La relance des grands chantiers de construction et d'infrastructure est une aubaine pour les entreprises du BTP, qui revoient à la hausse les prévisions de leurs carnets de commandes. Depuis quelques mois, les entreprises du secteur BTP (Bâtiment et Travaux Publics) marchent sur un nuage. TGCC, un des leaders du marché, a vu le cours de son action à la Bourse de Casablanca s'envoler de plus de 40% depuis le début de l'année. Le même phénomène est observé pour les autres entreprises du secteur, comme LafargeHolcim (+47%) ou encore Sonasid (+46 %).
Cette euphorie s'explique par de belles perspectives pour le domaine, et la promesse d'une explosion des carnets de commandes. Annoncé le 17 octobre suite à une séance de travail présidée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, le nouveau programme d'aide au logement devrait redynamiser l'immobilier, et par conséquent multiplier les chantiers de construction.
Cette décision n'est que la cerise sur le gâteau d'une longue séquence de bonnes nouvelles. La reconstruction et la réhabilitation des zones affectées par le séisme est une aubaine pour les entreprises BTP, tout comme l'organisation de la Coupe du Monde 2030. Les projets devraient inclure tout le spectre des activités du secteur, dont l'ingénierie, le génie civil ou encore la rénovation et la réhabilitation.
Investissements colossaux
"Nous sommes évidemment optimistes pour l'avenir. Mais en tant qu'entrepreneurs, nous attendons la concrétisation de ces annonces à travers les appels d'offres", nous répond, prudent, Mohamed Mahboub, président de la Fédération Nationale du Bâtiment et des Travaux Publics (FNBTP). Cette méfiance vient du fait que, durant de longues années, les acteurs du BTP ont souffert d'un manque de visibilité de la part de l'Etat, ainsi que de projets au compte-gouttes et souvent sous-dimensionnés par rapport à leurs capacités.
Dépendant largement de la commande publique, le secteur n'a commencé à voir le bout du tunnel que depuis cette année. Dans sa volonté de redémarrer l'économie post-Covid, le gouvernement a sensiblement augmenté l'investissement public. En 2023, la valeur globale du programme des marchés du BTP a enregistré un record, en dépassant les 45 milliards de dirhams. Cela inclut les secteurs de l'eau (14 milliards de dirhams), des routes et autoroutes (environ 13,6 milliards de dirhams), des ports (5,05 milliards de dirhams) et des équipements publics (13 milliards de dirhams).
En intégrant les établissements et entreprises publics (EEP), l'investissement total au cours de cette année a été de 300 milliards de dirhams. Selon le Projet de Loi de Finances (PLF) 2024, ce budget poursuivra sa hausse en atteignant les 335 milliards de dirhams. Une partie de ce montant représente des allocations à des stratégies de longue durée, comme le Programme National pour l'Approvisionnement en Eau Potable et l'Irrigation 2020-2027 (143 milliards de dirhams), le Programme de Reconstruction du Haut Atlas 2024-2028 (120 milliards de dirhams), ainsi que la mise à niveau et la construction de stades 2023-2028 (15,5 milliards de dirhams).
Préférence nationale
Reste à savoir si ces projets profiteront aux entreprises marocaines, et si une partie ira aux PME (Petites et Moyennes Entreprises) et TPE (Très Petites Entreprises). "Le nouveau décret sur les marchés publics devrait avantager l'entreprise nationale, et nous permettre de travailler dans de meilleures conditions", nous explique Mohamed Mahboub, président de la FNBTP. Entré en vigueur le premier septembre, ce texte porté par le ministre de l'Equipement et de l'Eau, Nizar Baraka, révolutionne la gestion de la commande publique.
La sélection ne se fait plus sur la base du moins-disant, mais du mieux-disant, privilégiant ainsi la qualité au prix. Ce nouveau décret impose au maître d'ouvrage de réserver 30% du montant prévisionnel des marchés qu'il compte lancer, au titre de chaque année budgétaire, aux PME et TPE installées au Maroc. D'autres structures sont également concernées, comme les startups, les auto-entrepreneurs, les coopératives et les fédérations de coopératives.
Enfin, le nouveau décret sur les marchés publics ancre le principe de préférence nationale dans la commande publique. Durant le processus de sélection, la priorité est donnée aux entreprises marocaines, au détriment des concurrents étrangers. Seul bémol : ces règles ne s'appliquent pas aux EEP (ADM, ONCF, ONDA...), dont les procédures d'appels d'offres demeurent distinctes.
