A chaque saison de pluie, les citoyens se rendent compte de la fragilité des infrastructures de leurs villes. Les routes sont vite défoncées, les canalisations explosent... Quelques millimètres d'averses suffisent à inonder nos cités, si l'on peut appeler ainsi nos agglomérations urbaines. Par ailleurs, le transport public est un véritable cauchemar pour les usagers et un gouffre sans fond pour les finances communales. La gestion concédée, présentée comme une panacée, n'a rien réglé. Lydec, Amendis et consorts sont régulièrement mis en accusation par les citoyens. Il est clair que nous sommes face à une tare gravissime, celle de la gestion urbaine, une tare d'autant plus inacceptable qu'elle contraste avec l'effort exceptionnel fourni par le gouvernement en matière d'infrastructure, de grands chantiers. Il n'y a qu'à voir l'incapacité de la ville à éviter les inondations. L'effort étatique pour attirer les investissements étrangers est contrarié par l'inefficience de la gestion urbaine. C'est un point noir qu'il faut régler rapidement. L'administration territoriale doit faire jouer ses prérogatives de tutelle pour imposer une gestion efficiente. Le statut des fonctionnaires des communes doit être revu afin de permettre le recrutement de cadres de haut niveau, capables d'assurer la conduite de projets, la recherche de financements et surtout sortir de la réactivité pour faire de la prospective. Nos villes ne sont pas pensées, elles subissent leur extension sans préparation. Les schémas directeurs, même quand ils existent, et c'est rare, perdent tout contenu par le nombre de dérogations accordées. Face à ce constat, on ne peut que se poser une question fondamentale : comment réussir la régionalisation avec des élites aussi faibles ? Car la régionalisation avancée signifie la dévolution de prérogatives importantes à la région. Ces élus qui ont failli dans la gestion de services publics tels que la distribution d'eau et d'électricité, les voiries ou le transport public peuvent-ils concevoir et gérer l'éducation, la santé, la restructuration des quartiers et les infrastructures structurantes ? Sûrement pas. Pourtant toutes ces missions seraient dévolues aux élus dans le cadre de la régionalisation. Il faut revoir le cadre juridique des collectivités locales pour obtenir plus d'efficience, sans recul en matière de démocratie. Si la solution la plus simple est de renforcer le rôle de la tutelle, elle est loin d'être optimale politiquement. Le renforcement de l'encadrement technique des communes est une voie à étudier. Deux villes dans la ville HAKIM ARIF Des décennies de constructions, d'aménagements et d'équipements, tous réalisés sans la moindre harmonie, ont donné naissance à une métropole mal organisée, mal bâtie, mal vue et mal vécue par ses propres habitants. Il ne s'agit pas de s'arrêter à l'esthétique des beaux quartiers pour juger si la ville est belle, fonctionnelle et agréable à vivre. On ne peut donner ces qualités à une ville que lorsqu'elle offre les mêmes avantages à tous ses citoyens. Or, il est aisé de constater que tous les Casablancais ne sont pas logés à la même enseigne, ne bénéficient pas des mêmes infrastructures et ne résident pas tous dans des quartiers structurés. Durant les décades passées, la distribution des moyens a été si déséquilibrée qu'il existe aujourd'hui deux villes dans la ville. Le Casablanca propre et ordonné, et le Casablanca sale et anarchique. Peut-on espérer une rectification salutaire ? Difficile à dire tellement les solutions ne sont pas évidentes. A moins de démolir une grande partie de cette gigantesque cité, avant de la reconstruire. Ce qui est évidemment impossible. Et contrairement à ce qu'on pourrait penser, ce ne sont pas uniquement les intempéries qui mettent à nu l'urbanisme raté de la plus importante agglomération du Maroc. Chaque