C'est une des solutions envisagée par la représentation commerciale de la Russie au Maroc : établir un système de troc afin de contourner les sanctions financières occidentales contre Moscou. Une idée soutenue par le président du Conseil d'affaires maroco-russe, Hassan Sentissi. Pour l'heure, pas encore de position officielle du gouvernement marocain. « Je suis venu vous voir pour vous demander de prendre conscience que nos pays, bien qu'éloignés du théâtre des opérations, sont victimes de cette crise sur le plan économique ». Ces propos du chef de l'Etat sénégalais, qui assure actuellement la présidence annuelle tournante de l'Union Africaine, sont très partagés sur le continent. Macky Sall s'exprimait à Sotchi vendredi dernier, lors de sa rencontre avec le président Vladimir Poutine sur l'impact de la guerre en Ukraine sur les économies africaines. Cet impact est très fortement ressenti sur plusieurs plans, dont celui des échanges commerciaux avec la Russie. Et le Maroc, un des tous premiers partenaires commerciaux de la Russie en Afrique, n'est pas en reste. Et c'est le président du Conseil d'affaires maroco-russe lui-même qui le signale : « Ces sanctions impactent et compliquent bien évidemment les transactions avec nos partenaires russes. Aussi bien en termes de transactions financières que de transport maritime. De nombreuses compagnies maritimes ne vont plus en Russie et le Maroc ne dispose malheureusement plus de pavillon national», déclare Hassan Sentissi, également à la tête de l'Association Marocaine des Exportateurs (ASMEX). Alternative Les différentes séries de sanctions occidentales contre l'économie russe ont des répercussions sur les flux commerciaux. Avec l'exclusion des banques russes du système SWIFT, plusieurs moyens de contournement ont été tentés par les partenaires de la Russie. Mais, aujourd'hui, la seule alternative qui demeure viable est le système de troc. « Les sanctions ont leur impact. C'est pour cela que je propose la mise en place d'un système de troc, comme cela se faisait auparavant à une certaine période dans les transactions commerciales», suggère le président du Conseil d'affaires maroco-russe. D'ailleurs, cette idée avait été soutenue dès le début du bras de fer russo-occidental par plusieurs économistes et spécialistes du commerce international. « Il existe plusieurs manières de continuer à commercer avec la Russie. Il y a d'abord le système de troc. Il consiste à échanger des produits, par exemple du gaz contre des agrumes. Bien avant la Russie, l'Iran a pendant longtemps tenu face aux sanctions occidentales avec ce système », note l'ancien haut fonctionnaire de la Banque Africaine de Développement (BAD), Mohamed Hmidouche. Ce dernier tient toutefois à souligner que « tout est question de décision politique dans cette affaire ». Commission spéciale Pour le président de l'ASMEX, il est temps de se lancer sur cette piste, afin d'anticiper les effets à moyen et long termes de ce conflit entre Moscou et les Occidentaux, une confrontation qui risque de s'installer dans la durée. Ainsi, Hassan Sentissi propose de « créer une commission spéciale pour évaluer le système de troc entre le Maroc et la Russie ». Cette question, ajoute-t-il, sera discutée prochainement, dès que le nouvel ambassadeur russe prendra poste à Rabat. Ce dernier, a en croire l'agence de presse russe Regnum, a été nommé le 27 mai dernier par le président Vladimir Poutine. Il se nomme Vladimir Baybakov, et était auparavant en poste à Nouakchott (www.lopinion.ma). Produits éligibles Pour la partie marocaine, cette commission sera notamment l'occasion de déterminer les produits éligibles au troc. « Je peux prévoir une augmentation de la demande russe pour les marchandises à valeur ajoutée, produites au Maroc, notamment dans les domaines énergétique et automobile. Je suis sûr que le commerce bilatéral russo-marocain a de très bonnes perspectives et nous sommes toujours prêts à travailler pour l'améliorer », déclarait, dans un entretien exclusif accordé à « L'Opinion », le Représentant commercial de la Fédération de Russie au Maroc, Artem Tsinamdzgvrishvili. Voilà qui pourra servir de base d'échanges entre les deux partenaires commerciaux, surtout que pour Moscou, le Maroc, avec sa situation géostratégique idéale, n'est pas uniquement une porte d'entrée vers les marchés africains, mais également un point d'orientation en direction des marchés d'Amérique latine. Abdellah MOUTAWAKIL Repères La traçabilité de la production nationale à revoir « J'ai beaucoup visité la Russie et j'ai été surpris de voir que de nombreux produits marocains se retrouvent sur le marché russe, mais portant la mention d'autres pays », fait savoir le président de l'ASMEX, qui appelle à agir à ce niveau. Il appelle à agir dans ce sens, afin de mettre fin à cette pratique, qui est de nature à désavantager les exportateurs et produits marocains, tout en faussant les indicateurs sur l'état des relations commerciales entre le Maroc et la Russie.