Soufiane CHAHID : Trois questions à Mohamed Mahboub Quelles sont, selon vous, les perspectives pour le secteur du BTP ?
Nous sommes évidemment optimistes pour l'avenir. Mais en tant qu'entrepreneurs, nous attendons la concrétisation de ces annonces à travers les appels d'offres. Et ces appels d'offres ne peuvent venir que du secteur public, dont nous dépendons fortement. Effectivement, 70% des entreprises du BTP travaillent avec le secteur public.
Ce qui nous intéresse, ce ne sont pas les annonces, mais le nombre d'appels d'offres publiés. Pour l'instant, il n'y a pas grand-chose. Peut-être qu'il faut attendre l'adoption du PLF 2024 pour que les choses se débloquent.
Ces nombreux projets vont-ils profiter à toutes les entreprises, grandes et petites ?
Je pense que oui. Pour la reconstruction dans la région du Grand Atlas par exemple, les petites et moyennes entreprises ainsi que des entreprises locales de BTP seront impliquées. D'autant plus qu'aujourd'hui, avec le nouveau décret, une partie de la commande publique est réservée aux PME, avec un seuil de 30%.
Et puis il y a aussi la décision de subventionner les acquisitions de logements, qui peut faire redémarrer l'immobilier. Cela veut dire qu'il y aura de la construction dans le privé, et que les promoteurs vont faire travailler les PME, c'est ce qu'on souhaite. Cela peut créer une belle dynamique pour nous.
Comment vous préparez-vous à ces prochains appels d'offres ?
Les entreprises du BTP sont en pleine phase d'adaptation aux nouvelles normes exigées par le récent décret. Il faut par exemple actualiser les CPS (Cahier des prescriptions spéciales). Les offres ne se feront plus au moins-disant mais au mieux-disant. On va tenir compte de la qualité, du respect des délais et de la législation. Et cela a un prix. Nous espérons que nos entreprises tiendront compte de ces spécificités.
Mondial 2030 : Les projets sortent des cartons Une convention de partenariat a été signée entre le gouvernement et la Caisse de Dépôt et de Gestion (CDG) pour le financement du programme de mise à niveau de six stades de football, choisis dans les villes de Tanger, Casablanca, Rabat, Agadir, Marrakech et Fès, ainsi que pour la construction d'un nouveau stade à Benslimane, en prévision de la CAN 2025 et du Mondial 2030.
Avec cette convention, le gouvernement a parachevé la mise en place des sources de financement pour la mise à niveau et la construction des stades devant accueillir les phases finales de la CAN 2025 et du Mondial 2030. Ainsi, aux termes de la convention, un budget de quelque 9,5 milliards de dirhams sera mobilisé pour la mise en œuvre des projets d'investissement relatifs à la mise à niveau de ces stades, en conformité avec les normes de la CAF dans la période 2023 - 2025. Une deuxième mise à niveau sera opérée lors d'une étape suivante, en conformité avec les normes de la FIFA pour un budget allant de 4,5 à 6 milliards de dirhams, et ce, sur la période 2025 - 2028. Décret des marchés publics : Du "moins-disant" au "mieux-disant" Grâce au nouveau décret, le système des marchés publics est passé d'une culture axée sur la procédure du moins-disant vers une logique fondée sur le modèle du mieux-disant. Cela s'est fait grâce à l'introduction de plusieurs mesures, comme l'institution de la règle d'écartement systématique des offres anormalement basses ou excessives par rapport à l'estimation établie par le maître d'ouvrage.
L'offre est jugée excessive lorsqu'elle est supérieure de plus de 20% par rapport à l'estimation du coût des prestations établie par le maître d'ouvrage pour les marchés de travaux, de fournitures et de services autres que ceux portant sur les études.
Elle est jugée anormalement basse lorsqu'elle est inférieure de plus de 20% par rapport à l'estimation du coût des prestations établie par le maître d'ouvrage pour les marchés de travaux, et de 25% par rapport à l'estimation du coût des prestations établie par le maître d'ouvrage pour les marchés de fournitures et de services autres que ceux portant sur les études.
Le nouveau texte a également introduit un nouveau mode d'évaluation et de classement des offres financières basé sur le prix de référence, qui s'entend de la moyenne arithmétique résultant de l'estimation du coût des prestations établie par le maître d'ouvrage et de la moyenne des offres financières des concurrents retenus.
Enfin, le décret a mis en place un seuil d'admissibilité des concurrents, lorsque l'offre technique est exigée par le maître d'ouvrage dans le règlement de consultation.