jour, les citoyens sont confrontés à une tare urbaine. Les transports causent plus de mal qu'ils n'apportent de remèdes. Les taxis sont dans un état déplorable, et tout aussi affligeant est l'état des bus. Ces véhicules crasseux, inconfortables et mal entretenus, circulent, qui plus est, dans une ambiance de désordre généralisé qu'aucune instance publique ne daigne régler. La majorité des quartiers vit dans une insalubrité visible à l'œil nu, et les marchés poussent n'importe où et n'importe comment, tels des champignons. Après leur fermeture, ces souks laissent derrière eux un espace impraticable avec tous les détritus générés par les activités commerçantes, pourtant légales. Nous ne sommes pas dans une ville, mais dans un dépotoir à ciel ouvert à quelques mètres des logis, des hôpitaux, des postes de police et des sièges des communes. La ville devient rurale par endroits. Au lieu que les nouveaux arrivants s'adaptent aux exigences d'une cité moderne dont ils doivent respecter le mode de vie et d'intendance, ils imposent le leur à tout le monde. Ainsi, pour ne citer que cet exemple parmi mille, sur le boulevard Mohammed VI, les commerçants ambulants, «les ferrachas», occupent deux des six voies (3 à l'aller et 3 au retour), obligeant voitures, bus et camions à des slaloms épuisants et périlleux. Rien ne marche, disent les Casablancais, qui envient la ville fluide et commode de leurs voisins r'batis. Casablanca a honte de son histoire récente. Depuis quelque temps, des projets gigantesques voient le jour, qui devraient, promet-on, complètement changer la face de la capitale économique du pays. Mais encore faut-il attendre, et surtout réhabiliter les quartiers périphériques où la population ne se sent pas citoyenne de la plus grande métropole du Maroc. Un check-up Salaheddine Lemaizi «C'est un avertissement». Dixit Kamal Dissaoui, président de l'arrondissement Sidi Belyout. Ce membre de l'opposition (USFP) au Conseil de la ville de Casablanca est en colère contre les gestionnaires de la ville. Pour K. Dissaoui, les dernières inondations devraient constituer une motivation pour retrousser les manches et revoir toute la gestion de la métropole. L'onde de choc du 30 novembre 2010 pousse la majorité du Conseil à exiger l'intervention de l'Etat pour sauver les meubles. «Il est impossible de réussir la gestion de notre ville en solo, dans les conditions actuelles. Même dans 100 ans, Casablanca ne bougera pas ainsi d'un iota. On demande un contrat programme avec l'Etat», propose Ahmed Brija (PAM), vice-président du Conseil. Selon le politicien casablancais, la Ville n'a pas les moyens de lancer des projets comme celui de l'Oued Bouskoura qui demande 1 milliard de DH. Ahmed Kadiri (Istiqlal) est aux commandes de l'arrondissement Maârif depuis une vingtaine d'années. «Les causes structurelles ne justifient pas la situation de la ville. Ce sont des prétextes», explique ce vétéran. Entre modes de gestion et moyens financiers, la ville et ses 5 millions d'habitants se débattent. Casablanca revient de loin Après les années du trio Basri (ministre de l'Intérieur 1979-1999), Slimani (son gendre -président de la commune urbaine de Casablanca entre 1992 et 1999) et Laâfoura (gouverneur de Aïn Sebaâ-Hay Mohammadi à la même période), la ville tente de se remettre d'une «gestion familiale». Le Conseil vient de reprendre ses appartements au Boulevard Hassan II, en face du siège de la Wilaya de la région. Coût de l'opération de relooking : 15 MDH. Mais la symbolique est là : une ville, un maire, un siège. Dans le cadre de cette politique de l'unité, ce lieu centralise le pouvoir de la gestion et de l'argent… mais aussi de la colère. «Même les dirigeants sont en colère sur la situation de la ville», précise A. Brija, qui est également président de l'arrondissement de Sidi Moumen. Pour Said Saâdi (PPS, ancien