Selon le politologue Ahmed El Bouz, on ne peut parler d'un vote sanction car la montée des islamistes ne s'est pas faite au détriment des autres partis. ALM : Quelle lecture faites-vous de la grande victoire du PJD ? Ahmed El Bouz : Je pense que la victoire des islamistes n'est pas surprenante en elle-même. Ce parti avait obtenu de bons résultats en 2002 et en 2007 et a toujours particulièrement été qualifié pour remporter les élections législatives. Pour ce qui est des élections du 25 novembre, nous avons deux éléments qui ont créé la surprise. Premièrement, c'est le nombre de sièges remportés par le PJD et l'écart entre lui et le deuxième, à savoir l'Istiqlal, vu que le mode de scrutin et le découpage électoral ne permettent généralement pas ce type d'écart. Le deuxième élément c'est l'annonce et l'acceptation de ces résultats par l'Etat. Nous avons constaté la veille des élections que les gens ne doutaient pas de la capacité des islamistes à remporter les élections, mais ils se demandaient si l'Etat allait annoncer leur victoire. Comment expliquez-vous cela ? Ceci s'explique par trois principaux éléments. Le premier élément c'est que la classe politique traditionnelle est devenue décevante. Il s'est avéré que ces partis traditionnels ont aujourd'hui une faible capacité de mobilisation. De ce fait, l'Etat ne peut plus compter sur eux surtout dans le contexte actuel. La montée en force des islamistes est en quelque sorte un traitement par électrochoc de la classe politique traditionnelle. Deuxièmement, les islamistes suscitent de plus en plus un sentiment de quiétude et l'hypothèse du danger islamiste s'avère peu à peu impertinente. Ceci est dû au fait que ce parti s'est montré plus royaliste que le Roi lors de la préparation des élections, de l'approbation de la Constitution et dans le contexte de la naissance du Mouvement du 20 février. Il ne faut également pas oublier ce que l'Etat gagne par cette victoire des islamistes: elle suscite un sentiment de changement réel chez les citoyens. Peut-on parler d'un vote sanction ? Ce qui est paradoxal avec la montée des islamistes c'est que cela n'a pas porté atteinte aux autres partis. Bien au contraire, le RNI, l'Istiqlal, le PPS et l'USFP ont obtenu plus de sièges qu'en 2007. De ce fait, on ne peut parler d'un vote sanction. Certes, il y a eu chez les citoyens cette volonté de sentir le changement profond, mais cela ne s'est pas fait au détriment des partis qui participent à la gestion des secteurs gouvernementaux depuis 15 ans. Comment interpréter le fait que des classes moyennes et aisées aient voté pour le PJD ? Ce n'est pas étonnant et ce n'est pas nouveau. C'est la troisième fois consécutive que le PJD remporte des sièges au niveau de la circonscription d'Anfa. Même l'USFP à l'heure où il était dans le camp de l'opposition bénéficiait du soutien des électeurs du quartier Touarga situé aux environs du Palais royal. Que les classes aisées votent pour l'opposition est un phénomène paradoxal qui a toujours accompagné la vie politique au Maroc. Or, il ne faut pas oublier aussi que le PJD a remporté des sièges au niveau des fiefs électoraux historiques de l'USFP depuis 1963, à savoir Kénitra, Fès, Meknès, Agadir, Rabat, Casablanca, Oujda, Marrakech, Béni Mellal, Berkane...