Si le Maroc souhaite devenir un acteur important de la production de l'hydrogène vert, il doit d'abord régler les problèmes du stockage et de la distribution de ce gaz. Depuis quelques années, le Maroc affiche sa volonté de devenir un des principaux acteurs mondiaux dans la production et l'exportation de l'hydrogène vert. Cette vision a été confirmée par SM le Roi Mohammed VI, puisque, le 22 novembre 2022, Il a donné Ses Hautes instructions pour l'élaboration d'une "offre Maroc" pour la filière de l'hydrogène vert. Cette initiative vise à préparer tous les dispositifs réglementaires et techniques visant à encourager les investisseurs à s'installer au Maroc.
Pour y arriver, la problématique du stockage devra être résolue. Les spécialistes du secteur redoutent que les limites techniques du stockage de l'hydrogène ne soient un frein à la production à grande échelle de ce gaz. Cette question est au centre de toutes les recherches et les attentions des pays qui désirent se lancer dans cette filière. Certains parmi eux privilégient le stockage sous haute pression ou en forme liquide, tandis que d'autres orientent leurs recherches vers l'utilisation de nouveaux matériaux.
Molécule légère Selon la Global Hydrogen Review 2022, publiée par l'Agence Internationale de l'Energie (AIE), la demande pour ce gaz a atteint 94 millions de tonnes en 2021, représentant environ 2,5% de la consommation mondiale finale d'énergie. La demande pourrait atteindre 650 millions de tonnes à l'horizon 2050, soit environ 14% de la demande énergétique mondiale totale anticipée, selon les prévisions de l'ONU. Ce cap ne pourrait être atteint sans une solution de stockage sûre et efficace. Selon l'expert en énergie M. Amin Bennouna, l'hydrogène pose des problèmes particuliers dans le stockage car sa molécule est la plus légère et la plus petite des gaz que l'on connaisse, ce qui provoque plus de fuites dans les canalisations et réservoirs, mais aussi sa température de liquéfaction est proche de -269°C. Cela occasionne des pertes conséquentes et un important coût énergétique du stockage par liquéfaction. Ainsi, le stockage par compression est plus économique mais il nécessite un taux de compression qui dépasse les 700 bars (700 fois la pression atmosphérique, soit près de 70 fois celle dans les bouteilles de butane). Le Maroc ne dispose pas de ce genre d'infrastructures de stockage, ajoute Amin Bennouna. Cependant, le stockage de l'hydrogène vert ne devrait pas constituer un blocage particulier au développement de la production d'hydrogène au Maroc, puisque son stockage et sa distribution sont en cours d'évolution dans le monde entier et le Maroc pourra adapter les solutions internationales dans ce domaine. "Le stockage et le transport d'hydrogène obéissent à des normes internationales strictes auxquelles il faudra se conformer", souligne notre expert.
E-carburant comme solution ? Une des solutions les plus innovantes dans le stockage de l'hydrogène est le e-carburant. Il s'agit de carburant entièrement synthétique qui peut être produit en combinant du CO2 et de l'hydrogène. Il s'agit d'une solution prometteuse pour le stockage de l'hydrogène, d'après Jean-Louis Kindler, PDG de Ways2H, entreprise spécialisée dans la transformation des déchets en hydrogène renouvelable à bilan carbone négatif pour le carburant de mobilité et la production d'électricité. Neutre en CO2, ce carburant sans pétrole n'existe pas dans la nature à l'état brut. Suite à un procédé chimique, on obtient des équivalents propres de l'essence, du gazole ou du kérosène. Grâce à leur compatibilité avec les actuels moteurs à combustion interne, les e-carburants peuvent alimenter les véhicules, les avions et les bateaux, leur permettant ainsi de continuer à fonctionner tout en respectant le climat. Il en va de même pour tous les systèmes de chauffage qui utilisent des combustibles liquides et gazeux. Les infrastructures existantes de transport, de distribution et de carburant/gaz peuvent également continuer à être utilisées. Jean-Louis Kindler précise que la production du e-carburant est basée sur l'extraction de l'hydrogène. Cela se fait au moyen d'un processus d'électrolyse qui décompose l'eau (par exemple, l'eau de mer provenant des usines de dessalement) en ses composants, à savoir l'hydrogène et l'oxygène. Ce processus et les autres étapes de production nécessitent de l'électricité. Dans une deuxième étape du processus, à l'aide, par exemple, de la synthèse Fischer-Tropsch, l'hydrogène est combiné au CO2 extrait de l'air et converti en un vecteur d'énergie liquide : l'e-carburant. Sous haute pression et à l'aide d'un catalyseur, l'hydrogène se lie au CO2. Etant donné que l'électricité est utilisée pour la production d'e-carburants, la procédure est connue sous le nom de processus "power-to-liquid" : l'électricité est convertie en un liquide synthétique facile à stocker et à transporter.
Mohamed ELKORRI Trois questions à Jean-Louis Kindler « Le coût énergétique de la compression n'est pas compressible » Quelle est, d'après vous, la meilleure méthode de stockage de l'hydrogène ?
