Fructueuse, la coopération commerciale entre Moscou et Rabat est confrontée aux effets de la guerre en Ukraine. Une conjoncture qui offre également des opportunités. Détails. La guerre en Ukraine fait craindre des répercussions sévères sur l'économie mondiale, déjà foudroyée par une inflation galopante sur fond de convalescence des pays des ravages de la crise du Covid-19. Au moment où la Russie est visée par des sanctions occidentales sans précédent (exclusion du réseau SWIFT, gel des avoirs financiers, embargo américain sur le gaz, retrait des grandes entreprises du marché russe...), le pays des tsars résiste aux sanctions en tâchant de trouver des alternatives. Moscou a d'ailleurs répliqué en publiant une liste de pays inamicaux. Une liste où ne figure pas le Maroc, dont la position neutre vis-à-vis du conflit ukrainien semble être perçue d'un bon oeil par le Kremlin. Très attaché à la neutralité dans les conflits internationaux, le Royaume aurait pris la même position s'il s'agissait d'un pays autre que la Russie. Un partenariat commercial en évolution Ces dernières années, les deux pays ont pu construire une coopération propice au développement du commerce, surtout après la visite historique de SM le Roi Mohammed VI à Moscou en 2016. Les résultats sont là. Les échanges commerciaux entre la Russie et le Maroc fin 2021 ont augmenté de 42%, poussant le volume du négoce à 1,6 milliard de dollars. C'est ce qu'a précisé le représentant commercial de la Fédération de Russie au Maroc, Artem Tsinamdzgvrishvili, dans une déclaration rapportée par l'Agence TASS. « Le Royaume du Maroc reste le partenaire commercial le plus important de la Fédération de Russie en Afrique», s'est-il félicité. Si le responsable russe est si optimiste, c'est parce cette performance signifie qu'il existe une dynamique dans les relations commerciales. Selon lui, les exportations russes vers le Maroc montrent une tendance positive. En 2021, elles ont augmenté de 60%. Ceci dit, cette dynamique est la plus remarquable parmi tous les pays du continent, a expliqué le responsable russe. La balance commerciale penche vers Moscou Si les exportations russes progressent remarquablement, celles du Maroc vers le marché russe évoluent moins rapidement. À la fin de l'année 2021, elles ont augmenté de 11%. Par conséquent, la Russie demeure largement bénéficiaire de son commerce avec le Maroc puisque la balance commerciale penche vers Moscou. A noter que le Maroc a un déficit commercial qui s'est élevé à 778,4 millions de dollars en 2021. Ceci n'empêche pas de dire que le commerce bilatéral a connu un sursaut considérable, surtout sur le plan qualitatif. En plus des matières premières et des produits agricoles, d'autres produits ont fait leur apparition dans les carnets de commande. Selon le représentant commercial de la Russie au Maroc, les livraisons de véhicules utilitaires de la Russie au Maroc ont été multipliées par six. Idem pour les produits alimentaires que la Russie exporte trois fois plus. Outre cela, la Russie a commencé à fournir au Royaume du gaz de pétrole et des hydrocarbures gazeux et des moteurs à combustion interne. Rappelons ici que la Russie, l'un des premiers exportateurs d'hydrocarbures au monde, a fourni au Maroc 10,1% de ses besoins en gaz de pétrole en 2020, selon les statistiques de l'Office des Changes. Ce résultat n'est pas fortuit. Rabat et Moscou n'ont eu de cesse de raffermir leur partenariat économique depuis 2016 sachant que chacun poursuit ses propres intérêts. Le Maroc est en quête de nouveaux partenaires pour limiter son indépendance de l'UE, tandis que le pays de Vladimir Poutine cherche des alternatives pour assurer son approvisionnement agricole. Aussi, l'émergence du Maroc en tant que puissance économique régionale en Afrique fait-elle du Royaume une possible porte d'entrée des IDE russes vers le continent noir. Au fil des six dernières années, les deux pays ont boosté leur coopération dans le domaine agricole. Les commentateurs se rappellent bien de la remarque faite par le président Poutine qui avait exprimé son insatisfaction de l'état des