La course au vaccin contre la COVID-19 met particulièrement en danger les pays les plus vulnérables, notamment ceux du Sud, déjà très fragilisés par cette crise sans précédent et leur économie en pâtit lourdement. Face à une épidémie de Covid-19, qui n'en finit pas et ses conséquences sur l'activité économique, naturellement, le vaccin apparaît désormais pour les hommes politiques et les opérateurs comme la solution idoine non seulement pour stopper le virus mais aussi pour un retour à la vie normale et, par ricochet, le début de la relance. Une reprise qui ne cesse de tarauder experts, analystes et observateurs. Qu'il s'agisse du Maroc, de l'Afrique ou du reste du monde, la problématique est la même : comment vacciner la population, comment financer l'antidote pour que l'économie réelle se mette en marche ? Il s'agit d'un ensemble de questionnements auxquels des économistes de renom s'essaient d'apporter des éclaircissements. C'est dans ce contexte que s'est tenu, avant-hier mardi, un webinaire sous le thème : « Course au Vaccin Anti-COVID-19 : à la Croisée des Intérêts Géopolitiques et Géoéconomiques. Organisée par Policy Center for the New South, cette visioconférence a mis en exergue l'impératif entre le politique et l'économique dans un contexte où tous les dirigeants pensent que le vaccin est la potion miracle pour mettre la machine économique en marche. Une telle vision a mis à nu l'avènement d'un monde désolidarisé, réalité qui atteint son paroxysme aujourd'hui. Regagner la confiance Animé par Uri Dadush, Senior Fellow, Policy Center for the New South (un économiste de renom), et Larabi Jaïdi, Senior Fellow du même centre (qui n'est plus à présenter), ce webinaire a démontré le rôle déterminant des grands laboratoires pharmaceutiques. Lesquels sont devenus acteurs d'une compétition géopolitique ayant pour objectif de permettre aux pays qu'ils représentent de dominer le marché des vaccins, leur permettant ainsi de satisfaire leurs besoins internes, de regagner la confiance populaire et de relancer leurs économies domestiques d'un côté, et de se réserver une place d'exception dans les rapports de force internationaux de l'autre. Pour les conférenciers, la course au vaccin met particulièrement en danger les pays les plus vulnérables, notamment ceux du Sud, déjà très fragilisés par cette crise sans précédent. En effet, les contraintes logistiques et matérielles limitant les capacités de production posent inévitablement des obstacles à la distribution équitable des doses, les pourvoyeurs peinant d'ores et déjà à satisfaire les précommandes des grandes économies, augurant une pénurie bien plus aigüe pour les pays comptant sur la solidarité des initiatives internationales ou multilatérales, telles que le mécanisme COVAX. Dans cette situation, on y ignore la situation des ménages. D'où la nécessité d'une réflexion sur la protection des ménages, d'une adhésion massive à la politique de vaccination pour que celle-ci puisse devenir un outil performant de la relance car le vaccin n'est pas le remède magique de la reprise. C'est dans ce sens que ce webinaire s'est attelé à analyser les enjeux géopolitiques et géoéconomiques qui découlent de la course au vaccin, à étudier l'impact réel de cette découverte scientifique sur les perspectives de sortie de crise et, enfin, à produire des pistes de réflexion pour la garantie d'un accès équitable au vaccin. Nationalisme de vaccin Dans ses principales conclusions, les conférenciers ont souligné l'importance de la protection sociale et ses outils qui doivent être renouvelés sans cesse mais aussi une protection sociale pérenne. Pour un départ, il serait préférable de vacciner 10 à 15% de la population et le reste pour les années à venir notamment pour les pays où la population est majoritairement jeune afin de faire face au nationalisme du vaccin. Lequel surchauffe le marché actuellement. En la matière, le directeur général de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, conscient que le vaccin ne pourrait être efficace que s'il est généralisé et mis à la disposition de tous, a dénoncé le nationalisme vaccinal dont ont fait preuve de nombreux pays. Dans ce sens, il a appelé à une plus grande solidarité internationale et exhortant les pays riches à cesser de conclure des « accords bilatéraux » avec les laboratoires pharmaceutiques Ce qui fait dire aux conférenciers que chaque pays doit avoir sa stratégie et anticiper le risque d'une telle pandémie. Ils recommandent vivement aux Etats, notamment africains, de développer leur industrie pharmaceutique pour qu'à l'avenir, ils puissent protéger leur population.