Il y a trois grandes familles de méthodes pour stocker l'hydrogène : la compression, la liquéfaction et le stockage chimique à travers l'absorption dans certaines molécules, l'ammoniac ou les hydrures métalliques. Aujourd'hui, la solution la plus simple - donc a priori la meilleure - est la compression. Même si elle n'est pas parfaite, elle a l'avantage d'être la plus répandue. Les technologies existent depuis longtemps, et sont éprouvées et industrialisées (ce qui signifie qu'elles ont déjà un avantage compétitif). En revanche, le coût énergétique de la compression, et de la liquéfaction également, n'est pas vraiment, pardonnez le jeu de mots, compressible. Cela dépend des lois physiques. Je ne vois donc pas vraiment de possibilité d'amélioration sensible du coût de revient de ces méthodes. Je crois beaucoup aux perspectives potentielles du stockage chimique, car ces méthodes ont l'avantage de se faire à des conditions de pression et/ou de température beaucoup plus « raisonnables ».
Quelles sont les perspectives de développement dans ce domaine ?
Je suis avec intérêt les progrès réalisés dans le domaine du stockage sous forme d'hydrures métalliques. Potentiellement, cela permettrait le stockage à des conditions de pression et de température presque normales. Le seul problème pouvant survenir réside dans le ratio entre la masse d'hydrogène stockée par rapport à la masse totale « hydrogène + support ». Cela pourrait fermer la porte à certaines applications, je pense en particulier à l'aéronautique, où le rapport masse/valeur énergétique est un facteur déterminant.
Est-ce que l'enjeu du stockage de l'hydrogène pourrait contribuer au basculement aux e-carburants ?
Dans une certaine mesure oui, mais il faut garder à l'esprit le fait que les méthodes de stockage de l'hydrogène sont déjà identifiées, pour la plupart. Le véritable enjeu est donc plus une question de coût de ces méthodes, que des méthodes elles-mêmes. C'est le travail que réalise aujourd'hui l'ensemble du secteur des technologies de l'hydrogène : industrialiser, optimiser et commercialiser à plus grande échelle les solutions qui sont déjà connues. Bien sûr, nous ne sommes pas à l'abri d'une découverte révolutionnaire qui constituerait un saut technologique majeur, mais notre filière peut d'ores et déjà se développer de manière tout à fait compétitive, même sans ce type de découverte. Il faut savoir que les carburants électriques, à l'exception de l'hydrogène, contiennent toujours du carbone : alcools et hydrocarbures de synthèse. Donc, ils ont certes l'avantage d'être compatibles avec les moteurs thermiques existants, mais ne résolvent que partiellement notre enjeu majeur, qui est à la base de tous les efforts que nous faisons aujourd'hui : l'excès de CO2 atmosphérique et son impact sur notre climat.
Waste to Hydrogen : Une méthode pour baisser le coût D'après M. Kindler, aujourd'hui, la principale méthode de production d'hydrogène propre est l'électrolyse. Son coût de production est essentiellement lié à deux facteurs : le coût de l'électricité et l'amortissement du capex des électrolyseurs.
Cette filière estime pouvoir atteindre, à terme, un coût de production entre 1 et 2 EUR par kg H2. Aujourd'hui, ce phénomène est renforcé par les incertitudes sur le coût de l'énergie, le chiffre réel est plutôt autour de 5 EUR par kg.
La filière « Waste to Hydrogen » dont l'entreprise Ways2H fait partie, aux côtés d'une douzaine d'autres acteurs, permet de baisser ce coût à moins d'1 EUR/kg, tout en contribuant à d'autres enjeux environnementaux.
"Ces solutions permettent de remplacer les incinérateurs et les centres d'enfouissement, qui sont des sources considérables de gaz à effet de serre, mais également de constituer de véritables puits de carbone», explique M. Kindler.
L'info...Graphie E-carburants : Un vecteur énergétique d'avenir ? Après le traitement dans les raffineries, ce carburant électronique peut être utilisé comme essence électrique, diesel électrique, huile de chauffage électronique, kérosène électronique et gaz électronique et peut remplacer complètement les carburants conventionnels.
De plus, en raison de leur capacité à être intégrés, les e-carburants peuvent être mélangés aux carburants conventionnels dans n'importe quel rapport. Les infrastructures existantes de logistique, de distribution et de ravitaillement, telles que les parcs de stockage, les camions-citernes, les pipelines et les stations-service, peuvent continuer à être utilisées.
La neutralité climatique des e-carburants découle du fait que l'électricité produite à partir des énergies renouvelables est utilisée pour leur production et que la quantité de CO2 émise lors de l'utilisation est la même que celle émise lors de la production.
Les e-carburants peuvent donc apporter une contribution neutre sur le plan climatique dans tous les secteurs où des carburants conventionnels sont actuellement utilisés (par exemple : les transports ou le chauffage dans les bâtiments.
Les e-carburants peuvent résoudre deux défis de la transition énergétique : les problèmes de stockage et de transport des énergies renouvelables. Grâce à la densité énergétique élevée des biocarburants, et parce qu'ils peuvent être transportés à température et pression ambiantes, les énergies renouvelables peuvent être produites facilement et économiquement dans le monde entier et transportées partout où elles sont nécessaires à l'aide des technologies existantes.