ministre et ancien conseiller communal entre 1976 et 2009), «Casablanca est passée d'une gestion calamiteuse à une autre, technocratique et néolibérale. Le seul souci est désormais d'améliorer la compétitivité pour attirer les investisseurs. Les infrastructures sociales ne sont plus une priorité dans ce schéma de développement». Union sans argent Copiée sur la loi française Paris-Lyon-Marseille (PLM) de 1982, l'unité de la ville a suscité les espoirs au moment de son entrée en vigueur en 2003. Dans cette nouvelle configuration, les arrondissements disposent d'un budget de fonctionnement qui varie entre 5 et 7 millions de DH, alors que l'essentiel du budget d'investissement est entre les mains du Conseil. Dans l'ancienne ère, le budget d'un arrondissement pouvait atteindre 90 millions de DH. Pourtant, «l'unité comme concept peut être une bonne chose. Si dans les villes françaises, chaque institution respecte et fait son travail, au Maroc ce n'est pas le cas», témoigne K. Dissaoui. Même son de cloche chez A. Kadiri : «l'unité est basée sur la proximité, chose inexistante à Casablanca». La méthode d'étude inadéquate pour les schémas d'aménagements de chaque arrondissement est pour lui le meilleur exemple. «Sur ce dossier, on doit avoir notre mot à dire», revendique-t-il. Les arrondissements ne contestent pas seulement l'inégale répartition des ressources. K. Dissaoui critique également les critères de l'octroi de la subvention par le Conseil. «Notre budget est octroyé, non pas sur des critères démographiques, mais selon le degré de copinage avec le centre de gravité du Conseil», accuse-t-il. La majorité refuse ces accusations. «La subvention des arrondissements est certes faible, mais c'est le Conseil qui se charge des services stratégiques budgétivores», argumente A. Brija. De son côté, A. Kadiri estime qu'il est «irréaliste de nous allouer une subvention d'équipement de 200.000 DH. Ça ne couvre même pas la maintenance d'une ruelle !». Lydec, 13 ans après Les inondations du mardi noir ont de nouveau remis au premier plan le mode de gestion déléguée adopté par la Ville depuis 1997. «Les dirigeants de l'époque avaient leurs raisons d'opter pour ce choix, et ils avaient raison», pense le vice-président du Conseil, A. Brija. «C'est une méthode qui a failli», avance pour sa part S. Saâdi. Ce dernier a présidé en 2008 la commission d'audit de La Lyonnaise des eaux de Casablanca (Lydec). À mi-chemin de la fin de son rapport, ce professeur universitaire a dû jeter l'éponge. «J'ai subi trop de pression de la part de l'administration centrale», se rappelle-t-il. Les conclusions de l'audit montraient que la filiale de Suez n'a pas réalisé les investissements prévus dans le contrat, et qu'elle s'est de plus permis de distribuer des dividendes à la 6e année d'exercice alors que le contrat stipule que cela ne peut se faire qu'après la 10e année. Le premier contrat a été revu, l'entreprise s'est engagée à investir 30 milliards de DH (dont 10 milliards en fonds propres) en trente ans, durée de la concession (voir l'interview de Hamid El Misbahi, directeur des grands projets à La Lydec). Un an après, Lydec est au banc des accusés. «Si le curage du réseau d'assainissement s'était fait, jamais la ville n'aurait souffert autant. Or l'entreprise n'a pas investi dans le matériel qu'il faut pour ce type d'intervention», explique K. Dissaoui. Selon lui, la Lydec dispose de 15 engins dédiés à cette opération, dont 12 hérités de la défunte Régie autonome de distribution d'eau et d'électricité (R.A.D) «L'autre erreur de Lydec est l'absence de pompes dans les postes d'électricité souterraine. Soit cette entreprise présente une valeur-ajoutée par rapport à la Régie publique, soit elle dépose les clés», avertit le président de l'arrondissement de Sidi Belyout. L'ancienne médina qui fait partie de cette zone