Après les multiples surprises des élections du 8 septembre, plusieurs enseignements doivent être tirés. Conviés sur le plateau de l'Istiqlal, des experts de renommée décortiquent les résultats du scrutin. Taux de participation, retour en force de l'Istiqlal, déroute du PJD et futures alliances, prospective sur le nouvel échiquier politique. Après la proclamation des résultats des élections du 8 septembre, il ne subsiste plus aucun doute que l'échiquier politique a été chamboulé par les surprises dévoilées par les urnes. Avec la victoire du RNI, le retour en force du Parti de l'Istiqlal et la débâcle retentissante du PJD, plusieurs enseignements peuvent être tirés de ces élections législatives et locales qui se sont tenues, pour la première fois, au même jour. Ceci a fait l'objet d'un débat organisé, dimanche, par la chaîne locale du Parti de l'Istiqlal, auquel ont pris part des experts en sciences politiques. Tenues dans un contexte spécial marqué par les contraintes de l'épidémie et une crise sociale sans précédent, les élections ont trahi les pronostics et les prévisions les plus pessimistes qui misaient sur un taux d'abstention élevé. Les 50,35% des Marocains inscrits sur les listes ayant fait l'effort de se déplacer aux urnes ont montré qu'il y a un regain d'intérêt pour la chose politique, bien que chaque citoyen vote pour une raison à lui bien précise. Les taux de participation ont culminé dans les provinces du Sud et notamment à Laâyoune- Sakia El Hamra qui s'est distinguée par un taux de 66,94%, suivie par Guelmim-Oued Noun (63,76%) et Dakhla-Oued Eddahab (58,3%), des régions considérées comme des fiefs électoraux du Parti de l'Istiqlal qui y a su mobiliser un électorat important. Faut-il se réjouir du taux de participation ? Pour appréhender cette mobilisation citoyenne, les uns l'attribuent à une colère canalisée dans les urnes, d'autres l'expliquent par la réussite de la campagne électorale qui a vu une rivalité programmatique entre les partis, tandis que certains voient dans la tenue simultanée des élections législatives et locales un facteur qui a propulsé la participation. C'est le cas d'Abdelhamid Adminou, professeur de sciences politiques à l'Université Mohammed V à Rabat, qui a fait remarquer que les dernières élections ont connu une hausse importante du nombre des candidatures et des votants grâce à la réforme du code électoral. En fait, la tenue au même jour de l'ensemble des scrutins a été actée dans la récente réforme, qui a également introduit le nouveau quotient électoral qui a rééquilibré la scène politique. Si la participation a été aussi importante, c'est grâce aux élections locales qui ont boosté le scrutin législatif, du moment qu'elles sont tenues simultanément, souligne le politologue Miloud Belkadi, qui explique que le gens tendent à voter plus localement que nationalement vu que les élections communales touchent directement leur vécu et qu'ils votent par connaissance des candidats. En outre, le politologue a la conviction que le quotient électoral, calculé désormais sur la base des inscrits sur les listes, a encouragé les petits partis à mobiliser davantage leurs électeurs et leurs militants, d'autant que la suppression du seuil électoral leur a donné l'espoir d'accéder aux assemblées élues et notamment à la Chambre des Représentants. En effet, ces derniers ont récolté 10 sièges parlementaires et 23 au niveau des sièges des Conseils régionaux. M. Belkadi pense que d'autres facteurs sont intervenus pour « ressusciter la politique », selon son expression, à savoir la mobilisation des jeunes, l'élargissement de la participation féminine par le biais des quotas et des listes régionales. De son côté, Ahmed El Bouz, politologue, n'est pas aussi optimiste sur la hausse de la participation que ses camarades. Ce dernier pense, au contraire, qu'il y a eu une baisse de la participation par rapport aux élections communales de 2015 qui ont connu un taux de 54%. « Il ne faut pas prendre en compte les élections législatives comme point de référence pour la comparaison », a-t-il admis, ajoutant que