De l'avis des opérateurs et analystes économiques, la nouvelle réforme des marchés publics est un pas en avant. Dès le 1er septembre prochain, le décret d'application devrait entrer en vigueur, mais nombreux estiment que certains freins à la transparence demeurent. Notamment la corruption, la concussion et le délit d'initié. « Avec cette nouvelle réforme sur les marchés publics, la Trésorerie Générale du Royaume montre qu'elle a rempli sa part de mission, pour assainir les processus d'offres et d'attributions des marchés. Toutefois, dans la pratique, c'est encore loin d'être gagné ». C'est le point de vue exprimé par l'économiste Driss Aïssaoui, à la lecture de la note de service signée par le Trésorier Général du Royaume, Noureddine Bensouda. Ce sentiment est partagé par de nombreux opérateurs économiques contactés par nos soins à propos de cette réforme. « Les dispositions sont très bonnes, mais il faut des mesures de suivi très fortes et rigoureuses pour les concrétiser, notamment à l'endroit des Très petites et moyennes entreprises (TPME) », commente pour sa part Abdellah El Fergui, président de la Confédération nationale des TPE/PME. D'autres acteurs économiques estiment, de leur côté, que des dispositions supplémentaires devraient venir éclaircir ce texte. « C'est à l'image de la Constitution, elle a parfois besoin de lois organiques pour être mise en application. Idem pour cette réforme qui reste floue sur certains de ses aspects. Il nous faut donc un important travail de vulgarisation et d'éclaircissements afin que cette réforme soit comprise et mise en branle par l'ensemble des intervenants concernés », conseille pour sa part un analyste économique qui a requis l'anonymat.
Corruption ?
Au-delà de la préférence nationale, de l'accompagnement des PME, ou encore de l'inclusion et de la promotion de la valeur ajoutée locale, cette réforme vise à lutter contre la corruption et les délits d'initié qui sont souvent signalés dans les opérations de marchés publics. « La réforme a préconisé un ensemble de mesures. Ainsi, le nouveau décret prévoit que chaque concurrent doit s'engager, au niveau de la déclaration sur l'honneur, au moment de la présentation de l'offre, à ne pas recourir par lui-même ou par personne interposée à des pratiques de fraude ou de corruption, à quelque titre que ce soit, dans les procédures de passation, de gestion et d'exécution du marché », déclare le Trésorier Général du Royaume, Noureddine Bensouda, dans un entretien accordé récemment à nos confrères de « L'Economiste ». Il cite également la dématérialisation de la commande publique qui permet de limiter l'intervention humaine en simplifiant les procédures.
« Vœux pieux »
Mais, de l'avis des opérateurs économiques et acteurs concernés par les marchés publics, il s'agit de « vœux pieux ». La réalité est beaucoup plus complexe. « Est-ce qu'avec ces règles qu'on va dire qu'il n'y aura plus de corruption ? Plus de concussion ? Je pense qu'il y a énormément de choses qui demandent du temps avant d'être concrétisées », estime Driss Aïssaoui. En un mot, pour tout ce qui est relatif aux nouveautés de cette réforme, les opérateurs économiques sont presque unanimes à saluer des avancées, mais, curieusement, ils appellent eux aussi à plus de « transparence » et à un « changement de mentalités », répétant le même souhait exprimé par l'Etat. En tout cas, pour le gouvernement, c'est un pas en avant décisif, qui n'est pas le dernier, car, selon le Trésorier Général du Royaume, « l'Observatoire de la commande publique jouera le rôle d'organe de collecte de l'information et d'analyse des données des marchés publics ». Autrement dit, des améliorations sont attendues, en fonction des réalités observées sur le terrain.
300 MMDH
Le décret sur les marchés publics doit entrer en vigueur dès le 1er septembre prochain, ce qui annonce une rentrée assez spéciale pour les opérateurs économiques, notamment avec une commande publique de 300 MMDH prévue pour l'année en cours. Aussi, il faudrait souligner que, désormais, les structures de l'Etat sont obligées d'annoncer leur programme sur trois ans, afin de donner une meilleure visibilité aux entreprises quant aux orientations globales de la commande publique.
