Au Maroc, l'accélération de la décarbonation du transport peut impulser la limitation des Gaz à Effet de Serre (GES) et la lutte contre la pollution atmosphérique, tout en permettant l'éclosion de nouvelles opportunités industrielles. Publiée la semaine dernière, la synthèse du sixième rapport d'évaluation du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC) a retenti comme un énième rappel soulignant l'importance d'une action mondiale rapide pour garantir une réduction des émissions de gaz à effet de serre et pour assurer une adaptation adéquate au changement climatique. A cet égard, si la littérature scientifique tend souvent à préciser la nuance technique qui peut exister entre pollution atmosphérique et émission des Gaz à Effet de Serre (GES), il n'en demeure pas moins que plusieurs groupes d'experts se permettent de les considérer comme quasiment comparables, voire indissociables, puisqu'agir contre les émissions de GES implique souvent d'agir également sur les causes de la pollution atmosphérique. Le Royaume du Maroc, qui fait bonne figure au niveau international dans la limitation des émissions de GES à travers une Contribution Déterminée Nationale (CDN) ambitieuse, peine cependant encore à concrétiser pleinement une véritable feuille de route pour lutter contre la pollution atmosphérique.
Dégâts humains
Alors que d'autres pays plus industrialisés souffrent de niveaux beaucoup plus élevés en termes de pollution de l'air en raison de la présence d'industries lourdes et polluantes, le Maroc en tant que pays émergent ne peut plus se permettre de considérer que cette problématique n'est pas (encore) prioritaire. Difficile à quantifier précisément la pollution atmosphérique au niveau national n'en est pas moins tangible au regard des 8.750 décès par an qui sont directement liés à l'insalubrité de l'air, selon un rapport de la Banque Mondiale sur le coût de la dégradation de l'environnement (datant de 2017). Un chiffre qui a depuis été revu à la hausse en 2019 dans le cadre d'une étude nationale menée par le ministère de la Santé qui, pour sa part, estimait les dégâts en vies humaines au Maroc qui sont imputables chaque année à la pollution de l'air à plus de 10.000 décès. Si plusieurs facteurs et secteurs contribuent localement à dégrader la qualité de l'air, l'une des principales sources de pollution atmosphérique est le secteur du transport qui est par ailleurs responsable de 23% des émissions de GES au niveau national.
Décarboner le transport De ce fait, les retombées d'une décarbonation de ce secteur pourraient aussi bien contribuer à sauver des dizaines de milliers de vies à court terme, que mitiger les impacts des changements climatiques à long terme. A cet égard, s'il est possible de constater au Maroc un début de transition (timide pour l'instant) depuis des véhicules thermiques obsolescents vers des modes de mobilité hybrides ou électriques, force est de constater que les transports des personnes et des marchandises résistent encore à entamer une réelle transition. Exemple du nouveau cadre réglementaire national qui devait dès l'année 2023 proscrire « les véhicules polluants », mais qui, face à la levée de boucliers des professionnels, a dû faire l'objet d'un ajustement pour donner 24 mois supplémentaires aux véhicules lourds afin de s'aligner aux exigences de la norme Euro 6B. En résultat, le tiers le plus polluant du parc automobile national se retrouve ainsi épargné de la première transformation (d'une longue série à venir) qui devrait à terme mener vers un transport routier décarboné.
Industrie de véhicules électriques
En attendant, l'autre levier potentiel pour faciliter et accélérer la transition du secteur des transports est le développement et l'encouragement d'une offre locale de véhicules électriques (ou à hydrogène) aussi bien pour les catégories légères que pour celles dédiées au transport des personnes et des marchandises. Autrement, le pays devra d'ici 2026 continuer à privilégier des modèles thermiques polluants à l'image de la commande de 227 autobus par la ville de Fès dans le cadre d'un programme d'investissement de 420 MDH. À noter que les diverses villes du Royaume - selon certaines sources professionnelles - totalisent actuellement plus de 2600 bus et près de 800 minibus dont les seuls coûts économiques et environnementaux restent très importants dans un secteur du transport qui dépend d'énergies fossiles 100% importées. En favorisant l'installation d'un écosystème industriel local dédié aux véhicules lourds (électriques ou à hydrogène), notre pays serait gagnant sur plusieurs plans : limiter les GES, sauver des milliers de vies, économiser des millions en devise, améliorer la qualité de l'air et s'ériger en hub régional de la mobilité durable.
