Le 24 septembre 1995, le Maroc réussissait sa première transplantation cardiaque. À l'approche de cette date qui évoque la foi en la science et en l'humanité, et tandis que le Maroc vient d'enregistrer sa première greffe d'un coeur artificiel, nous avons tendu le micro au Pr Wajih Maazouzi, le chirurgien pionnier à l'origine de ce succès qui a résonné bien au-delà de nos frontières. Comment s'est déroulée la première greffe que vous avez réalisée le 24 septembre 1995 ? J'ai eu l'honneur de diriger une équipe pluridisciplinaire dans l'optique de réaliser une opération de transplantation cardiaque à partir d'un mort cérébral. Ce fut la première dans l'Histoire du Maroc. Cette équipe, composée de plusieurs chirurgiens, cardiologues, spécialistes en rythmologie, en pharmacologie, biochimie, entre autres, s'est sacrifiée pendant de nombreux mois pour étudier à la seconde près l'exécution minutieuse et de concert d'une opération à très haut risque. Il y a eu d'abord au Maroc un travail en amont et en aval quant à la sensibilisation au don d'organes et à la transplantation d'organes. D'ailleurs, suite à cette opération réussie, au lendemain de cette date, nous avons donné plusieurs conférences de presse, ici et ailleurs, pour donner de l'espoir à toutes les familles qui ont un parent ou un proche souffrant et qui hésitent à sauter le pas. Seulement voilà, depuis cette date, nous avons constaté qu'il ne fallait pas seulement sensibiliser l'opinion publique et les familles concernées quant aux conditions de réussite d'une telle intervention mais aussi les praticiens qui peinaient ou peinent encore à sortir de leur zone de confort. Je voudrais, dans ce sens, citer le Pr Christian Cabrol, le chirurgien français qui a réalisé la première transplantation cardiaque en France et en Europe. Il disait qu'une greffe d'organe est un échange entre la mort de quelqu'un programmé pour vivre longtemps (puisque c'est un accident en général) et la vie d'un autre individu programmé pour partir tôt (c'est-à-dire un malade atteint de cardiopathie, par exemple). Ce fut tout de même audacieux car à la date dont vous nous parlez, il n'y avait pas de législation en matière de greffe d'organes humains. Qu'est-ce qui a changé depuis ? L'audace est un devoir professionnel lorsqu'il s'agit de maladies graves. Aux yeux de l'éthique et de la déontologie, un chirurgien doit faire tout ce qu'il a à faire pour que progressent ses moyens d'actions. Bien sûr, tout cela dans le respect entier de la profession. Aux Etats-Unis d'Amérique, les transplantations d'organes étaient déjà répandues dans les années 1990. Il s'agissait d'un simple contrat entre le donneur et le receveur. De plus, dans ce pays du globe, la législation le permet aisément. Il s'agit donc d'une opération normalisée depuis des générations. Un mort avec un cœur vivant permet à une personne qui tient à la vie de continuer à exister. De ce fait, lorsque dans une salle de réanimation il y a un mort cérébral entouré de sa famille, des chirurgiens engagés pour la cause de la réussite de la transplantation des organes à travers le pays font tout ce qu'ils peuvent pour convaincre les membres de cette famille, après la mort de leur proche, de sauver une autre personne qui vacille entre la vie et la mort. Une façon, humaine et poétique, de voir un organe de leur proche vivre dans le corps d'une autre personne. Quel est le coût d'une greffe du cœur? La notion de greffe cardiaque ne peut être réduite à une simple opération comptable appliquée à une technique chirurgicale. Les raisons en sont multiples et ont chacune un coût une fois que le diagnostic et l'indication sont établis : long délai d'attente du greffon, bilan complet pré-transplantation, double opération (prélèvement chez le donneur, transport du greffon et greffe chez le receveur),traitement anti-rejet, et suivi biologique, et cardiologique rigoureux du dosage du traitement à vie; et du comportement du cœur greffé.... A quel point les transplantations cardiaques sont-elles délicates au Maroc ? En général, les transplantations cardiaques se font à un moment très délicat. En cas de contrat avant la mort du donneur, les chirurgiens se penchent sur l'opération elle-même. En cas de recherche de donneurs, la procédure peut jouer les prolongations. En 1995, nous avons reçu Houcine six mois avant son opération. Nous l'avons bichonné, et l'avons entouré d'une équipe pluridisciplinaire. Nous lui avons, surtout, assuré un suivi psychologique digne de ce nom, car il en avait besoin. La raison en est qu'il a reçu quelques « ok » de principes qui sont très vite devenus des «non ». Des promesses qui lui redonnaient goût à la vie mais qui s'avéraient fausses. Mais lorsqu'une âme charitable l'a bien voulu, nous avons pu lui transplanter le cœur d'un mort