En attendant que les gardes-fous prévus par la réglementation soient pleinement mis en oeuvre, la FNBTP envisage d'autres parades pour rappeler à l'ordre les casseurs de prix. La tendance ne date pas d'hier mais elle commence à prendre des proportions préoccupantes : la casse des prix s'intensifie chez les entreprises de BTP. «Depuis quelques semaines, des opérateurs abaissent les tarifs de leurs prestations à des niveaux inédits», constate la Fédération Nationale du BTP (FNBTP). «Les moins-disants lors des appels d'offres affichent actuellement des prix jusqu'à 20% inférieurs par rapport au reste des soumissionnaires. Dans des cas extrêmes, l'écart peut atteindre 30%, alors qu'en règle générale cet écart reste contenu à 5%», précise le patron d'une grande entreprise de BTP à Casablanca. Inutile de préciser que les entreprises qui placent la barre aussi bas travaillent au prix coûtant, voire à perte. «Certains opérateurs demandent pour des ouvrages en béton prêt à l'emploi 800 DH/m3, soit tout juste le prix de la matière première tandis que le transport, les travaux de mise en œuvre et les pertes ne sont pas facturés au maître d'ouvrage», illustre le patron d'une entreprise spécialisée dans les travaux publics. Certains poussent le vice jusqu'à proposer des prix qui ne couvrent même pas le prix des intrants, selon d'autres témoignages. Le pire c'est que, autant les marchés publics que privés sont concernés par le phénomène, et tous les principaux types de travaux sont impactés, qu'il s'agisse des terrassements, des travaux de voierie, des ouvrages d'art ou encore des gros œuvres. La situation a en fait pris une telle ampleur que la FNBTP a interpelé ces derniers jours le ministre de l'Equipement sur la question. Pourquoi une telle pratique? Cela s'explique d'abord par le fait que le marché a tendance à rétrécir. «Avec une enveloppe dédiée à l'investissement budgétaire qui baisse de 10 milliards de DH en 2014, à 49,5 milliards de DH, il y a nécessairement moins d'activité pour les entreprises de BTP, sans compter les reports et les annulations de marchés», rappelle-t-on à la FNBTP. Pour ne rien arranger, un nombre grandissant d'opérateurs se dispute ce gâteau de moindre taille, notamment du fait d'un afflux soutenu d'entreprises étrangères. Ce sont ces dernières, selon les professionnels nationaux, qui ont recouru les premières à la casse des prix pour remporter des marchés. Les entreprises locales n'ont eu par la suite de choix que de suivre surtout qu'elles doivent alimenter coûte que coûte leur activité. «Poussés par les pouvoirs publics, les opérateurs ont investi fortement en ressources humaines et matérielles entre 2006 et 2008 pour faire face au rythme soutenu de la commande publique», relatent les responsables de la fédération. «Si ces entreprises, qui se sont fortement financées à crédit, ne s'assurent pas à présent un niveau minimum d'activité, elles ne seront plus en mesure de faire face à leurs engagements et leur survie sera compromise», poursuit-on. «Pour éviter cela, on préfère repousser la faillite, en alimentant l'activité comme on peut et en tablant sur une reprise qui nous permettra de nous relever», résume un opérateur. Recours à une main-d'œuvre peu qualifiée et †̈à des matériaux de qualité médiocre Mais d'ici là, le secteur pourrait subir bien des dégâts. Entre autres maux résultant de la braderie actuelle, l'afflux d'une main-d'œuvre peu qualifiée sur le secteur. En effet, «pour proposer des prix écrasés lors des appels d'offres, certains opérateurs recourent à de la main-d'œuvre peu formée et donc peu coûteuse, sans d'ailleurs la déclarer», dénonce un patron d'entreprise. «Aussi, pour compresser leurs charges ces entreprises ne se privent pas de tricher sur la qualité et la quantité des matériaux utilisés», ajoute-t-il. Il va sans dire que ces économies de bout de chandelle «nuisent à la qualité des ouvrages, ce qui fait que c'est la collectivité qui est la grande perdante en fin de compte», soulignent les opérateurs. Des remparts existent pourtant contre la situation dans laquelle on se retrouve aujourd'hui. Depuis 2007, les offres anormalement basses sont précisément définies dans la réglementation de la commande publique et l'entrée en vigueur du nouveau décret sur les marchés publics affine davantage les choses. A présent, une offre anormalement basse est définie comme étant inférieure de plus de 25% à l'estimation publique (réalisée par le maître d'ouvrage lui-même). Lorsqu'ils sont confrontés à ce type d'offres, les maîtres d'ouvrage sont tenus de demander au soumissionnaire concerné les explications qu'ils jugent opportunes. Sur la base de ces justifications, l'administration est fondée à accepter ou rejeter l'offre. Le but de cette procédure est de s'assurer que la faiblesse de l'offre de prix s'explique par des raisons légitimes énoncées par la réglementation: économies générées par les modèles de fabrication des produits, modalités de prestation de services avantageuses, procédés de construction, utilisation rationnelle des ressources, originalité de l'offre, conditions de réalisation exceptionnellement favorables… Mais dans les faits, cette procédure n'est exécutée que pour la forme, selon les témoignages des opérateurs. «Dans la pratique, les maîtres d'ouvrage confrontés à des offres anormalement basses ne veulent pas assumer leurs responsabilités et se contentent de de demander et d'accepter les justifications des initiateurs de ces offres», dévoile un professionnel. «Une raison souvent invoquée par les initiateurs d'offres de prix écrasées, et acceptée par l'administration, concerne l'usage d'un stock de matière première acheté à prix avantageux. Or, ce facteur ne peut en aucun cas justifier les écarts de prix actuels à deux chiffres constatés entre les soumissionnaires», illustre-t-il. En attendant que les gardes-fous prévus par la réglementation soient pleinement mis en oeuvre, la FNBTP envisage d'autres parades pour rappeler à l'ordre les casseurs de prix. Ainsi, la fédération œuvre pour introduire le critère de la santé financière dans le dispositif de qualification des entreprises de BTP, par lequel l'administration désigne les opérateurs aptes à participer à des marchés publics. De la sorte, les entreprises qui baissent anormalement leurs prix pourront être pistées et mises à l'index au moyen de leurs états financiers.