Wolondouka SIDIBE Bon à savoir Lancé en 2014 à Rabat avec plus de 40 chercheurs associés du Sud comme du Nord, le Policy Center for the New South offre une perspective du Sud sur les enjeux des pays en développement. Il vise à faciliter les décisions stratégiques et les politiques publiques relevant de ses principaux programmes: Afrique ; géopolitique et relations internationales; économie et développement social ; agriculture, environnement et sécurité alimentaire ; et matières premières et finance. Pour ce qui est du conférencier Uri Dadush, il est chercheur non-résident au thik tank bruxellois Bruegel. Il est basé à Washington, DC, et est directeur d'Economic Policy International, LLC, fournissant des services de conseil à la Banque Mondiale et à d'autres organisations internationales ainsi qu'à des entreprises. Il donne des cours sur la mondialisation et sur la politique commerciale internationale à l'OCP Policy School et à la School of Public Policy de l'Université du Maryland. Il était auparavant directeur du programme d'économie internationale à l'Institut Carnegie et, à la Banque Mondiale, directeur des départements du commerce international, de la politique économique et des perspectives de développement. Uri Dadush, Senior Fellow PCNS resident in USA « Le vaccin n'est pas la condition sine qua non de la relance » Le vaccin n'est pas la solution miracle de la relance économique, comme il a été souligné dans votre webinaire de mardi. Que faut-il entendre par là ? Il n'y a rien de nouveau à ce sujet, car je pense que si la vaccination est bien ciblée, elle peut être d'une grande contribution à la relance économique en réduisant de façon très importante le fardeau de maladies sérieuses en ciblant la population vulnérable. Là déjà, il diminuera le risque très important de contamination et aura un effet sur la confiance auprès des investisseurs et des touristes. Autrement, le vaccin est une arme mais qui ne suffit pas à lui seul. Il faut contrôler la circulation auprès du reste de la population et cela par le respect des mesures barrières qui ne coûtent pas cher, mais qui sont également faciles à appliquer. Cela permet à l'économie de continuer à fonctionner à tous les niveaux. Qui parle de vaccin, parle de financement. Quel mécanisme faut-il mettre en place pour y arriver ? Pour moi, le problème n'est pas celui du financement mais plutôt de la disponibilité du vaccin, car avec un calcul rapide de ce que ça coûte de vacciner la population vulnérable, au Maroc ou en Afrique, il s'agit de chiffres qui sont tout à fait abordables en mixant les ressources du pays parce que l'effet de la pandémie est gigantesque sur l'économie. Le financement n'est pas donc la question fondamentale. Mon message aux Etats, à ce sujet, est: « n'attendez pas un investissement qui ait un retour, mais plutôt allez chercher les vaccins là où ils sont disponibles ». Il y a un esprit de nationalisme par rapport au vaccin dont il faut tenir compte pour protéger sa propre population. Pour un succès appréciable de la vaccination, vous parlez d'une approche stratégique. De quoi s'agit-il ? En effet, si l'on veut vacciner tout le monde, il y aura de plus en plus de difficultés. C'est pour cela qu'il faut procéder par une approche stratégique à commencer par les plus vulnérables, c'est-à-dire les personnes âgées et qui sont les plus exposées au Covid-19. Car la difficulté c'est de vouloir vacciner tout le monde à la fois. Déjà que nous avons beaucoup de jeunes qui ne veulent pas être vaccinés, et une autre catégorie de la population qui doute de l'efficacité du vaccin et de ses conséquences. W. S.