La réforme du décret relatif aux marchés publics, intervenue en 2007, a buté sur quelques dysfonctionnements. Dans sa version publiée au SGG, le projet est le fruit d'une large concertation entre toutes les parties concernées. Raounak Abderrahim, expert consultant en BTP et marchés publics, nous éclaire sur les enjeux de la réforme. - Finances News Hebdo : Après trois ans de mise en œuvre du décret relatif aux marchés publics, on parle encore de la réforme dudit décret. Pouvez-vous nous expliquer dans quel cadre s'inscrit cette réforme ? - Raounak Abderrahim : Il est certain que la réforme du décret sur les marchés de l'Etat, intervenue en 2007, a apporté d'importants changements positifs par rapport au décret de 1998. Cependant, très vite après sa mise en œuvre, on s'est aperçu de certains dysfonctionnements auxquels il était nécessaire de remédier pour améliorer les conditions de passation des marchés publics dans l'objectif de plus de transparence, du libre jeu de la concurrence, d'accès à la commande, d'égalité de traitement des concurrents, d'efficacité de la dépense publique et de la simplification des procédures pour un choix équitable des concurrents. En plus du décret de l'Etat, il y a la panoplie des règlements applicables aux différents Etablissements publics qui caractérise l'achat public, et qui est de nature à désorienter les entreprises intéressées. C'est essentiellement cela qui explique la volonté des pouvoirs publics et des professionnels concernés de franchir un nouveau pas vers la réforme en cours. - F.N.H. : Quels sont les principaux apports de cette réforme, et dans quelle mesure répond- elle aux besoins des opérateurs ? - R. A. : Il faut reconnaitre que le projet, dans sa version publiée dans le site du Secrétariat Général du Gouvernement, est le fruit d'une large concertation entre les services de l'Etat, chargés de l'élaboration du projet de décret, et les principaux professionnels concernés. Ainsi, de nombreuses dispositions de nature à renforcer les principes de base des marchés publics ont été introduites et, à cet égard, on peut énumérer, entre autres : •l'unification du système de passation des marchés à l'Etat, aux collectivités locales et aux établissements publics ; •l'introduction, pour la première fois, des prestations architecturales parmi celles soumises au décret de passation des marchés, avec des procédures précises de mise en concurrence, alors qu'elles sont encore aujourd'hui régies par un contrat-type basé sur la pratique du gré à gré ; •la nécessité de la prise en compte de la dimension environnementale comme condition de passation des marchés publics pour le respect des objectifs du développement durable ; •une meilleure formulation de la définition des besoins pour éviter la concurrence déloyale ; •obligation pour les critères d'admissibilité des concurrents et d'attribution du marché d'être objectifs et non discriminatoires, et d'avoir un lien direct avec l'objet du marché et non disproportionnés par rapport à la consistance des prestations ; • introduction de la procédure d'achats groupés (collectifs d'achats), pouvant être initiée et conduite dans un but d'optimisation et de rationalisation des dépenses publiques, avec les modalités pratiques de fonctionnement et de gestion ; • généralisation de la révision des prix pour certaines catégories de prestations ; • obligation pour les marchés de contenir les clauses obligatoires prévues par d'autres documents régissant l'exécution des marchés, pour une meilleure mise en cohérence des textes applicables ; • une amélioration des conditions de la gestion de la dématérialisation de la commande publique par le téléchargement des dossiers d'appels d'offres à partir du portail des marchés publics, le dépôt et le retrait des plis des concurrents par voie électronique, voire l'ouverture des plis et l'évaluation des offres des concurrents par voie électronique ; • possibilité pour l'Administration, lorsqu'elle en est convaincue, de reporter la date d'ouverture des plis à la demande des concurrents lorsque le délai de publicité s'avère insuffisant pour leur permettre de préparer leurs offres dans des conditions normales ; • obligation pour le maître d'ouvrage de répondre à toute demande d'explication formulée par un concurrent ; • meilleur encadrement de la procédure négociée par l'introduction d'une commission de négociation pour choisir l'attributaire du marché, après consultation d'un ou plusieurs concurrents ; • possibilité pour une collectivité locale d'exiger, dans ses marchés, l'emploi de la main-d'œuvre locale limité à 10% de l'effectif requis pour la réalisation des travaux ; • obligation pour le ministre concerné de répondre à tout concurrent qui lui adresse une réclamation, dans un délai de 30 jours ; • possibilité pour tout concurrent de saisir directement la Commission des Marchés sans recourir ni au maître d'ouvrage, ni au ministre concerné ; • consécration de droit de recours aux tribunaux compétents pour les litiges relatifs à la passation des marchés publics ; • fixation du montant maximum du bon de commande à 200.000 dirhams avec la possibilité pour le ministre d'autoriser le relèvement de ce seuil dans la limite du plafond de 500.000 dirhams ; • l'instauration d'un Comité de suivi de la commande publique locale dont les missions consistent, entre autres, à concevoir la stratégie de la commande des collectivités locales, à suivre l'évolution de la commande publique locale, des procédures d'achats et l'évaluation des répercussions économiques et sociales et à proposer toute mesure susceptible d'améliorer la gestion des commandes et leur rentabilité sur les plans économique, commercial et technique et à émettre son avis sur les doléances et réclamations des concurrents. - F.N.H. : Cela étant, il semble que le projet comporte encore des insuffisances qui n'ont malheureusement pas été prises en compte ? - R. A. : Effectivement, on peut citer : • la possibilité du choix, pour les marchés allotis, selon l'ordre d'énumération des lots qui, d'ailleurs, n'est favorable ni à l'Administration ni à l'entreprise qui présente la meilleure offre pour le(s) lot(s) le(s) plus important(s), lorsque ce(s) lot(s) ne sont pas classés les premiers dans l'ordre d'énumération ; • le délai d'exécution proposé comme critère d'admissibilité peut être de nature à fausser la concurrence dans la mesure où un concurrent peut être retenu en raison du délai proposé et dont l'offre peut s'avérer, en fin de compte, moins avantageuse ; • la non prise en compte d'un modèle des états des pièces à fournir par les concurrents, qui serait joint à chaque dossier de soumission et coché par la Commission d'appel d'offres lors de la séance publique, et ce dans l'objectif d'éviter toute éventualité de subtilisation des pièces après la séance publique ; • la possibilité de conditionner l'admission des concurrents, par la présence à la réunion ou à la visite des lieux, est de nature à restreindre la concurrence dans la mesure où seuls les concurrents qui auront pris connaissance de l'appel d'offres au début du délai de publicité, pourraient y assister ; elle est, en outre, incohérente avec un autre article qui oblige le maître d'ouvrage à mettre à la disposition des concurrents le dossier d'appel d'offres jusqu'à la date limite de remise des offres ; • la pratique a montré, dans plusieurs cas, que le maître d'ouvrage ne saisit pas les concurrents avant l'expiration du délai réglementaire d'approbation pour leur proposer une prorogation dudit délai, peut être dans un objectif d'élimination indue de l'attributaire ; il faudrait interdire toute annulation d'un appel d'offres pour raison d'expiration du délai de validité des offres, initial ou prorogé, sauf désistement explicite ou implicite des soumissionnaires ; • l'expérience a montré que la demande de justification de tout prix unitaire, anormalement bas ou excessif sur la base des mêmes critères retenus pour les offres prises globalement, est lourde et pourrait conduire à l'élimination d'une offre intéressante pour le seul motif que le soumissionnaire ne justifie pas un petit prix sans commune mesure avec d'autres prix ; • la date d'effet (date d'affichage des résultats de l'appel d'offres) du délai d'approbation de 60 jours est non seulement en contradiction avec celle de l'article 33 (date d'ouverture