Maroc - Russie : bientôt un paiement en monnaies nationales ? C'est l'un des souhaits de la partie russe afin de contourner les sanctions financières occidentales. « Comme solutions, je vois l'implication de banques russes qui ne sont pas sanctionnées et la seconde c'est de commencer à effectuer des paiements en monnaies nationales (Rouble - Dirham) », indique le Représentant commercial de la Fédération de Russie au Maroc. Moscou rappelle à ce propos que la Banque Centrale de Russie et Bank Al-Maghrib ont déjà signé en 2021 un mémorandum d'accord qui crée, en termes généraux, la base de ce type de règlement mutuel. L'info...Graphie Troc Les priorités de la partie russe
« On n'exclut pas la possibilité d'utilisation d'un mécanisme de troc pour les règlements mutuels. Dans ce cas, les agrumes, les tomates, le poisson congelé et les fruits de mer, les phosphates, et un certain nombre d'autres produits marocains peuvent être utilisés comme paiement pour les produits russe importés au Maroc ». Ces propos du Représentant commercial de la Fédération de Russie au Maroc, Artem Tsinamdzgvrishvili, permettent aisément de mieux comprendre les besoins et les intérêts de la partie russe dans le cas de l'instauration d'un système de troc avec le Maroc. Ce qui permet aisément d'aller de l'avant dans ce cadre, puisqu'au moins le gouvernement russe est disposé à s'y engager. Quant à la partie marocaine, hormis l'appel des exportateurs, aucune volonté n'a été manifestée dans ce sens par les autorités politiques marocaines. L'ensemble de ces questions ne maquera sûrement pas d'être évoqué entre Rabat et Moscou dans les prochaines échéances de leurs échanges diplomatiques.
Maroc - Russie Visas et préférences commerciales au menu
Chez les animateurs des relations commerciales entre le Maroc et la Russie, une question est particulièrement prise au sérieux : c'est la nécessité d'équilibrer les échanges commerciaux, actuellement excédentaires en faveur de la partie russe. « Nous importons plus que nous n'exportons vers la Russie. Et c'est quelque chose que nous voudrions voir s'équilibrer afin de mieux pérenniser la relation avec nos partenaires russes », note Hassan Sentissi. Ce rééquilibrage passe d'abord par la facilitation de la circulation des personnes et des biens. En dehors des difficultés nées de la conjoncture actuelle provoquée par la guerre, se pose la lancinante question du problème des visas pour accéder en Fédération de Russie. Un point qui préoccupe les exportateurs marocains, qui se disent confiants quant à la concrétisation, sur un autre volet, de l'éventualité pour la partie russe d'accorder au Maroc les mêmes préférences que celles dont jouissent les pays membres de l'Union Economique Eurasiatique qui, depuis 2015, a succédé à la Communauté Economique Eurasiatique. Dans le cadre de ce nouvel ensemble, l'union douanière permet à ses pays membres d'échanger avec plus de facilités de commerce. L'Union douanière regroupe, en plus de la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan. Enfin, il faut noter que les produits marocains exportés vers la Russie peuvent librement accéder aux marchés de ces pays.
3 questions à Hassan Sentissi « Il faut créer une commission spéciale sur le troc avec la Russie »
Pour Hassan Sentissi, président de l'ASMEX, également à la tête du Conseil d'affaires maroco-russe, il faut mettre en place un système de troc afin de maintenir le niveau des échanges avec la Russie. - Après plus de trois mois après le début de la guerre en Ukraine, l'impact de cette guerre se fait-il sentir sur vos exportations envers la Russie ? - La guerre en Ukraine a entraîné, comme vous le savez, une série de sanctions économiques et financières occidentales contre la Russie. Ces sanctions impactent et compliquent bien évidemment les transactions avec nos partenaires russes. Sur le transport maritime également, il y a des difficultés pour acheminer nos exportations directement vers la Russie, car de nombreuses compagnies maritimes n'y vont plus et le Maroc ne dispose malheureusement plus de pavillon national. Sur ce dernier point, la solution qui a été trouvée est que les navires commerciaux russes ont proposé d'accoster au Maroc. - Sur le plan financier, comment essayez-vous de contourner les sanctions contre les banques russes ? - Je tiens d'abord à rappeler qu'en tant qu'acteurs économiques, nous nous alignons parfaitement sur la position officielle des autorités marocaines. Le Maroc continue ses relations avec la Russie et la restriction des échanges commerciaux n'est pas à l'ordre du jour. Pour continuer ces transactions, des banques russes ont ouvert des comptes au Maroc. Il faut rappeler que notre pays est l'un des principaux partenaires commerciaux de la Russie sur le continent. - Mais est-ce que cela suffit à maintenir une fluidité des transactions commerciales et financières ? - Les sanctions ont leur impact. C'est pour cela que je propose la mise en place d'un système de troc, comme cela se faisait auparavant à une certaine période dans les transactions commerciales. Je propose, à ce propos, de créer une commission spéciale pour évaluer le système de troc entre le Maroc et la Russie. Nous discuterons de tout cela avec l'ambassadeur de Russie, qui sera prochainement nommé au Maroc. Recueillis par A. M.