Esquissé, dans le cadre d'une feuille de route qui n'a pas été adoptée, le chantier de la mobilité durable au Maroc prend du retard, en attendant une véritable stratégie nationale officielle. Mobilité douce, éco mobilité, transport durable... Autant de terminologies qui désignent les multiples facettes d'un vaste chantier de « mobilité durable » que les pays à travers le monde tentent, tant bien que mal, de mettre en œuvre. Avec l'augmentation de l'urbanisation, de la démographie et de la pollution générée par le trafic routier, la mobilité durable est la seule solution viable pour « assainir » les villes congestionnées et polluées. En prenant en considération les aspects environnementaux et sociaux qui s'imposent, la mobilité durable s'érige ainsi en véritable vecteur de décarbonisation des économies, de désenclavement et d'inclusion, voire de création d'emplois. Cette énième « transition environnementale » n'est cependant pas de tout repos puisqu'elle nécessite d'agir le plus souvent sur des territoires dont il faut revoir la configuration et où il faut amorcer des changements à plusieurs niveaux. Au Maroc, la feuille de route dédiée à ce chantier a été élaborée en 2018, sous l'égide du ministère de l'Equipement, du Transport, de la Logistique et de l'Eau. Si plusieurs actions ont commencé à voir le jour pour amorcer ce chantier, le plus dur reste encore à faire. L'exemple casablancais Le cas le plus parlant est celui de Casablanca. Lors d'un webinaire organisé le 28 janvier dernier par l'Alliance Marocaine pour le Climat et le Développement Durable (AMCDD) sous la thématique « Urbanisme collaboratif et mobilité », les divers intervenants ont relevé plusieurs obstacles vers la mise en œuvre d'une véritable mobilité durable dans la capitale économique. « En se basant sur les enquêtes réalisées sur le terrain, il ressort que 12% des Casablancais utilisent leurs voitures alors que 62% se déplacent grâce à la marche et 13% grâce aux transports collectifs. La priorité est cependant toujours donnée à la mobilité des voitures au détriment des transports en commun et des voies cyclables et piétonnes », a souligné, pendant son intervention, Imad Khallouki de la commission mobilité de l'AMCDD. « Pour atteindre une mobilité durable, il est nécessaire d'avoir une vision partagée et unifiée qui donne la priorité au développement et à la promotion d'un transport collectif, multimodal, écologique et accessible. Il faut aussi connecter Casablanca avec sa région et sa périphérie, mais également veiller à ce que le Plan de Déplacement Urbain se fasse en parallèle avec la planification urbaine de la ville », a souligné l'expert de l'AMCDD. Les efforts à entamer à Rabat Dans la région de Rabat-Salé-Skhirat-Témara, la mise en œuvre des chantiers de la mobilité durable prend actuellement la forme d'un plan qui ambitionne d'intégrer les défis de développement urbain et de mobilité, en inscrivant notamment le territoire dans les visions nationales de la transition énergétique et de préservation de l'environnement. À l'instar de toutes les feuilles de routes dédiées à ce chantier, le plan de mobilité urbaine durable (PMUD) 2021-2035 dédié à la capitale et à sa région s'articule autour de la mise en cohérence des divers modes de déplacements de personnes et de marchandises et la mise en place d'un cadre de référence pour aider les décideurs à faire des choix réalisables financièrement dans le temps et dans l'espace. À terme, l'objectif sera d'établir une circulation bien étudiée, à même de diminuer les nuisances environnementales et les risques liés à la sécurité routière. La maîtrise d'ouvrage de ce chantier reviendra à l'Etablissement de coopération intercommunal (ECI) «Al Assima» avec la Société du tramway de Rabat-Salé (STRS) comme maître d'ouvrage délégué. Absence d'une stratégie officielle À l'image de Rabat et Casablanca, plusieurs villes du Royaume ont travaillé sur l'élaboration de plans de déplacements urbains (PDU) avec l'accompagnement et l'appui technique de la Direction Générale des Collectivités Territoriales (DGCT). Les efforts du Royaume en matière de mobilité durable restent cependant limités en l'absence d'une stratégie officielle en la matière puisque la feuille de route pour la mobilité urbaine initiée par le Département du Transport avec l'accompagnement de la GIZ n'a pas été adoptée par le gouvernement. « La gouvernance de la mobilité durable au Maroc nécessite de repenser le concept de mobilité et la synergie entre les prérogatives du Département des Transports et celles du ministère de l'Intérieur », souligne Hassan Agouzoul, consultant en transition énergétique et en développement durable. « L'atteinte des objectifs de l'Accord de Paris, de ceux liés aux engagements climatiques du Maroc et l'optimisation de l'apport d'un transport décarboné peuvent en partie être concrétisées grâce à une stratégie nationale officielle qui fixerait les orientations nationales concernant la mobilité durable », résume