cérébral. L'opération a connu un franc succès, car quelques heures après la greffe il a souri. Il a vécu douze années après sa greffe, s'est marié et a eu un enfant. Ce fut bouleversant et émouvant à la fois. Le défi d'une transplantation c'est qu'il s'agit d'une course contre la montre. Le cœur reste vivant quelques heures après la mort cérébrale, l'opération doit donc se faire en toute urgence. Outre l'absence d'une entité régissant les transplantations d'organes au Maroc, la législation ad hoc demeure rachitique. Qu'en pensez-vous ? Au Maroc, nous réclamons à cor et à cri la création d'une entité dédiée aux transplantations d'organes. Le bonheur pour moi n'est pas seulement de voir des transplantations d'organes se faire au Maroc. Ce qui me réjouirait le plus c'est de voir la création d'un établissement marocain des greffes comme en France. Nous avons réalisé d'autres opérations après celle de Houcine. Il y en a qui ont réussi. Mais il y a aussi le cas d'une fillette qui a survécu pendant deux ans après la greffe. Le plus important, c'est que nous sommes capables de réaliser ce genre d'opérations au Maroc. Après le contrat social il faut surveiller le greffé, grâce au suivi médicamenteux de ce que nous appelons les soins anti-rejet. Ce suivi est d'autant plus important qu'il faut être très regardant sur le dosage. Il ne faut en donner ni en-deçà ni au-delà de la dose prescrite par le spécialiste. Ce suivi est onéreux. Il est même plus coûteux que l'opération de la greffe elle-même. Ceci étant, la création d'une agence dédiée aux transplantations d'organes ne pourrait que mieux structurer la législation dans cette optique.
Récemment, la première greffe d'un coeur artificiel au Maroc « Je tiens à féliciter de tout mon cœur l'équipe 100% marocaine qui vient de réaliser à Casablanca la première implantation réussie du dispositif Heart-Mate 3 Left ventricular assist device », témoigne Pr Wajih Maazouzi. Il s'agit, en effet, d'un staff médical dirigé par Dr Mohamed Amrani, chirurgien cardiologue, riche d'une expertise de 25 ans en Grande-Bretagne. Ce Marocain a réussi à l'Hôpital privé international de Casablanca (HPIC) cette prouesse : celle de mettre en place une pompe cardiaque dans le ventricule gauche d'un patient âgé de 68 ans qui était atteint d'insuffisance cardiaque avancée. « Cette opération visait à permettre à ce patient, dont le cœur ne fonctionne plus correctement de reprendre une vie normale », a indiqué Dr Mohamed, notant que les seules options qui restaient au patient et à sa famille, les médicaments et les nombreuses hospitalisations n'ayant plus d'effet sur lui, étaient soit la transplantation cardiaque soit l'assistance ventriculaire, communément appelé « cœur artificiel ». A propos de la loi : La transplantation entre la science et la législation Au Maroc, en matière de don et de transplantation d'organes, la législation reprend les grands principes de la loi française Caillavet de 1976, en lui apportant des changements dans les textes concernant la bioéthique de 1994, relatifs aux prélèvements en faisant appel à l'intervention de la famille des défunts. Pour le chirurgien et professeur Wajih Maazouzi, cela représente en soi une grande faille. Surtout que l'arsenal juridique dédié, à ce sujet, est basé sur des intentions présumées à titre posthume. En dehors de nos frontières, l'accord de prélèvement d'organes se fait soit par un contrat déclaré et légalisé par le défunt de son vivant, soit par un témoignage de la famille du défunt, faisant foi et faisant l'objet d'une procuration indirecte. Au Maroc, le problème se pose lorsque le chirurgien doit effectuer un prélèvement sur un mort cérébral n'ayant pas exprimé son refus de son vivant, mais qui se trouve confronté à l'opposition de la famille du défunt (le conjoint, à défaut, les ascendants ou les descendants). Dans ce cas, on ne rappellera jamais assez que les bonnes intentions n'engagent que ceux qui veulent bien y croire. Le législateur a, dans ce sens, son mot à dire : « quiconque effectue un prélèvement d'organes humains sur une personne décédée, sans que la personne concernée n'ait fait connaître sa volonté d'autoriser ce prélèvement dans les formes et conditions prévues à l'article 14 ...est puni de 2 à 5 ans d'emprisonnement ». L'arsenal juridique en la matière demeure, certes, rachitique mais pas caduc. En effet, rappelons que le Dahir du 15 juillet 1952 avait déjà permis d'instaurer une activité de greffe de cornée pendant plusieurs années, d'où l'existence de la banque des yeux. D'ailleurs, une association est reconnue d'utilité publique par le dahir du 02/05/1958). De même, l'importation de cornée a, quant à elle, permis après l'entrée en vigueur de la loi 16/98 de réaliser environ 147 greffes, dont 137 à Rabat et 10 à Casablanca.
