Le Maroc affiche de fortes ambitions dans le cadre de la Stratégie Nationale pour le Développement Durable (SNDD) 2030 adoptée en 2017, qui stipule, entre autres objectifs stratégiques, de « mettre en œuvre les fondamentaux d'une économie verte et inclusive au Maroc« , « faire de l'exemplarité de l'Etat un levier pour la mise en œuvre de la SNDD » et « améliorer l'efficacité énergétique dans le secteur du transport et promouvoir les transports propres« . La Contribution Déterminée au Niveau National (NDC) adoptée en 2016 vise la réduction des émissions de gaz à effets de serre (GES) de 42% (inconditionnel et conditionnel) en 2030, avec une contribution attendue du secteur du transport de 9,5%. La Stratégie Energétique Nationale adoptée en 2011 retient comme objectif d'atteindre 52% de capacité installée en énergies renouvelables en 2030 et la Stratégie Logistique publiée en 2016 vise à réduire la consommation d'énergie et les émissions du transport routier de 35% au même horizon. Avec 38% de la consommation énergétique finale du Royaume, le transport est le secteur le plus énergivore, bien devant le résidentiel (25%), l'industrie (21%), ou encore le secteur tertiaire avec 8% et l'agriculture avec 7%. En plus d'être très énergivore, ce secteur, qui dépend à 99% des énergies fossiles et consomme 45 % des produits pétroliers importés, est connu pour être l'un des plus gros contributeurs d'émissions de CO2 car il émet à lui seul 23% des émissions de GES. Le parc national compte 3,8 millions de véhicules, en croissance de 5%/an, et il est estimé que, sans interventions adéquates, la consommation des produits pétroliers par le secteur du transport s'accélère au même rythme. Par ailleurs, selon l'Organisation Mondiale de la Santé, la pollution de l'air reste alarmante : les données de 2018 montrent que le taux de particules fines dans certaines grandes agglomérations dépasse jusqu'à 300% les recommandations de l'OMS, occasionnant un coût de la pollution de l'air qui s'élève à 10 milliards DH, soit 1% du PIB national, et générant des effets néfastes sur la santé des citoyens, particulièrement les enfants. Maîtriser les émissions du secteur du transport est donc une condition essentielle pour atteindre les objectifs d'amélioration de la qualité de l'air, d'efficacité énergétique et de réduction de la dépendance des produits pétroliers, ces derniers pesant lourdement sur la balance commerciale et le compte de devises du Royaume. Nécessité d'une vision globale et fédératrice de la mobilité électrique Des stratégies intégrées « Air – Climat – Energie« qu'exige la lutte contre le changement climatique sont à privilégier et doivent nourrir la mise en œuvre de stratégies sectorielles bas-carbone, en poursuivant des modes de développement plus économes en énergie et plus résilients face au dérèglement climatique, notamment en matière de verdissement du transport. Il va sans dire que l'intérêt pour le Maroc d'opérer une mutation progressive vers la mobilité propre est incontestable ; l'homologation et l'exonération de véhicules légers électriques et hybrides des droits de douane et de la vignette annuelle en 2017 est un signal de promotion de la mobilité électrique. Sujet hautement transversal, l'essor de la mobilité électrique nécessite une mobilisation d'ampleur et l'engagement d'un ensemble d'actions cohérentes, interdépendantes et multisectorielles. Cette mutation exige d'adopter une approche différenciée en fonction des différents segments de la mobilité électrique, de lever les goulots d'étranglement qui font obstacle à son développement et permettre le basculement d'un système extrêmement dépendant des énergies fossiles vers des énergies de propulsion plus sobres en carbone et réductrices des externalités négatives sur la qualité de l'air et la santé publique. A cet effet, les pouvoirs publics sont interpellés pour développer une vision globale et fédératrice en la matière, définir des objectifs nationaux et les échéances pour leur atteinte, formuler une stratégie de promotion et de communication à l'adresse de tous les acteurs concernés, et créer les conditions idoines pour rejoindre des trajectoires plus ambitieuses de développement de la mobilité électrique en tant que levier pour l'intégration des énergies renouvelables dans le mix énergétique à travers un cadre réglementaire et fiscal approprié. Cette vision permet non seulement de réduire l'impact énergétique et écologique, mais également de fédérer toutes les parties prenantes, donner de la visibilité aux investisseurs nationaux et étrangers (constructeurs, importateurs, équipementiers) désireux d'investir dans des activités de service et de production, et stimuler le développement d'une offre intégrée et déclinée selon les différents segments, prenant en compte les besoins d'investissements et l'impact sur