l'expert. Oussama ABAOUSS 3 questions à Badr Ikken, Directeur Général de l'IRESEN « Nous travaillons actuellement sur un projet de feuille de route pour la mobilité électrique » Président-Directeur Général de l'Institut de recherche en énergie solaire et en énergies nouvelles (IRESEN), M. Badr Ikken a répondu à nos questions sur la transition vers la mobilité électrique au Maroc. - Quelle part représente la mobilité électrique dans le chantier de la mobilité durable au Maroc ? - Au Maroc, la mobilité et le transport représentent plus de 38% de la consommation énergétique globale. La mobilité durable est donc un secteur-clé dans le chantier que constitue la décarbonisation de l'économie nationale. Dans ce contexte, la mobilité électrique est particulièrement intéressante parce qu'elle permet de diminuer les émissions de gaz à effet de serre avec, en plus, des coûts d'utilisation qui sont 4 à 5 fois plus faibles que ceux d'une mobilité « conventionnelle ». - Est-ce que la transition vers la mobilité électrique au Maroc est déjà amorcée ? - De plus en plus de constructeurs automobiles annoncent l'arrêt programmé de production de voitures thermiques pour privilégier des véhicules électriques. Avec la baisse des prix des batteries, et sachant que les prix des moteurs et de l'entretien pour les véhicules électriques sont inférieurs à ceux de voitures thermiques, le budget pour acheter l'un ou l'autre de ces catégories de véhicules sera bientôt quasiment le même. La mobilité électrique s'impose de plus en plus au niveau international et cette tendance ne manquera pas de s'imposer également dans notre pays. C'est pour cette raison que nous travaillons actuellement à préparer l'environnement favorable, que ce soit au niveau de la réglementation, de l'impact sur le réseau électrique ou encore de l'intégration de l'infrastructure de recharge. - Existe-t-il une stratégie dédiée à cette transition vers la mobilité électrique ? - Avec les parties prenantes concernées, nous travaillons actuellement sur un projet de feuille de route de la mobilité électrique. Deux études, qui seront lancées dans les prochains mois, nous permettront de déterminer les actions prioritaires pour accompagner cette transition. Recueillis par O. A Encadré Crise sanitaire : Baisse des ventes de véhicules hybrides et électriques À l'instar des ventes de véhicules thermiques conventionnels, la pandémie de Coronavirus n'a pas manqué d'impacter le volume des ventes de véhicules hybrides et électriques au Maroc en 2020. Selon les statistiques de l'Association des Importateurs de Véhicules Automobiles Montés (AIVAM), relayées par « Aujourd'hui le Maroc », la tendance des ventes de cette catégorie de véhicules était pourtant à la hausse ces dernières années. Après 342 voitures (hybrides et électriques) vendues en 2017, 1.140 unités écoulées en 2018, 1.417 immatriculations enregistrées en 2019, les ventes ont baissé pour atteindre un total de 1.018 ventes durant l'année 2020. Une baisse de 28% sur le segment des véhicules hybrides et électriques qui serait manifestement plus causée par la crise sanitaire que par le manque d'engouement des acheteurs pour ces voitures « plus propres ». L'AIVAM considère cependant que le marché des énergies alternatives demeure très marginal (0.9% du marché de l'automobile). L'Association des Importateurs de Véhicules Automobiles Montés explique cette faible part de marché par « l'absence de subventions franches et de feuille de route pour la mobilité durable ». De l'autre côté de la Méditerranée, la crise sanitaire n'a manifestement pas impacté les ventes de voitures hybrides et électriques. Selon l'Association des constructeurs automobiles européens (ACEA), plus de 1,36 million de véhicules neufs électriques se sont vendus en Europe en 2020, enregistrant ainsi une augmentation de 143,8% comparativement à 2019.
Repères Premier taxi hybride au Maroc Le 21 janvier dernier a été marqué par la mise en circulation à Casablanca du premier taxi hybride au Maroc. Remise par la Directrice générale de Toyota Du Maroc, cette première voiture hybride a été achetée par le président de l'association des taxis de la région Centre. À noter que depuis 2017, Toyota Maroc a permis à 23 taximen de tester des véhicules hybrides pendant 6 semaines à Casablanca et à Marrakech. Ces tests ont permis de mettre en évidence des possibilités de réaliser des économies de consommation de près de 30%. Hydrogène vert et combustibles synthétiques Si la transition vers une mobilité électrique semble se profiler rapidement dans le secteur des véhicules légers, le secteur maritime, celui de l'aviation, voire même celui du transport lourd (camions et autocars) nécessiteront, selon l'avis des expert, plus de temps pour amorcer leur transition vers l'électrique. « Ces secteurs particuliers devront passer par une phase de transition où les carburants synthétiques produits grâce à l'hydrogène vert pourront être mis à profit », annonce Badr Ikken, directeur général de l'IRESEN.