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Greffe d'organes : Le Maroc accuse un énorme retard
Publié dans La Gazette du Maroc le 29 - 02 - 2008

A part l'éthique et le volet juridique, des facteurs socio-économiques entravent l'essor de la greffe d'organes en général et la greffe rénale en particulier au Maroc. Seule une forte volonté politique permettrait de surmonter les difficultés.
Un organe vital ne se fabrique pas, ne s'achète pas, il ne peut qu'être généreusement donné». C'est ainsi que le professeur Christian Noèl, chef du service Néphrologie CRHU de Lille, a amorcé son allocution lors du séminaire organisé sous le thème «Don et greffe d'organes, quelle perception».
Dès que la question du don ou de la greffe d'organes a été abordée, il a été indispensable de parler d'un acte ou d'opération illicite, d'interdits de religion, de moyens, et de possibilités d'une transplantation d'organe qui est une opération par laquelle un organe malade est remplacé par un organe sain prélevé chez une personne décédée ou vivante. Lors du séminaire, une forte lumière a été projetée sur la partie visible d'un iceberg d'ignorance, de confusion, de crainte et surtout sur la faute de moyens pour se faire greffer au Maroc. Face à la question de don ou greffe d'organes, certaines personnes réagissent avec l'air de connaisseurs des rouages médicaux et considèrent que la médecine fait du commerce et gagne, se joue des organes, soutire de l'argent aux futurs greffés, et paye des misères aux donneurs. Enjoués par l'idée de don d'organe, d'autres commentent que l'individu n'est pas un amas de pièces de rechange. écœurés, certains repoussent cette éventualité.
D'autres refusent catégoriquement le don et la greffe d'organes sous prétexte que la loi musulmane l'interdit et exige un verset coranique et un «hadît Sahih» pour se convaincre.
Si de nombreux réticents sychosociaux s'attachent à protéger l'intégrité du corps, une chose est sûre : il y a consensus sur le fait que la vie humaine est sacrée et prime sur l'intégrité physique.
Un don d'organes peut-il être fait
au Maroc ?
Les professionnels ayant assisté au séminaire confirment que c'est grâce à la mentalité de cette élite que les promesses chirurgicales en matière de greffe ont eu lieu dans la seconde moitié du XX éme siècle.
En cinquante ans, la greffe d'organes a connu un essor considérable dans le monde. Le professeur Christian Noèl a rappelé que la France compte aujourd'hui plus que 40 000 personnes qui vivent grâce à une greffe d'organes, et qu'en une année 4664 transplantations surtout de reins et de foies et à moindre degré de cœurs, ont été réalisées.
Tout au long de son intervention, le professeur français a rapporté plusieurs déclarations de personnes ayant reçu une greffe d'organe et qui ont confirmé que la transplantation a représenté la fin d'un calvaire, d'une non-vie, et qui ont évoqué un changement radical de leur mode de vie et une amélioration de leur état de santé général.
Qu'en est-il pour le cas du Maroc ?
Aujourd'hui, le Maroc est classé en queue de liste dans le monde arabe, après l'Algérie, la Tunisie, l'Arabie Saoudite et la Jordanie, en terme de transplantation.
D'après le professeur Amal Bourquia, présidente de l'Association Marocaine de lutte contre les maladies rénales, au Maroc, les interventions pour la transplantation d'organes sont prédominées par celles de greffe rénale.
Le Maroc
fait pâle figure
En dépit de l'unique pratique de greffe de cœur réussie en 1995 par un professeur cardiologue marocain, il n'y a que la greffe de cornée et la greffe rénale qui sont réalisées au Maroc.
Bien que la greffe rénale se pratique au Maroc, par d'excellents chirurgiens, seulement une centaine d'opérations ont été réalisées et ce, depuis l'introduction de la transplantation au pays. Quand à l'effectif de bénéficiaires, il est trop faible et ne reflète guère le niveau de la demande sans cesse croissante. En 1991, l'on comptait 23 patients sur un million d'habitants, en 1996 ils étaient 50 et en 2003, 116.
Aujourd'hui, il y a 15.000 dialysés et la plupart des malades décèdent. !
Pour quelles raisons le retard touche notre pays dans le domaine du don et de greffe d'organes ?
La majorité écrasante des professionnels ayant animé le débat, lors du séminaire, est unanime quant il s'agit d'un facteur considéré sous sa dimension éthique et socioculturelle entravant la progression de la transplantation au Maroc.
Les sondages sont plus au moins de taille. D'après un sondage d'opinion réalisé par l'Association Marocaine de lutte contre les maladies rénales, afin d'évaluer la perception du don et de la greffe d'organes par la population marocaine, 70.4% n'ont jamais discuté de ce sujet, prés du tiers n'ont pas d'informations, le quart continue à croire que la greffe d'organe est interdite par la religion.
Les principaux résultats tirés de cette enquête ont été résumés ainsi.
• La méconnaissance des prélèvements et des greffes d'organes.
• L'absence d'informations sur la pratique de la greffe rénale au Maroc
• L'ignorance des techniques utilisées pour la greffe, des moyens nécessaires pour sa réalisation et des types de donneurs potentiels.
• L'absence de toute information sur la législation règlementant ces techniques.
• Sujet abordé rarement dans les discussions aussi bien familiales qu'amicales.
• Attitude globalement favorable vis-à-vis du don et de la greffe d'organes et ce, malgré la méconnaissance du sujet.
