La guerre en Ukraine peut-elle conduire l'Afrique à manquer de gaz ? Une question à laquelle le Policy Center For the New South répond négativement dans un rapport qui décortique le marché régional en la matière. Le Maroc reste également «safe» puisqu'il ne dépend nullement du gaz russe, mais la diversité de ses fournisseurs est de mise. D'un mois à l'autre, la hausse des prix du gaz naturel devient de plus en plus imprévisible. Une flambée qui n'est pas liée uniquement à la guerre russo-ukrainienne, puisqu'entre décembre 2020 et décembre 2021, le prix du gaz naturel sur le marché a été multiplié par sept, avec une déconnexion des cours du gaz et du pétrole qu'il faut souligner. Si les cours du gaz naturel n'ont donc pas attendu la crise ukrainienne pour s'emballer, celle-ci va toutefois en amplifier les cours et modifier les conditions de son approvisionnement pour les pays importateurs. Ainsi, le conflit entre les deux pays voisins n'a fait que dévoiler les faiblesses d'un marché international où seuls 20 pays contrôlent plus de 85% de la production. Parmi ces faiblesses, on retiendra celles liées à un manque d'investissement concernant la production, celles en rapport avec le mode d'approvisionnement de cette production et celles concernant l'absence de diversification des fournisseurs, relève une étude du Policy Center For the New South, qui décortique le marché du gaz en Afrique suite à la guerre entre Moscou et Kiev. Le Maroc fait partie des pays concernés par cette faiblesse d'approvisionnement, selon la même étude menée par Henri-Louis Vedie, qui rappelle la décision unilatérale des autorités algériennes de ne pas renouveler le contrat GME avec le Maroc. Contrat signé entre les deux pays depuis 1996 permettant au Maroc «d'importer la totalité du gaz dont il a besoin à des conditions avantageuses et de bénéficier de la redevance transit, estimée à 50 millions de dollars, payés en gaz, le gazoduc GME traversant le Royaume jusqu'à Cordoue, en Espagne». Révision des cartes Une décision qui a incité le Royaume à revoir sa stratégie d'approvisionnement en optant pour l'inversement du GME. En effet, un contrat a été signé entre Rabat et Madrid permettant l'utilisation en sens inverse du pipeline, à partir de l'Espagne, et utilisant du GNL acheté sur les marchés internationaux, regazéifié dans une unité de regazéification espagnole et alimentant le GME pour sa partie marocaine. Le rôle de l'Espagne dans cette solution se limite, selon Taoufik Laâbi, consultant en énergie, expert en développement et en planification et ancien directeur en charge du développement et de la planification à l'ONEE, «à la mise à disposition de certaines de ses infrastructures portuaires et terminaux pour regazéifier et envoyer - à travers le gazoduc - des volumes acquis par notre pays auprès des marchés internationaux de GNL ». Mais pas que, les autorités marocaines, qui ont appris leur leçon à la dure, en ont profité pour diversifier leurs fournisseurs en signant fin novembre 2021 un contrat Sound Energy, prévoyant la fourniture de 350 millions de m3 de GNL pendant 10 ans, conduisant à accompagner ce contrat de construction d'un terminal GNL dans le port de Mohammedia. La position hostile d'Alger a également donné un coup de fouet au projet du Gazoduc Maroc-Nigeria (GMN), dont la mise en oeuvre se confirme, après que le gouvernement fédéral nigérian ait donné son feu vert pour conclure un accord avec la CEDEAO pour la construction du pipeline. Un projet qui pourrait garantir l'indépendance énergétique en gaz pour le continent et qui «pourrait être mis à profit pour booster les investissements conjoints dans la région de l'Afrique de l'Ouest, en réduisant la facture énergétique qui constitue un élément déterminant dans la rentabilité de tout projet de partenariat», selon Latifa Elbouabdellaoui, Directrice des Relations Commerciales au ministère de l'Industrie et du Commerce, interviewée par « L'Opinion ». Ainsi, avec le GMN qui se confirme, l'Algérie - qui a profité de l'embellie des cours gaziers et de l'augmentation de la demande - voit son projet gazoduc transsaharien de 4000 km, s'étendant du Nigeria jusqu'en Algérie, en passant par le Niger, faire pschitt ! L'Afrique en sécurité, mais des reconfigurations s'imposent Cela dit, l'étude du Policy Center estime que malgré la désorganisation du marché mondial du gaz, le continent africain ne devrait pas en être pour autant affecté pour trouver le gaz dont il a besoin, néanmoins, le prix à payer serait cher. Premièrement du fait que l'Afrique ne dépend nullement aujourd'hui du gaz russe. Les besoins en gaz du continent, à court et moyen termes, sont, toutes choses égales par ailleurs, beaucoup moins importants que ceux d'autres continents, note le rapport, ajoutant qu'il existe aujourd'hui en Afrique une offre potentielle capable de répondre à ces besoins. Un constat qui concerne également le Maroc, qui entend activer sa nouvelle stratégie de développement du gaz naturel, étalée sur la période 2021-2050. Cette feuille de route, dévoilée l'été dernier, repose notamment sur la réalisation d'un projet structurant d'infrastructure gazière. D'autant que le continent dispose d'une capacité d'augmentation de son offre en gaz naturel importante, compte tenu des réserves gazières de l'Algérie et du Nigeria qui, à eux deux, représentaient, en 2018, 86% des exportations africaines de gaz. Une offre encore plus prometteuse grâce à la découverte d'importantes réserves de gaz et du précieux or noir au large du littoral atlantique, notamment dans l'espace maritime du Royaume. Le rapport présente ainsi la guerre russo-ukrainienne comme une opportunité pour le continent africain qui pourrait tirer le meilleur bénéfice de l'embellie que connaît le marché du gaz, «permettant à des projets fédérateurs, comme celui reliant le Maroc au Nigeria, de retrouver vie et actualité». Cependant, la même source insiste sur la nécessité de diversifier les fournisseurs, en ne confiant pas à un seul pays la responsabilité de son indépendance énergétique. Le rapport tire également la sonnette d'alarme sur les techniques d'approvisionnement: pipeline et / ou GNL. Les conséquences du conflit russo-ukrainien sont éclairantes, estime-t-on en ajoutant que «partout où on a une façade maritime, il faut accompagner les ports concernés d'installations GNL». Saâd JAFRI