Face aux dégâts occasionnés par les récentes inondations de Casablanca, la question de la gestion des réseaux d'assainissement et d'évacuations des eaux pluviales se pose, au moment même où Conseil de la Ville et Société déléguée se rejettent la responsabilité. Une situation qui interroge sur la viabilité du modèle en vigueur dans la métropole. Les récentes inondations qui ont paralysé la métropole de Casablanca du 5 au 7 janvier, remettent à l'ordre du jour le débat concernant les politiques et stratégies d'aménagement urbain. « Tout développement demande une stratégie et aujourd'hui, notamment pour le cas de Casablanca, cette stratégie n'est pas bien définie surtout au niveau des collectivités locales », signale Najib Lakhssassi, ex-directeur régional de l'investissement et membre de l'Alliance Istiqlalienne des Ingénieurs. Pour cet expert du génie civil, le constat est clair, « les dernières inondations qu'a connue la ville de Casablanca ont démontré que ni la Lydec, ni la collectivité locale n'ont une vision claire sur la question. Si ses acteurs et notamment la collectivité locale ne révise pas sa copie, nous allons droit vers la catastrophe ». En effet, les infrastructures censées protéger la capitale économique des crues et inondations, n'ont pas tenu face à 48 heures de précipitations. Des précipitations qui ont montré que les réseaux d'assainissement ou d'évacuation des eaux pluviales ne répondent plus aux besoins de la ville, notamment, des nouveaux quartiers et zones non équipés en infrastructure d'assainissement, des équipements existants fragilisés ou encore des réseaux saturés par le développement de la ville. « Plus que le manque de direction, il ya la question de l'entretien qui se pose. Il est indéniable que les réseaux existants connaissent un manque de maintenance et en particulier l'infrastructure d'évacuation des eaux pluviales », précise Lakhssassi. Un manque d'entretien qui se fait ressentir au moment où le réseau est mis sous pression. « Une ville intelligente ne sombre pas ! L'urbanisation galopante de Casablanca en est également pour quelque chose », avance l'ex directeur régional d'investissement. Un constat partagé par un autre membre de l'Alliance Istiqlalienne des Ingénieurs et ex-Wali de Casablanca, Driss Benhima. Urbanisation sauvage Pour ce dernier, « l'urbanisation a joué un rôle dans les répercussions des inondations. L'on cherche des modèles d'aménagement et développement urbains dans des pays enregistrant des taux de croissance urbains de 3%, ce qui est loin d'être le cas pour une ville comme Casablanca ». Concernant la question des responsabilités, ce fin connaisseur des réalités casablancaises a tranché, « l'évacuation des eaux pluviales ne fait pas partie du contrat initial entre la Ville de Casablanca et la Lydec, contrairement à Rabat, où cette clause a été rajoutée après coup. La responsabilité de Lydec n'est pas engagée vu que la défaillance est imputable au Conseil de la ville». Un manquement aggravé par les retards pris, en termes d'investissements en la matière. Une situation qui s'explique en partie par la désindustrialisation de la ville de Casablanca, qui a mis à mal le montage financier qui voulait que la consommation en eau et électricité des usines compense la consommation des ménages. Résultat des comptes, aujourd'hui la mise à niveau, voire la mise en place d'un réseau opérationnel d'évacuation des eaux pluviales nécessite une enveloppe estimée à 15 milliards de DH. Ce qui signifie en cas de répercussion sur le client final, une facture de 3.000 DH par personne en incluant les enfants ou de 15.000 Dh par foyer de 3 enfants ! Une situation qui pousse, l'ex-Wali à appeler à un changement de modèle de gestion. « Je serais pour la création d'un organisme national pour l'assainissement, mais c'est trop tard les équilibres politiques locaux font que l'on ne peut pas revenir en arrière ». Réchauffement climatique Pour ce dernier, la piste envisageable serait d'adopter un modèle où l'entreprise déléguée n'aurait qu'un rôle de distributeur final d'eau et d'électricité. Laissant au passage, la responsabilité de mise en œuvre, gestion et maintenance des infrastructures stratégiques à une macrostructure regroupant ONEE, Région, exécutif et Conseil de la ville. Une architecture qui permettrait un contrôle efficient du volet infrastructure et apporterait de la souplesse au moment de la prise de décision, notamment vu les effets du réchauffement climatiques qui augurent d'une recrudescence de ce genre de phénomènes climatiques et permettrait l'intégration