L'artiste, habitué de nos colonnes, se déploie jusqu'au 6 juin à la galerie Abla Ababou à Rabat pour l'exposition « The Forest Inside Me ». Un beau pot-pourri où le sourire le dispute à l'incompréhension. Une performance plurielle dans laquelle le plasticien se tait pour mieux s'exprimer. Qu'est-ce qui fait courir au pas de charge cet artiste habitué aux grands espaces jonchés de plantations et d'animaux qu'il apprivoise à longueur de carrière ? Une folie extrême, celle de multiplier des rêvasseries aussi diurnes que nocturnes et même celles se faufilant entre le fil noir et le fil blanc, boursouflées de couleurs que seul le brutal réveil visualise. Le magma s'effrite, invitant dans ses cassures la fluidité de matières aussi premières que l'évolution de l'humanité, chargées d'enluminures d'un temps indéfini. Avec l'éclat majestueux de ce métal qui tranche allégrement avec la panoplie suggérée. Ilias Selfati voyage physiquement, crée en état de pauses/poses/proses. Il est convaincu que le lendemain naît dans l'immédiateté. Il sait que cogner continuellement par l'œuvre est l'essence de la création. Il comprend également que la dextérité a un nid, celui de la proximité avec ses rêves propres, ses enfouis souvenirs, son voilé regard cultivé pour l'avenir. « The Forest Inside Me » renvoie à d'antérieures expositions d'Ilias, seulement ici l'effort est multi, une belle projection dans le passé-récent exprimant la rétrospective de récentes années. On lui ouvre grand les bras du fait que la qualité engendre émotion, questionnements et remises en cause. L'art étant une cruelle satisfaction. Pas un jour sans dessiner Selfati sort régulièrement de sa forêt inspiratrice, y retourne souvent, mais trouve par à-coups quelques intrus qui essaient d'y élire domicile. Si cela figure des passants, ceci l'inspire moyennement ; quand c'est un positionnement qui ne prononce pas ses intentions, il le caresse à rebrousse-poil. Son univers ainsi installé depuis plusieurs créations veut qu'il dise aujourd'hui en introduction de l'exposition : « Some One is in My Forest ». Une forêt décidément humaine qui pousse au verbe comme ceci se traduit par le texte de Abla Ababou en préambule du catalogue couché sur un papier noble et fuyant : « Le talent chevillé au corps, Ilias Selfati crée comme il respire. Pas un jour sans dessiner. Le monde autour de lui est une immense source d'inspiration, avec un net penchant pour la forêt et ses habitants. Dans cette exposition, l'artiste nous entraine dans un monde grouillant de vie. Le regard papillonne et s'affole. Qu'elle est la part de rêve ou celle du réel ? D'étranges insectes côtoient des chevaux, des cerfs et même un mouton chaussé de bottes. Peut-être est-ce les bottes de sept lieux, celles des contes de notre enfance qui défient le temps et les distances (...) La forêt est vaste mais l'imagination l'est encore plus. Pareils à ses délicates aquarelles florales, aux teintes coulantes, des bribes de souvenirs submergent notre mémoire. La violence côtoie le rêve et la tendresse (...) Une véritable promenade poétique où défilent les matières et les techniques. Artiste multidisciplinaire, Ilias Selfati peint, photographie, dessine et sculpte. Peu importe le support tant que le résultat fouette le regard. » Et au-delà. Ce garçon est une perpétuelle curiosité, un boom qui n'attend que l'explosion réelle, cette détonation qui fait déjà chez lui couler les larmes des couleurs, rappelle la beauté du noir, la finesse du blanc, l'exclusion de l'insipide. Selfati est autrement un conteur. A le laisser s'étendre sur l'histoire de l'art, on l'écoute plus qu'on ne l'entend. Les différents courants qui traversent les décennies et même quelques siècles sont dans sa besace de créateur-chercheur : dadaïsme, surréalisme, réalisme, impressionnisme, abstraction, art contemporain... et autres approches souvent sans qualifications matérielles. Finalement, cet artiste est une chaux vive. Son bouillonnement peut monter jusqu'à plus de bulles. Il trouve pourtant le moyen de la réanimer, la laissant couler, surveillant si son cheminement atteint les horizons qu'il se trace, sinon la laisse se refroidir jusqu'à craquèlement. « The Forest Inside Me » respire la terre blême, l'air contrariée, la végétation fière, l'animal confiant et le monde dispendieux. Décidément, l'humain n'est que particule, mais tellement nocive... Ilias Selfati, depuis son arrimage sur ces côtes sans véritable sauvetage, poursuit son attachement à la terre. Une terre qui flotte dans une mer qui le transporte. Anis HAJJAM