des plis), mais elle est entachée de non transparence, car déterminée par le seul maître d'ouvrage, elle peut être utilisée abusivement dans la décision d'attribution du marché et notamment pour éliminer ou enlever le droit d'un soumissionnaire à maintenir son offre ; • la prévision d'une phase préliminaire dite «de définition» pour déterminer les buts et les performances à atteindre, les techniques, est une aberration dans la mesure où l'objet et le contenu du marché d'études devrait dépendre de cette phase préliminaire ; c'est pourquoi elles devraient faire l'objet de marchés distincts, le 2ème dépendant des conclusions du 1er ; • l'exigence du mandataire d'un groupement solidaire de justifier la ou les qualifications et la classe requise, et des autres membres de justifier individuellement au moins la ou les qualifications exigées et la classe immédiatement inférieure à la classe requise, enlève tout intérêt à la constitution des groupements ; elle est incohérente avec le principe consacré par le même article selon lequel les capacités financières et techniques du groupement solidaire sont jugées sur la base d'une mise en commun des moyens humains, techniques et financiers de l'ensemble de ses membres pour satisfaire, de manière complémentaire et cumulative, les exigences de l'appel d'offres ; • le projet ne prévoit aucune disposition pour permettre la libération automatique de la caution provisoire pour un concurrent non retenu dans un délai déterminé (que la FNBTP avait proposé de fixer à 150 jours à compter de la date d'ouverture des plis), lorsque cette caution n'est pas libérée par le maître d'ouvrage ou sans raison. - F.N.H. : Comment peut-on avoir un décret qui assure un parfait achèvement de l'achat public ? Est-ce que le décret peut prévoir des dispositions pénalisant le manquement de l'exécution des travaux ? Là, je fais allusion au rapport de la Cour des comptes qui pointe du doigt la qualité des travaux, et aux intempéries qui, chaque fois, mettent en évidence la mauvaise exécution de l'achat public ? - R. A. : Il y a lieu de rappeler que le décret de passation des marchés n'a pas principalement pour objet l'exécution des prestations dont celles relatives à la réalisation des projets d'infrastructures publiques. Il consiste essentiellement à définir les règles, choix des soumissionnaires, pour attribuer les marchés à ceux d'entre eux qui présentent les meilleures offres jugées sur la base de leurs capacités juridiques, techniques et financières à même de garantir les conditions requises de qualité, de prix et de délai. Il comporte néanmoins certaines règles de bonne gouvernance, susceptibles d'inciter, aussi bien le maître d'ouvrage que le prestataire titulaire du marché, à veiller à la bonne qualité des prestations et assurer leur parfait achèvement. - F.N.H. : Quelles sont à ce sujet, les dispositions contenues dans ladite réforme ? - R. A. : On peut, à cet égard, relever dans la réforme les dispositions suivantes : •la possibilité de mise à contribution de l'expertise privée pour assister le maître d'ouvrage, qui ne dispose pas de l'encadrement technique nécessaire, dans les différentes phases de réalisation des projets ; • la consolidation de l'obligation d'établissement des rapports d'achèvement et d'audits à partir de certains seuils de marchés et qui devraient couvrir largement les projets courants d'infrastructures ; ces rapports devant comporter en particulier le bilan physique et financier et faire ressortir les changements intervenus au niveau du programme initial, les variations dans la masse et la nature des prestations ainsi que l'appréciation de la réalité ou de la matérialité des travaux exécutés. Autrement, les aspects qui doivent garantir le parfait achèvement relèvent des documents à caractères plutôt contractuels, dont le cahier des clauses administratives générales, qui connaitra lui aussi d'importants changements dans le cadre de sa réforme en cours, et les cahiers des prescriptions spéciales qui comportent, entre autres, des clauses techniques et administratives spécifiques aux prestations concernées par le marché. Dossier réalisé par ImaneBouhrara & Soubha Es-siari