effective des énergies renouvelables dans le mode de consommation énergétiques des citadins. Amine ATER et Saâd JAFRI 3 questions à Driss Benhima «Il faut construire une technocratie municipale au service de la ville et de ses élus» Driss Benhima, ancien Wali de Casablanca, nous livre sa vision sur les stratégies à adopter dans les plans de développement urbains. - Comment peut-on assurer des plans de développement urbain plus conformes aux besoins de la population ? - Premièrement, il faut faire la différence entre la gestion urbaine, c'est-à-dire les aspects politiques de réponse aux attentes de citoyens, et les modalités techniques de leur prise en charge. La gestion urbaine, concerne l'arsenal dont dispose une ville pour gérer l'accès aux services. Pour prendre l'exemple de la métropole, qui est le plus problématique, on trouve qu'il y a énormément d'acteurs, les SDL, l'agence urbaine et les services de la municipalité. Ceci impacte énormément la gestion de la ville, d'où la nécessité de travailler sur l'unification de l'ensemble de ces services, surtout au niveau de municipalité, qui a des responsabilités écrasantes, et qui pourtant n'a jamais réussi à s'équiper en administration technique territoriale. C'est assez surprenant d'avoir une pléthore de fonctionnaires municipaux et que les services techniques ne soient pas à la hauteur des enjeux. Il faut donc construire une technocratie municipale au service de la ville et de ses élus. - Comment cette technocratie municipale pourrait-elle répondre aux enjeux et défis que rencontrent les villes ? - Pour démontrer l'importance de cette technocratie, les inondations de 2002 à Mohammedia et l'incendie de la Samir, se profilent comme un exemple pertinent. Ces inondations sont la contradiction entre la gestion des risques hydrologiques et l'urbanisation sans freins. La ville disposait de 800 hectares d'exutoire, permettant à l'eau pluviale de rejoindre la mer, dont 500 h, ont été urbanisées. Si l'agence urbaine qui a autorisé l'urbanisation de la zone, s'était comportée comme une administration technique, prenant en charge l'ensemble de la gestion de la ville, les responsables de la sécurité hydrologiques auraient soulevé le problème. D'ailleurs, les dernières inondations de Casablanca, sont également dues, à cette urbanisation excessive qui ne prend pas suffisamment en compte les risques hydrologiques. - Avec les dernières pluies près de 55 millions de m3 d'eau de pluie sont partis en mer. Le Maroc est-il en retard sur le chantier de gestion des eaux pluviales ? - Si on se compare à d'autres pays, comme la Tunisie ou encore Israël, on est très en retard. En Israël, 87% des eaux usées sont réutilisées, en Tunisie, non seulement toutes les villes sont équipées par système d'assainissement liquide, mais encore 54% de la population rurale bénéficie de ce dernier. Au Maroc, il faut laisser aux gestionnaires des villes, la responsabilité de la gestion locale des réseaux et d'électricité, avec deux étages, un étage technique de gestion des flux financiers et un étage opérationnel dédié au secteur privé. Propos recueillis par Saâd JAFRI Repères Système d'alarme inexistant Marketée comme une « Smart City », la ville de Casablanca n'est toujours pas équipée d'un système d'alarme contre les inondations subites. Un mécanisme dont l'absence a pourtant bien été pointée du doigt après les inondations de 2002 qui ont frappé la ville de Mohammadia et qui ont notamment causé l'incendie d'installations de La Samir. « En 2002, ce n'était pas réellement un problème de crues, mais l'absence de mécanisme d'alerte en aval qui a favorisé l'effet de surprise. S'y ajoute une urbanisation anarchique de 500 ha sur le déversoir de l'Oued Malah, avec le consentement de l'agence urbaine », rappelle Driss Benhima, ex Wali de Casablanca et membre de l'Alliance Istiqlalienne des Ingénieurs. 2027 comme date butoir Le contrat liant la Ville de Casablanca à Lydec prend fin en 2027. La crispation des relations entre le Conseil de la ville et l'entreprise déléguée pourrait donner lieu à une renégociation des termes du contrat, voire un changement de concessionnaire. En effet, l'accord conclu en 1997 ne prenait pas en compte la désindustrialisation de la ville, l'urbanisation galopante et l'apparition de nouveaux centres urbains à l'image de Bouskoura, Nouaceur et Berrechid. Les effets du dérèglement climatique ne sont par ailleurs pas prévus dans ce contrat, reste à savoir si l'on se dirige vers une renégociation de ce contrat et voir l'émergence d'un nouveau modèle de gestion.