les secteurs de l'énergie et du transport. Territoires attractifs intégrant « Urbanisme » et « Mobilité durable« Des systèmes de mobilité performants et propres doivent être perçus autant comme un avantage concurrentiel des territoires qu'un vecteur d'amélioration de l'attractivité touristique, d'augmentation de la compétitivité des villes et d'inclusion sociale. L'articulation judicieuse des plans communaux, provinciaux et régionaux de développement avec les outils de planification à long terme de la mobilité doit privilégier les modes de mobilité à faibles émissions, en attribuant plus d'espaces pour le transport public en site propre (tramway, bus électriques à haut niveau de service). A ce titre, la création de nouvelles villes constitue une réelle opportunité pour installer dès leur genèse des systèmes de mobilité durable en site propre permettant d'éviter les corrections coûteuses auxquelles les grandes villes, insuffisamment planifiées, font face aujourd'hui, tout en intégrant les acteurs de la filière du bâtiment dans le déploiement prospectif de la mobilité électrique, notamment en ce qui concerne les prérequis et la mise en œuvre de la recharge à domicile. Exemplarité de l'Etat et des collectivités territoriales : de la théorie au déploiement effectif Force est de constater que le Maroc ne dispose pas d'un cadre légal et réglementaire permettant le développement du marché des véhicules électriques, notamment en ce qui concerne l'exemplarité de l'état, les obligations des acteurs du transport collectif, le déploiement d'un réseau de bornes de recharge public, la mise en place d'un système de gouvernance et d'intelligence pour le suivi des objectifs fixés et l'observation des évolutions technologiques, le développement d'une tarification incitative privilégiant la mobilité électrique, l'introduction de bonus-malus écologique, etc. En alignement avec les stratégies nationales susmentionnées, l'exemplarité de l'Etat devrait se traduire, à juste titre, par l'application effective des circulaires du chef du gouvernement qui viseraient à catalyser le développement du marché de la mobilité électrique à travers l'acquisition de 10% de véhicules à faibles émissions de gaz à effet de serre et polluants atmosphériques à l'occasion du renouvellement annuel des flottes de transport des administrations centrales et locales. Les parcs des administrations publiques et des collectivités territoriales, notamment les bus de transport collectif/urbain, constituent une frange de la flotte assez facilement convertible et peuvent servir de catalyseurs de premier rang de la transition à terme vers une mobilité décarbonée, dans le cadre d'une démarche programmatique cohérente avec l'exemplarité affichée par l'Etat. Naissance de clusters industriels et d'innovation de mobilité électrique Bénéficiant d'une maturité technologique suffisante pour s'imposer comme une solution crédible aux enjeux de la transition énergétique, la mobilité électrique est porteuse de nombreuses opportunités économiques et industrielles qu'il conviendrait de saisir pour l'émergence d'écosystèmes régionaux comprenant des opérateurs de tous les domaines (matériel roulant très léger, léger et lourd, infrastructures, modèles commerciaux de partage et recharge, batteries et leur recyclage). Dans le même temps, le gouvernement est interpellé pour la mise en place de dispositifs législatifs et réglementaires bien fournis qui devraient notamment rendre obligatoire la planification de l'infrastructure de recharge en milieu public dans les plans de mobilité urbaine des grandes villes, le contrôle des émissions de CO2, l'installation de bornes de recharge au niveau des parkings, des centres commerciaux, des immeubles résidentiels, etc. L'introduction de tels dispositifs, qui dépend d'une décision éminemment politique, présente l'opportunité et le potentiel de faire émerger des clusters industriels et d'innovation favorisant la production locale à forte valeur ajoutée et créatrice d'emplois durables, notamment dans le cadre de partenariats stratégiques avec des opérateurs de renom capables de dynamiser les écosystèmes de fabrication et de prestataires de services. Ces clusters auront vocation à mettre en synergie l'ensemble des acteurs intervenant dans la chaine de valeur de la mobilité électrique (opérateurs, universités, instituts de recherche, écoles d'ingénieurs, collectivités territoriales, PME, société civile, banques et assurances, etc.) pour faire avancer la R&D et l'innovation, adapter l'expérience internationale aux contextes et besoins locaux et promouvoir la production locale des composantes (batteries, bornes de recharges) et des véhicules. Par Mohammed BENAHMED, expert international dans développement territorial durable, ingénieur civil de l'EMI, diplômé du cycle supérieur de gestion de l'ISCAE