échanges entre les deux pays à l'époque. Ce à quoi le Maroc a répondu de façon proactive en renforçant le partenariat en matière de pêche et en matière agricole avec la signature de l'accord de pêche en 2020. Force est de rappeler que les deux pays sont liés par une série de conventions et d'accords signés en 2016 et qui touchent plusieurs domaines dont l'agriculture et l'énergie, sans oublier l'accord relatif à la promotion et à la protection des investissements. La guerre pèse sur la balance commerciale Pour autant, le conflit actuel en Ukraine risque de saboter, ne serait-ce que provisoirement, les avancées réalisées jusqu'à présent. Avec la suspension du système SWIFT en Russie, les exportateurs marocains redoutent l'impact de cette mesure et celles des nouvelles restrictions appliquées par les pays occidentaux sur leurs transactions avec le marché russe. Hassan Sentissi, président de l'Association marocaine des exportateurs (ASMEX), estime qu'il est encore tôt d'en sentir les effets. Dans une déclaration à « L'Opinion », le représentant des exportateurs estime qu'il faut du temps pour pouvoir mesurer à quel point la situation actuelle pourrait s'avérer préjudiciable, arguant que les exportations marocaines mettent 15 à 20 jours pour arriver à destination du marché russe. En restant optimiste, M. Sentissi fait part de la volonté des exportateurs marocains de travailler davantage sur l'offre exportable dans l'espoir de rééquilibrer la balance commerciale (déficitaire pour le moment côté Maroc). Au-delà des exportations, bien qu'étant dynamique économiquement, le Royaume est l'un des pays les plus susceptibles de payer un lourd tribut de la guerre en Ukraine, qui a poussé les prix du blé et des hydrocarbures à des niveaux record. Vu sa dépendance énergétique (aussi bien du gaz que du pétrole), notre pays est confronté à une facture en hausse continue. En témoignent les chiffres de l'Office des Changes qui font état d'une augmentation de 67% au mois de février. Le président russe Vladimir Poutine a estimé jeudi que les sanctions occidentales risquent d'entraîner une inflation mondiale des prix alimentaires, car la Russie ne pourra plus exporter suffisamment d'engrais. La Russie, rappelons-le, est le quatrième fournisseur en blé du Maroc avec un volume d'importation annuel de 997 MDH (7,4% des besoins du pays, selon les données de 2020), derrière la France, le Canada et l'Ukraine. Selon une étude du Policy Center for the New South, le Maroc est la plus grande économie africaine la plus susceptible de subir un choc négatif important du fait de la guerre, car ses importations de pétrole, de gaz, de charbon et de céréales représentaient respectivement 6,4 % et 1,4% de son PIB en 2019. Anass MACHLOUKH
Ce que peut gagner le Maroc de la situation actuelle
Au moment où la Russie est de plus en plus coupée des économies occidentales, le Maroc, comme d'autres pays, pourrait tirer bénéfice de la situation actuelle et avoir de nouveaux débouchés, surtout en termes de parts de marchés. En ce qui concerne le marché russe, la demande sur les produits marocains pourrait augmenter. Le Policy Center for the New South explique que les légumes et les poissons marocains, qui constituent 2,6% du PIB, peuvent concurrencer davantage les produits européens sur le marché russe. En revanche, les exportations marocaines de blé pourraient profiter des restrictions imposées à la Russie en Europe. Par ailleurs, la discorde entre la Russie et l'Occident est de nature à pousser Moscou à se tourner vers ses partenaires asiatiques et africains, dont le Maroc, au grand bénéfice du partenariat maroco-russe. C'est ce qu'a laissé entendre le représentant commercial de Moscou à Rabat, Artem Tsinamdzgvrishvili, qui a annoncé une augmentation des projets d'investissement conjoints entre les deux pays en 2022. « En 2022, nous prévoyons une augmentation du nombre de petites et moyennes entreprises russes sur le marché marocain. Je crois que la mission commerciale du Centre Russe d'Exportation (REC), prévue pour l'année en cours, peut devenir un outil efficace », a-t-il expliqué.