Tour d'horizon : Pr Maazouzi, un auteur prolifique Le professeur Wajih Maazouzi est aussi un écrivain prolifique à la plume humaine et volubile. En atteste son ouvrage « L'odyssée de l'OCTAV, cœur artificiel marocain » dans lequel il a essayé de détailler, face à l'évolution des pathologies et plus précisément cardiaques, les différentes approches thérapeutiques allant des simples mesures préventives aux solutions les plus radicales inspirées des technologies médicales nouvelles telles que le cœur artificiel. Dans ce précis scientifique, le professeur chirurgien fait le tour des cardiopathies congénitales et leurs moyens de préventions. Ces pathologies, qui demeurent endémiques dans notre pays, et dont le traitement peut aller jusqu'à la chirurgie à cœur ouvert voire la transplantation cardiaque, finissent par mettre à l'index le manque de donneurs, d'où le grand intérêt de l'apport des nouvelles technologies médicales et, en particulier, le cœur artificiel ainsi que les process d'assistance hémodynamique. Tout au long de cette approche, l'auteur expose les différents processus hygiéniques, biologiques et chirurgicales possibles pour maintenir la santé et le bien-être de l'homme aux différents stades d'évolution au cours de la vie. Convaincu que le succès de la transplantation cardiaque n'est plus l'apanage de l'Occident, le Maroc peut s'en enorgueillir de son nouveau acquis. D'ailleurs, le professeur Maazouzi ne cesse d'insister sur l'impératif de hausser les mesures préventives aux normes des sociétés modernes. En la matière, le professeur Maazouzi demeure le pionnier de la transplantation d'organes au Maroc et l'un des champions des techniques de chirurgie cardiovasculaire à l'échelle internationale, en sus d'être l'auteur de plusieurs ouvrages dédiés à ce champ scientifique. Parmi ses chefs d'œuvre, citons « Un cœur pour Houcine », publié à l'occasion de la première greffe cardiaque au Maroc, ou encore « Hygie ou le livre de la prévention », ouvrage dans lequel il retrace les différentes mesures préventives.
Pionniers : Christiaan Barnard, le précurseur La première transplantation cardiaque dans l'Histoire de la science a eu lieu le 3 décembre 1967 en Afrique du Sud, pour une opération qui a duré neuf heures et demie, nécessitant une équipe d'une trentaine de personnes. Le patient, âgé de 55 ans, souffrait de diabète et d'une insuffisance cardiaque qui n'a que longuement duré. Un tiers de son cœur était très faible et ne lui laissait aucune chance de survie. Pour le chirurgien Christiaan Barnard, il est le candidat idéal pour la transplantation. Le greffon provient d'une jeune femme dans le coma à la suite d'un accident de la route. Washkansky, puisque c'est de lui qu'il s'agit, survit à l'opération et vit 18 jours avant de succomber à une pneumonie massive bilatérale induite par le traitement immunosuppresseur. De plus, en plein apartheid, l'opération a permis aussi de sauver Jonathan, un jeune garçon de couleur, grâce au rein droit de la même jeune femme dans le coma, transplanté sur cet enfant qui souffrait d'insuffisance rénale.