L'implémentation d'une filière de production locale de bus électriques est plus que jamais à la portée du secteur privé national. Zoom sur un enjeu stratégique et une urgence socio-économique. Après la 4ème édition de la Conférence internationale sur la mobilité durable qui s'est tenue à Marrakech le 6 octobre 2022, les professionnels du secteur routier se préparent à participer à la 11ème édition du Congrès national de la route qui se tiendra du 10 au 12 novembre prochain à Dakhla. Les deux événements se penchent sur l'enjeu stratégique de la mobilité durable, dans un contexte géopolitique qui ne cesse de confirmer l'importance pour le Royaume d'accélérer sa transition vers un secteur du transport qui dépend moins d'énergies fossiles polluantes, coûteuses et entièrement importées de l'étranger. La facture énergétique du pays devra à cet égard atteindre plus de 135 milliards de dirhams d'ici fin 2022, contre 76 milliards en 2019, avec une consommation énergétique finale destinée au secteur du transport estimée à 41%. Au cours de ce dernier trimestre de l'année 2022, les spécialistes sont également dans l'expectative pour découvrir le tant attendu « Plan directeur pour la mobilité électrique au Maroc ». Modèle de mobilité électrique Première déclinaison nationale de la « macro-feuille de route mondiale pour la transformation du transport », ce plan directeur devrait se compléter avec la feuille de route pour la mobilité électrique en cours d'élaboration par les professionnels de l'IRESEN, l'AMEE et le ministère de l'Industrie et du Commerce. Si les orientations de ces feuilles de route sont encore à découvrir, il n'en reste pas moins que le contexte actuel autant que les divers atouts du Royaume devront assurément servir de fils conducteurs pour établir un modèle qui, en plus d'un impact environnemental positif, pourra impulser l'emploi et la création d'une forte valeur ajoutée locale. L'un des segments les plus porteurs de ce modèle marocain de mobilité électrique est le transport public des personnes. Si le Royaume peut déjà s'enorgueillir des avancées réalisées à travers le transport ferroviaire et les lignes de tramway, le transport public des personnes (urbain notamment) reste encore à révolutionner. Un potentiel à encourager « Le secteur national de l'industrie automobile est suffisamment mature pour permettre d'installer un écosystème industriel et des chaînes de production dédiées à des véhicules électriques de transport en commun. Je pense que nous gagnerons à étudier les moyens d'établir au Maroc ce nouveau segment automobile parce qu'il y a énormément d'avantages à la clé », explique un expert en décarbonation. En effet, grâce à l'existence dans notre pays d'un cadre légal et réglementaire qui permet aux particuliers d'investir dans la production puis la revente d'une électricité verte issue d'énergies renouvelables, l'investissement dans une filière de production et maintenance de bus électrique Made in Morocco (disposant d'un taux d'intégration satisfaisant) peut s'avérer une opportunité pour les investisseurs privés nationaux de mettre en place des modèles dans lesquels le coût (déjà optimisé car produits localement) des véhicules est rapidement amorti grâce aux économies faramineuses d'énergies fossiles et de consommables qui restent le lot des bus thermiques. Marché carbone En plus du développement socio- économique, la création d'emplois, l'amélioration de la qualité de vie et du potentiel de valorisation à l'export, favoriser l'éclosion d'une industrie locale de production de bus et minibus électriques pourra contribuer à réduire drastiquement la pollution atmosphérique et les émissions de gaz à effet de serre (GES). Après le remplacement progressif et inéluctable de la flotte nationale de bus thermiques, la décarbonation de ce secteur pourrait également permettre au Royaume de tenir ses engagements internationaux, voire de les dépasser, en disposant d'un réservoir de crédits-carbones à revendre à l'international dans le cadre de l'Article 6 de l'Accord de Paris sur le climat. À noter que les diverses villes du Royaume totalisent actuellement plus de 2600 bus et près de 800 minibus dont les coûts économiques et environnementaux restent très importants dans un secteur du transport qui dépend d'énergies fossiles 100% importées. Le secteur est par ailleurs responsable de plus de 30% des émissions nationales de GES, dont les dégâts en termes de pollution atmosphérique dévorent plus de 1% du PIB chaque année. Oussama ABAOUSS
Repères Stratégie Bas Carbone « Le Maroc a élaboré la nouvelle « Stratégie Bas Carbone à Long Terme Maroc 2050 », publiée en octobre 2021, qui vise 80% des énergies renouvelables dans la consommation totale d'énergie et qui érige l'électrification des usages, la transition numérique, l'investissement dans le développement de nouvelles infrastructures de transport sobres en carbone, et l'intégration de l'hydrogène vert pour la décarbonation du transport, comme des axes de développement stratégiques », a souligné M. Nizar Baraka lors de la 4ème Conférence internationale sur la mobilité durable.