3 questions à Driss Aïssaoui « Il faut être plus sévère dans les sanctions en cas de corruption » Comment jugez-vous la nouvelle réforme sur les marchés publics ? Avec cette nouvelle réforme sur les marchés publics, la Trésorerie Générale du Royaume montre qu'elle a rempli sa part de mission, pour assainir les processus d'offres et d'attributions des marchés. Toutefois, dans la pratique, c'est encore loin d'être gagné. La TGR, mais aussi l'ensemble des structures de l'Etat qui sont concernées par cette réforme, essaient d'améliorer le cadre de travail, mais le problème est que cela reste souvent un vœu pieux. On sent une volonté d'aller de l'avant, mais la réalité du terrain est autre chose, malgré les dispositions de lutte contre les vrais problèmes qui polluent l'environnement des marchés publics.
Beaucoup d'avancées ont été notées, mais qu'en est-il justement de pratiques relatives à la corruption par exemple ? Je ne pense pas que des pratiques liées à la corruption, à la concussion et aux délits d'initié puissent disparaître avec cette nouvelle réforme. Le mal est très profond et il faut vraiment un changement de mentalités et un arsenal répressif pour décourager ces pratiques. Malgré tout, il faut reconnaître à la TGR, à travers cette note de service, sa volonté de vouloir améliorer les choses. Mais il y a encore du chemin à parcourir. En parlant de corruption et de concussion, quelles formes de mesures sont aujourd'hui nécessaires ? Comme je l'ai dit, il faut des mesures de découragement et des sanctions exemplaires basées sur la transparence. Quand je vois ce qui se fait au niveau international, les entreprises et les intervenants sur les marchés publics et autres appels d'offres qui sont coupables de corruption sont suspendus pendant plusieurs années, voire exclus définitivement du processus. Donc, on doit faire en sorte d'être aussi rigoureux et aussi sévère, tout en multipliant les moyens de contrôle et de prévention pour freiner ce fléau, qui, à mon avis, empêche de concrétiser les aspirations aussi bien des autorités que des acteurs économiques.
Décret : Les préalables avant le 1er septembre Le décret relatif aux marchés publics doit entrer en vigueur début septembre prochain. Plusieurs autres textes doivent l'accompagner. Il s'agit, selon la TGR, des arrêtés relatifs à la dématérialisation des procédures, des documents et des pièces des marchés publics, en plus des mesures en faveur des petites et moyennes entreprises. Il en est de même de la rémunération des plans et documents techniques. Tout cela, sans oublier les Cahiers des clauses administratives et générales. « En parallèle, la Trésorerie a entamé le chantier de paramétrage des différents systèmes d'information concernés par les marchés publics pour les adapter aux apports innovations de la réforme (...), et rendre plus aisée l'exécution des opérations y afférentes par les différents acteurs ». Sur un autre volet, des sessions de formation destinées aux acteurs directement impliqués dans le processus de préparation, de passation, d'exécution et de contrôle des marchés publics ont été lancés.
L'info...Graphie Commande publique : Zoom sur l'Observatoire marocain Dans sa note de service en date du 16 juin courant, envoyée à ses collaborateurs, le Trésorier Général du Royaume, Noureddine Bensouda, revient sur le renforcement de la transparence et de l'information en matière de marchés publics. Parmi ces mesures, il cite : la consécration de la mise en place de l'Observatoire marocain de la commande publique et sa domiciliation à la Trésorerie Générale du Royaume. Cet Observatoire a pour objectifs, selon la TGR, de collecter, traiter et analyser les données relatives aux aspects économiques, sociaux, techniques de la commande publique. Il sera également chargé de la « promotion, la valorisation et la communication de l'information économique, financière et comptable y afférente ». La rationalisation du recours à l'annulation des appels d'offres, en vue de limiter les pratiques visant à faire de ce mécanisme un outil de discrimination, figurent également parmi les missions qui lui sont assignées. Selon la TGR, « l'autorité compétente peut, quel que soit le stade de la procédure et avant notification de l'approbation du marché, annuler, selon le cas, l'appel d'offres, le concours, la consultation architecturale ou le concours architectural », selon les cas. Cette autorité peut également annuler les appels d'offres en cas de « vice de procédure ». Pour l'Etat, c'est une manière de contribuer à la transparence des marchés publics, aussi bien dans leur mode d'attribution que d'exécution. Ceci, c'est dans la théorie...