Sans aucun doute, le sondage confirme le besoin accru d'informations et de sensibilisation sur la greffe d'organes en général et la greffe rénale en particulier. Mais la greffe d'organes peut-elle être réduite à un simple acte généreux ayant une dimension éthique sans laquelle elle n'a plus de sens ?
Ce qui entrave le progrès de la greffe d'organes
Pour certains professionnels de la santé, ce n'est ni un problème d'éthique, ni religieux ni juridique qui constituent une entrave au développement de la branche de la transplantation en général et de la greffe rénale en particulier au Maroc.
Concernant le côté juridique, la loi 98-16- relative au don, au prélèvement et greffe d'organes et de tissus humains, protège donneurs et receveurs et met des garde-fous aux éventuels dérapages commerciaux. Les modalités du don sont bien précises dans les textes et ne laissent pas de place aux trafics d'organes. Les donneurs autorisés et les receveurs, selon la loi marocaine, doivent être liés par un lien de parenté et s'il s'agit de conjoint, il faut que la relation contractée dépasse un an.
La relation familiale est établie par le président du Tribunal de Première Instance qui atteste de ce lien et de la liberté de don. Selon cette même loi, la gratuité est de mise et en aucun cas, le don ne peut être rémunéré ou faire l'objet de transaction. De ce fait, seuls les hôpitaux publics sont accrédités pour une intervention de transplantation d'organes.
Quant à la religion, un bon nombre de patients disent que l'Islam interdit la greffe d'organes. Sachant que l'objectif noble de la transplantation ne va pas à l'encontre de la volonté de Dieu, du fait que cette intervention ne vise aucunement le surcroît de la durée de vie des greffés mais l'augmentation de degré de son bien être et amortit sa souffrance, les Oulémas ont démenti ces dires, et ont insisté intensément sur la mort cérébrale du donneur qui est le point de non retour où on ne peut plus réanimer la personne ni la récupérer.
Il parait donc que l'éthique médicale et la protection juridique se consolident avec la jurisprudence islamique.
Il est clair que d'autres facteurs négatifs se conjuguent pour que les interventions de greffes rénales soient comptées sur le bout des doigts et que le bilan affiche un gain trop maigre.
Moyens financiers
Si le patient marocain n'arrive pas ou a peine à supporter les coûts financiers engendrés par l'hémodialyse, comment va-t-il songer à une transplantation dont le coût dépasse de loin l'ensemble des séances de dialyse qu'il peut subir tout au long de sa vie ?
Certains professionnels sont enjoués par le fait que le nombre de centres d'hémodialyse est passé d'un en 1981 à 89 en 2003 et à plus d'une centaine à fin de 2005. A quoi sert un bâtiment si le patient n'y accède pas par faute de moyens financiers ? Y a-t-il un service spécifique spécialisé dans la greffe rénale avec tout ce que celui-ci exige comme moyens qualitatifs et matériels sophistiqués. C'est dramatique et injuste quand on apprend que ce n'est pas tous les cas qui ont droit d'accès à l'hémodialyse. L'Etat peut prendre en charge tous ces malades, eu égard aux moyens limités dont dispose le ministre de la Santé. Même avec un budget de 6% à 7% du budget total de l'Etat, ne pourrait faire face au problème de la dialyse. De ce fait, combien sont ceux qui meurent progressivement dans le silence???
Comment peut-on concevoir que les personnes souffrant d'une insuffisance rénale chronique et supportant difficilement les coûts de trois séances de dialyse par semaine, branchées à une machine pendant 4 heures, transitent de la solution palliative à une transplantation rénale à coût exorbitant.
Les urologues et les néphrologues de la Wilaya du grand Casablanca avancent un coût de transplantation de 230 000 DH n'incluant pas les honoraires des médecins et chirurgies. Sachant que le coût augmente avec les examens médicaux préalables qui s'effectuent dans les laboratoires spécialisés et dont le montant est assez important, sans oublier les médicaments anti-rejet.
En fait, la somme à débourser par le bénéficiaire potentiel d'une opération de transplantation, demeure inaccessible pour les économies faibles et qui représentent 90% ou 94% des clients de la situation sanitaire.
A peine nous tentons de dire oui à la greffe d'organes, vu son objectif noble, la réalité socio-économique marocaine nous laisse étouffer. Le retard pris par notre pays dans ce domaine (surtout rénale) est énorme. Il est temps de donner un élan à cette thérapeutique en optant pour des solutions plus adoptées aux besoins des patients et en tenant compte des moyens du secteur. Seule une forte volonté politique mobilisant plusieurs acteurs pourrait permettre de dépasser les difficultés actuelles qui entravent l'essor de la greffe d'organes au Maroc en passant par la concrétisation d'un programme national de dialyse.
Au terme de ce séminaire, la quasi-totalité des assistants ont manifesté leur conviction que la greffe d'organes et surtout celles des reins, du foie et du cœur est un acte noble dans la mesure où elle épargne la souffrance aux malades.
Une belle histoire d'amour
L'histoire est d'autant plus émouvante qu'elle est réelle. Un couple vivant sous le même toit filant le parfait amour, est déstabilisé du fait que l'épouse souffre d'une insuffisance cardiaque nécessitant une transplantation. Le mari soucieux de l'état de santé de son épouse, inscrit cette dernière dans la liste d'attente pour être une greffée potentielle. Entre temps, le mari victime
d'un accident de circulation, rend l'âme. Sous l'immense chagrin, la femme du défunt a été appelée pour subir une transplantation du cœur de son mari. Après le succès de l'intervention, la greffée déclare qu'il est très beau de vivre aux cotés de l'être aimé, mais il est encore plus beau que le corps abrite le cœur de celui-ci.


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