Le référentiel des prix des marchés publics dans le BTP n'a pas été généralisé fin 2019 comme attendu. Les négociations avec les opérateurs avancent lentement. En attendant, certains continuent de brader les prix au grand dam d'un bon nombre d'opérateurs du BTP. Après le référentiel commun des prix immobiliers lancé en mai 2019 en marge des Assises sur la fiscalité, d'autres référentiels sont également très attendus notamment celui des prix dans le marchés du BTP. Un référentiel ô combien important pour optimiser et rationaliser la dépense publique, souvent pointée du doigt par les magistrats de la cour des comptes, mais surtout pour mettre de l'ordre dans un secteur capital pour l'économie (40 Mds de DH d'investissement en 2019) qui connaît plusieurs failles. Le ministre de l'Equipement, du Transport, de la Logistique et de l'Eau, Abdelkader Amara s'était engagé lors d'une journée d'information sur les programmes prévisionnels des marchés publics du Bâtiment et des Travaux Publics (BTP) en février 2019 de généraliser le référentiel des prix en 2019. Nous sommes déjà en 2020 et ce référentiel n'a toujours pas vu le jour. Une source proche du dossier au sein du ministère nous a pourtant affirmé que les négociations sont toujours en cours avec les professionnels. Le département de Amara espère pouvoir boucler ce chantier durant le 1er trimestre 2020. Il est fort probable que le ministère profite de la tenue de la journée d'information sur les programmes prévisionnels des marchés publics du BTP prévue en février, pour annoncer l'aboutissement de ce chantier. Encore faut-il que les pourparlers avec les principaux concernés avancent plus vite pour rattraper le retard accusé. Il faut dire que la révision du décret des marchés publics en 2013 qui avait institué la publication de l'estimation administrative des projets n'a pas été accompagnée de mesures concrètes pour bien évaluer la pertinence de cette estimation. « Les estimations des projets devraient se faire sur la base d'une étude des prix. Or dans la réalité, ce qui n'est pas le cas. Les estimations administratives ne sont pas fondées. L'administration se base plutôt sur des statistiques. Idem pour les entreprises, leur offre ne se fait pas sur une étude des prix mais se base plutôt sur les estimations du maître d'ouvrage », nous explique un professionnel du secteur qui souhaite garder l'anonymat. C'est pourquoi les opérateurs BTP ne cessent de dénoncer des pratiques non concurrentielles qui pénalisent le marché. Mais pas que. Le choix des adjudicataires des marchés publics sur la base du moins-disant, sacro-saint de l'Etat, est en grande partie la raison des maux dont souffre ce secteur. Et comme dit l'adage, « le moins-disant n'est pas toujours le mieux-disant », les corolaires de ce choix sont nombreux notamment la qualité des infrastructures et les conditions de travail des ressources humaines. Contacté par nos soins, David Toledano, président de la Fédération des Industries des Matériaux de Construction (FMC) affirme que les négociations n'avancent pas au rythme souhaité. « Malheureusement, en l'absence de ce référentiel, plusieurs entreprises n'arrivent plus à décrocher des marchés vu que leurs offres sont jugées trop chères », déplore-t-il. En effet, certains opérateurs appliquent des réductions allant jusqu'à -35% des montants projetés bien que la loi définit une offre anormalement basse lorsqu'elle est inférieure de plus 25%. Une baisse que beaucoup considèrent non justifiée, voire pénalisante, puisque les marges bénéficiaires ne sont pas aussi élevées. Aujourd'hui, les opérateurs mènent une guerre sans merci au péril du secteur en tirant les prix du marché vers le bas. Pourtant face à des réductions pareilles, le maître d'ouvrage devrait annuler le marché et relancer l'appel d'offre. Justement, que prévoit la loi ? Si dans le cas d'une offre excessive, soit +20% par rapport à l'estimation du coût des prestations établie par le maître d'ouvrage, le décret des marchés publics prévoit un rejet automatique de l'offre par la Commission d'appel d'offre, il n'en n'est pas de même pour une offre basse. En effet, en cas d'offre anormalement basse, la commission d'appel d'offres invite par écrit le concurrent concerné à justifier ses prix. Sur la base du rapport établi sous la responsabilité de la sous-commission, la commission peut écarter ladite offre. Ce qui n'arrive quasiment jamais nous affirme un expert, si ce n'est à quelques exceptions près que l'on peut compter sur les bouts des doigts. « La commission accepte quasi automatiquement les justificatifs alors qu'en principe elle doit faire une enquête réelle pour justifier une offre très basse. Le manque à gagner est énorme d'où l'impératif pour la commission de bien veiller à la préservation des deniers de l'Etat et de garantir la livraison d'infrastructures de qualité », tient à préciser notre interlocuteur. Il faut dire que les critères de référence exigés dans le décret des marché publics restent vagues et donc non auditables, ni vérifiables encore moins calculables, ouvrant la voie aux dérives. Le Président de la Fédération nationale du bâtiment et des travaux publics (FNBTP) avait lui aussi tiré la sonnette d'alarme sur les risques de ces pratiques. « L'un des freins majeurs du secteur est bien celui des prix. C'est un fléau dangereux aussi bien pour les projets eux-mêmes que pour les entreprises. Les maîtres d'ouvrage l'ont d'ailleurs ressenti au niveau de l'exécution des projets », avait souligné Mouloudi Benhamane. En effet, pour garantir une marge bénéficiaire confortables, certains opérateurs à des pratiques douteuses pour obtenir le précieux sésame. Mais à quel prix ? En attendant la généralisation du référentiel des prix, l'enjeu aujourd'hui est que la Commission joue pleinement le rôle qui lui incombe en analysant dans le fond les offres très basses et avoir le courage de les rejeter quand il le faut.