votre plaidoyer ? - La refonte de la Moudawana doit être accompagnée par une révision globale des différents textes de loi en vigueur, notamment le Code pénal dont les dispositions touchent directement à la femme, à l'enfant et à la famille. C'est, d'ailleurs, l'absence de cette démarche lors de la réforme de 2004 qui nous a menés nulle part, sans répondre aux attentes de la femme et donc de la famille. Si, aujourd'hui, on plaide pour un Code de la famille basé sur le principe de l'égalité, il faut que le Code pénal puisse consolider ce principe, notamment dans certaines dispositions qui concernent les libertés individuelles. - Quelle approche préconisez-vous dans ce sens ? - L'engagement en faveur des droits des femmes nécessite une approche inclusive. Parallèlement à une révision profonde des lois, des politiques publiques axées sur l'égalité des genres doivent être mises en place afin de garantir la participation des femmes au développement et à assurer l'égalité d'accès à tous les droits économiques et sociaux. Cela implique également l'abolition de l'approche patriarcale qui marginalise les femmes.