les communales sont à l'origine de la forte participation constatée dans les législatives. Là, il convient de noter que les résultats des deux élections sont identiques, avec un classement similaire. Le RNI, le PAM et l'Istiqlal sont arrivés en tête dans les trois scrutins, avec un léger changement dans les Conseils des régions où le parti de la Balance est arrivé deuxième devant le PAM avec 144 sièges. L'Istiqlal : l'un des grands gagnants qui revient en force dans les grandes villes Après son redressement en 2017 et son parcours honorable dans les rangs de l'opposition parlementaire en tant que force de proposition, le Parti de l'Istiqlal a pu regagner la confiance d'une large frange de la population, en récoltant 81 siègent parlementaires, soit 35 sièges de plus qu'en 2016. Ahmed El Bouz considère que le parti de la Balance est l'un des grands gagnants des scrutins du 8 septembre, précisant que la formation de Nizar Baraka a pu attirer le « vote politique », c'est-à-dire celui des gens ayant un minimum de culture politique qui votent par conviction et qui peuvent être des militants d'autres partis. M. El Bouz va encore plus loin en estimant que les héritiers d'Allal El Fassi ont pu attirer les électeurs déçus du PJD. « Comme l'image du PJD a été visiblement compromise aux yeux d'une grande partie de ses électeurs de la classe moyenne, le Parti de l'Istiqlal a su récupérer ces gens-là », a-t-il argué, ajoutant que le Parti est parvenu à récupérer son électorat dans les grandes villes, où il est revenu en force. Et pour cause : la force de proposition qui a distingué le Parti durant son passage à l'opposition et qui a lui redonné de la crédibilité, estime Abdelhamid Adminou, lequel attribue également la réussite de l'Istiqlal à l'amélioration de sa communication institutionnelle et le fait que la majeure partie de ses candidats sont des militants dévoués au Parti. « Les huit candidats du Comité exécutif du Parti ont tous été élus », a souligné l'expert. Aux yeux de Miloud Belkadi, le programme de l'Istiqlal est aussi l'un des clés de sa réussite, le Parti ayant présenté un programme social destiné prioritairement aux classes moyennes et au soutien de leur pouvoir d'achat. M. Belkadi estime que le profil du Secrétaire Général du Parti Nizar Baraka a redoré l'image du Parti, ajoutant que ce dernier a été le mieux placé, vu sa compétence et son parcours politique, pour prétendre occuper la première place. À cela s'ajoute le discours « propre » et décent que ce dernier a adopté durant la campagne électorale. Un discours sans violence, contrairement à quelques personnalités politiques qui ont cédé à l'invective et aux escarmouches politiciennes, conviennent les trois experts. Anass MACHLOUKH
Défaite du PJD : les raisons d'un désaveu populaire
Après dix ans au pouvoir, le Parti de la Justice et du Développement (PJD) a perdu la confiance des électeurs qui lui ont ôté plus de 90% de ses sièges au Parlement. Sans doute, la formation de Saâd Dine El Othamni a-t-elle subi un vote-sanction, affirme Mohammed El Bouz, qui a fait un parallèle entre la débâcle du PJD en 2021 et celle de l'USFP en 2007, bien que la sévérité du verdict ne soit pas de même ordre. Même les plus fins observateurs politiques, y compris les plus pessimistes, n'auraient pas pu prévoir un tel châtiment électoral. Les compagnons de l'actuel chef de l'Exécutif n'ont même pas eu assez de sièges (13) pour former un groupe parlementaire. S'ajoute à cela la perte des mairies de l'ensemble des grandes villes et des communes que le parti a engrangées en 2015. Ce scénario catastrophique a ébranlé le secrétariat général de la Lampe, dont les membres ont démissionné collectivement. Pourquoi les Marocains ont-ils été si sévères avec le PJD ? La défaite est tellement lourde qu'il faut des données scientifiques pour l'expliquer, reconnaît Miloud Belkadi, qui indique pourtant que la culture de la sanction a commencé à s'invétérer dans l'esprit des Marocains. Ceci dit, le PJD a été désavoué par les classes populaires et moyennes qui l'ont porté au pouvoir en 2011 et 2016.