Une vision à la portée Selon nos sources, il existe au moins une entreprise nationale privée capable et disposée dans l'immédiat de relever le défi de l'installation d'un écosystème de production locale de bus électriques. Cette entreprise pourrait se lancer dans un temps record du moment qu'elle bénéficie de « l'encouragement des décideurs politiques à travers l'acquisition dans un premier temps d'une vingtaine de bus électriques importés par ville » dont le prix serait plus ou moins équivalent à celui des bus thermiques. L'info...Graphie CBAM Réforme du système européen d'échange de quotas carbone
En juillet 2021, la Commission Européenne a présenté une proposition législative sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'UE (CBAM). Sur la base de la proposition de la Commission, la CBAM (qui s'appliquera au ciment, aux engrais, au fer et à l'acier, à l'aluminium et à l'électricité) devrait entrer en vigueur dès janvier 2023 sous une forme transitoire, et s'appliquer pleinement à partir de 2026. Etant donné que le texte final devra être approuvé par le Conseil (composé des Etats membres de l'Union Européenne) et le Parlement européen, les deux institutions ont examiné la proposition de la Commission et présenté leurs positions. Le 15 mars 2022, le Conseil, sous la présidence française, s'est rapidement mis d'accord sur une « orientation générale » avec des modifications limitées de la proposition de la Commission. Le Parlement a adopté sa position le 22 juin 2022, après avoir rejeté un premier projet lors d'un vote qui a eu lieu le 8 juin 2022.
France Bus électriques, une technologie enfin arrivée à maturité
Problèmes de coût élevé, de dimensionnement et de fabrication de la batterie, de mise en place de solutions efficaces de recharge, de maîtrise de la maintenance, d'accès aux minerais stratégiques de stockage d'électricité... Les défis pour démocratiser et fiabiliser les bus électriques se sont posés avec acuité depuis plusieurs années. Cette situation a largement évolué depuis et augure actuellement d'une arrivée à maturité de cette technologie qui donne des résultats satisfaisants depuis plusieurs années dans le cadre de tests réalisés dans diverses régions du monde et en France notamment. Cette dynamique a été initiée dans l'Hexagone depuis 18 ans déjà à travers l'opération « 100 bus électriques » lancée le 30 septembre 2004 par l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie (ADEME). Ainsi, l'ADEME a financé 20% du surcoût par rapport aux bus thermiques équivalents. Grâce aux efforts consentis depuis, la France compte en 2022 environ 1000 bus électriques (hors minibus) exploités dans 40 réseaux de transport public. À cet égard, l'Etat français a mis en place des subventions pour inciter les collectivités locales et les entreprises à acquérir des bus électriques et à adapter les dépôts (travaux d'électrification). Cela dit, seuls les bus avec au moins 60% d'assemblage en Europe des pièces principales sont éligibles aux subventions. Ce programme, qui s'inscrit dans la suite de la dynamique de généralisation des bus électriques, a été lancé en janvier 2019.
3 questions à Hassan Agouzoul «Le projet de production de bus électriques au Maroc constitue une opportunité unique»
Expert en développement durable et transition énergétique, Hassan Agouzoul répond à nos questions sur le potentiel d'une filière de production locale de bus électriques. - Pensez-vous qu'il faille encourager la mise en place d'une filière locale de production de bus électriques ? - L'électrification du transport en commun permettra de réduire de manière drastique la facture énergétique du secteur du transport au Maroc, ce qui réduira de manière substantielle le montant de déficit de la balance commerciale nationale et le taux de dépendance nationale aux énergies fossiles importées. Aujourd'hui, pour diverses raisons, le transport en commun à travers les bus et minibus n'est pas suffisamment utilisé et optimisé. Le business modèle de ce secteur est appelé à être revu complètement afin de privilégier l'accès de manière équitable à un transport décarboné, de bonne qualité et à des prix abordables pour toutes les tranches sociales. Ceci aura une répercussion énorme sur la qualité de vie, le pouvoir d'achat, la compétitivité et l'attractivité des villes. De ce fait, un projet de production de bus électriques au Maroc constitue une opportunité unique qu'il faut encourager puisqu'il pourra s'appuyer sur une chaîne de valeur locale et qualifiée. - Un projet de ce genre pourrait-il bénéficier d'un important taux d'intégration ? - C'est, en effet, possible d'autant plus que le cobalt qui est le minerai de référence dans ce genre de chaîne de valeur (dans la production de batteries notamment) est produit au niveau national. Il y a donc matière à capitaliser sur le savoir-faire reconnu du Royaume en matière d'extraction et de transformation du cobalt (et d'autres minerais stratégiques) puisque cela pourrait assurer une sécurité d'approvisionnement que d'autres pays cherchent au niveau mondial afin de viabiliser leurs business modèles à long terme. Un autre atout passe par la loi 40-19 qui donne une possibilité aux investisseurs de produire leurs propres besoins en énergies vertes. La mise à profit de cette loi dans ce genre d'investissement pourrait aboutir à un business modèle innovant dans lequel le taux d'intégration pourrait dépasser les 90%. - Quid du potentiel de revente des crédits- carbones économisés par la suite ? - Les crédits-carbones constituent en effet un levier de cofinancement très important qui dépend toutefois de trois conditions : la mise en place de la taxation carbone prévue dans l'article 7 de la loi sur la réforme de la fiscalité, la mise en place d'un cadre législatif et réglementaire lié au marché du carbone au Maroc (en cohérence avec les dispositions de l'article 6 de l'accord de Paris), et le développement de l'expertise nationale en matière de certification de l'électricité produite à base d'énergies renouvelables, ainsi que l'expertise nécessaire en matière de mesure des unités de CO2 économisées afin de pouvoir se baser sur un référentiel solide et reconnu à l'international. De ce fait, la mise en place d'une norme marocaine reconnue internationalement en matière de mesure d'empreinte carbone sera déterminante pour soutenir le marché du carbone national et les investisseurs dans ce secteur. Recueillis par O. A.