Omar ASSIF
« Une action accélérée et équitable pour atténuer et s'adapter aux impacts du changement climatique est essentielle au développement durable »
Membre du bureau du GIEC et spécialiste nationale en changement climatique, Fatima Driouech répond à nos questions sur le dernier rapport de synthèse du GIEC. Quel est l'apport de ce nouveau rapport du GIEC ? - Ce rapport, dit « Rapport de Synthèse », est le dernier du 6ème cycle de l'IPCC. Il résume l'état des connaissances sur le changement climatique, ses impacts et risques généralisés, ainsi que sur l'atténuation et l'adaptation. Il intègre, en effet, les principales conclusions du sixième rapport d'évaluation (AR6) sur la base des contributions des trois groupes de travail (WGI, WGII et WGIII) et des trois rapports spéciaux. Ce rapport met en exergue l'interdépendance du climat, des écosystèmes et des sociétés humaines ainsi que les liens étroits entre l'adaptation au changement climatique, l'atténuation, la santé des écosystèmes, le bien-être humain et le développement durable. La diversité croissante des acteurs impliqués dans l'action climatique y est bien reflétée. Quelles sont les principales conclusions qu'il faut en retenir ? - Une des conclusions principales du rapport est que nous disposons de plusieurs solutions réalistes et efficaces pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et pour assurer une adaptation adéquate au changement climatique. Une action accélérée et équitable pour atténuer et s'adapter aux impacts du changement climatique est essentielle au développement durable. Pour y arriver, il faut agir sans attendre. Il faudra également noter que les flux financiers sont inférieurs aux niveaux nécessaires pour atteindre les objectifs climatiques dans tous les secteurs et toutes les régions. Pensez-vous que le Maroc pourrait améliorer encore plus ses efforts de limitation des GES et surtout de lutte contre la pollution atmosphérique ? - La Contribution déterminée nationale du Maroc actualisée montre un grand engagement du Maroc envers l'effort international de lutte contre le changement climatique. Si l'adaptation s'impose vu la vulnérabilité de plusieurs secteurs socio-économiques clés du Maroc, l'atténuation présente une opportunité de développement d'une économie verte durable pour le pays. Dans le même sens, la réduction de la pollution est bénéfique à la fois pour la santé humaine et l'atténuation des émissions de GES. Le Maroc dispose d'un grand potentiel d'atténuation et pourra jouer un rôle internationalement important à travers la production d'énergies renouvelables. Il faudra qu'il puisse mettre en place l'ensemble des conditions favorables dont une partie reste, malgré tout, dépendante de financements extérieurs et du développement technologique. L'info...Graphie Investissement : Opportunités à saisir pour une nouvelle industrie à construire Durant la période actuelle, plusieurs villes marocaines devraient voir arriver à terme leurs contrats de gestion déléguée du Transport public. C'est le cas pour les villes de Tanger, de Marrakech, de Tétouan ou encore d'Agadir. Ces villes devraient profiter de cette opportunité de changement afin de tester et de privilégier des solutions innovantes de transport public et éviter ainsi le recours à des véhicules polluants, ou encore d'occasion, comme cela a été le cas dans certaines agglomérations urbaines marocaines. Le seul frein à ce changement est actuellement le prix souvent exorbitant des propositions internationales pour des véhicules de ce genre. Cela dit, selon nos sources, il existe au moins une entreprise nationale privée capable et disposée dans l'immédiat de relever le défi d'installation d'un écosystème de production locale de véhicules électriques (légers et lourds) et véhicules à hydrogène (bus). Cette entreprise pourrait se lancer dans un temps record du moment qu'elle bénéficie de « l'encouragement des décideurs politiques à travers l'acquisition dans un premier temps d'une vingtaine de bus électriques importés par ville » dont le prix serait plus ou moins équivalent à celui des bus thermiques. Cette entreprise est par ailleurs en attente pour mettre en place sa propre infrastructure de production d'énergies renouvelables, ce qui permettra de solutionner dès le départ la question liée à l'approvisionnement dans toutes les régions du Royaume. Une opportunité à saisir d'autant plus que l'expérience de la Coupe du Monde au Qatar a prouvé que ce nouveau modèle de locomotion est loin d'être une chimère.
NMD : Un moteur pour la décarbonation et la mobilité durable Selon le Nouveau Modèle de Développement (NMD), « la mise en place d'un cadre propice au développement de la mobilité électrique, en préambule à la mobilité durable, exige une plus grande synergie entre les secteurs de l'énergie, de l'équipement et des transports, et appelle à la mise en place d'une feuille de route commune pour bien anticiper et cadrer l'émergence d'une nouvelle demande importante. Cette feuille de route devra également esquisser une stratégie industrielle, menée par l'Etat, impliquant l'industrie automobile locale, et stimulant l'offre comme la demande. L'offre, en se positionnant sur des segments de la chaîne de valeur comme la fabrication et le recyclage des batteries ou la production de carburants alternatifs, et en élargissant le marché de l'offre locale. La demande pourra être stimulée par le biais de mesures incitatives encourageant l'achat de véhicules électriques plutôt que thermiques, et en densifiant l'infrastructure urbaine et interurbaine de recharge, renforçant ainsi la fiabilité et la praticité de ces véhicules durables ».