Quelles sont les causes du retard accusé par notre pays dans le domaine du don et des greffes d'organes ? Quels sont les principaux leviers de développement de ce secteur médical. Une contribution du Dr. Anouar Cherkaoui. Depuis les années 80, tous les pays arabo-musulmans ont fait des pas de géants dans le domaine de la greffe d'organes, alors que le Royaume du Maroc, qui était un des pionniers dans ce secteur médical avant-gardiste, n'a fait qu'une avancée très mitigée parfois à reculons. A travers le monde, environ 50 000 greffes d'organes sont réalisées chaque année. Et au début de ce 3ème millénaire, le nombre de greffes rénales, au Maroc, ne dépasse pas la centaine (100). C'est un bilan très modeste par rapport à celui de la Tunisie (300), la Jordanie (1000), l'Arabie saoudite (3000) ou la France (25 000). Pourquoi donc l'engouement de tous ces pays pour cette alternative thérapeutique ? La greffe rénale est la meilleure option pour les patients atteints d'une insuffisance rénale au stade terminal; cela est d'autant plus vrai avec l'avènement de traitements immunosuppresseurs, qui empêchent le rejet du greffon, tout en offrant une meilleure qualité de vie aux greffés. Cela est corroboré par le fait que la greffe rénale constitue une véritable révolution dans la vie de ces malades, au stade terminal d'une insuffisance rénale chronique, qui n'avaient pour seul recours que la dialyse qui est un traitement palliatif à vie, très astreignant et obligeant le patient à être sous machine, trois à quatre fois par semaine et à raison de 2 à 3 heures par séance. Comment essayer donc d'appréhender le retard médico-social du Maroc pour le développement de la greffe rénale ? Est-ce d'ordre humain, législatif, économique ou religieux ? De prime abord, on peut certifier que les compétences des différents acteurs nationaux de la transplantation rénale au Maroc, n'ont rien à envier à leurs collègues européens ou américains. Les néphrologues, les urologues, les immunologistes et les spécialistes en médecine légale, aussi bien dans les centres hospitaliers universitaires Ibn Rochd de Casablanca ou d'Ibn Sina à Rabat, que dans le secteur libéral, maîtrisent parfaitement les techniques médico-chirugicales et d'anesthésie liées à la pratique du don et de la greffe rénale. Sur le plan législatif, le nouveau gouvernement et particulièrement l'actuel département de la santé, sont dans l'obligation d'activer l'application des nouveaux textes de loi et de leurs décrets, récemment publiés dans les bulletins officiels de l'Etat, afin d'encourager le don d'organes et le prélèvement des reins à partir de cadavres déclarés en mort cérébral. Cette obligation n'est nullement d'ordre politique mais trouve ses justifications en termes d'économie de santé et en termes de déontologie, dans le sens ou il faut offrir aux citoyens les meilleurs soins que permet la médecine moderne. Il est à noter qu'à l'heure actuelle, la centaine de greffes réalisées au Maroc, a pu avoir lieu grâce à des réseaux de solidarité familiaux. Un père, une mère, un frère ou une sœur font don d'un rein. La médecine qualifie cela de greffe rénale à partir de donneur vivant apparenté. Pour le volet religieux et moral, les différents blocages sont définitivement levés. La meilleure illustration est le fait que les autorités religieuses dans les principaux pays musulmans aient déclaré que la greffe est légale et l'ont même assimilée à la transfusion sanguine. Enfin, à l'horizon de la généralisation de l'Assurance maladie obligatoire (AMO) et du régime d'Assistance Médicale (RAM), il est impératif de penser à un programme intégré de dialyse-transplantation rénale. C'est l'espoir des 2000 citoyens marocains qui, chaque année, arrivent au stade terminal de l'insuffisance rénale chronique et dont la survie ne peut être assurée que par ces thérapies de remplacement qu'est la dialyse associée ou non à la greffe rénale. Un programme national intégré sous-entend des plateaux techniques de niveau, des équipes multidisciplinaires performantes et surtout l'implication des médias pour la sensibilisation de toute Marocaine et de tout Marocain au don à partir d'une personne en mort cérébrale. Les compétences médicales nationales existent, les textes de loi encadrant cette activité et la protégeant d'éventuelles dérives sont à jour, l'Islam est fortement acquis à cette cause médico-sociale; c'est à la société civile de prendre les devants par des actions d'éducation et de sensibilisation, afin d'assurer le développement durable de la greffe d'organes.