n'a pas été touchée car le curage s'est fait à temps pour préparer la visite royale lors de septembre 2010. «Au sein de la majorité, Lydec est loin d'être blanchie. L'entreprise savait que le réseau était vieillissant et qu'il fallait investir massivement. Un effort que ne doit pas supporter le citoyen avec de nouvelles hausses des prix», affirme A. Brija. Pour la session du 24 décembre 2010, le Conseil exigera de l'entreprise des solutions et des projets d'investissements pour les 12 points noirs de Casablanca, notamment pour l'Office des Changes, qui est régulièrement inondé, ainsi que le quartier Mabrouka… La gestion déléguée démodée ? Au-delà des entreprises et des types de services (eau, électricité, assainissement, transport, propreté, etc.), la gestion déléguée n'est plus au goût du jour auprès des élus. A. Kadiri pense que la gestion déléguée a apporté de bonnes choses sauf sur un point: la marginalisation des arrondissements. «À plusieurs reprises ces entreprises nous ont dit qu'elles n'ont pas de compte à nous rendre et qu'elles sont redevables uniquement au Conseil, ce qui est grave. On gère la même ville». Ce mode de gestion est aujourd'hui remis en cause dans plusieurs métropoles mondiales, la dernière en date était Paris, l'an dernier. «À un moment, la gestion déléguée était le modèle idéal, aujourd'hui il est dépassé. Nous aussi on s'oriente vers la création de Sociétés de développement local (SDL)», explique A. Brija. La naissance de Casablanca développement (2008) et de Casa transport (2009) conforte ce nouveau choix stratégique. Pour K. Dissaoui, comme pour S. Saâdi, le mode de gestion n'est pas en soi problématique. «Casablanca souffre de sa gouvernance», soutient le premier. Il se base sur la gestion du transport urbain depuis 20 ans. «On a tout essayé dans ce dossier. On avait la RATC, elle a failli car ses responsables l'ont déviée de sa mission. Ensuite on a introduit le privé dans les années 80, il a failli à son tour. On a opté pour la gestion déléguée et voilà que M'dina bus échoue également». Selon lui, les régies peuvent être efficientes à condition d'avoir une gestion saine, la meilleure preuve étant la RATP parisienne. «L'autre tare de la gestion déléguée à la casablancaise, ce sont les 17.000 fonctionnaires dont dispose la ville et qui sont payés à ne rien faire. Le rôle de ces fonctionnaires doit passer à une mission de contrôle des entreprises qui ont la gestion déléguée. Actuellement, les quatre fonctionnaires qui se chargent de cette mission pour le compte de la Ville sont payés par Lydec !». Inventaire de la transparence Aux limites de la gestion communale s'ajoutent les soupçons sur le manque de transparence dans la gouvernance locale. La convocation de Mohamed Sajid, président du Conseil de la commune urbaine de Casablanca, par les juges de la Cour régionale des comptes en octobre 2010, et le procès du marché de gros renforcent ce sentiment. «Sans transparence, les citoyens ne peuvent pas nous faire confiance», affirme A. Kadiri. Un des instruments de la transparence est l'inventaire de l'ensemble des biens de la Ville. Cette procédure est explicitée dans la charte communale et elle doit se faire trois mois après l'élection du nouveau maire. «L'inventaire de 2003, comme celui de 2009, ne s'est jamais fait. On ne connaît pas le patrimoine de notre ville et c'est la porte ouverte à tous les abus», prévient K. Dissaoui. La majorité rétorque : «nous sommes contrôlés par l'Intérieur, par l'Inspection générale des finances (IFG) et par la Cour des comptes, et celui qui détient contre nous des choses qu'il les dénonce. Nous sommes prêts à faire face à toutes les accusations», se défend avec force A. Brija, vice-président du Conseil. «A l'exception de deux projets, Lydec a réalisé tous ses investissements.» Hamid El Misbahi, Directeur des Grands Projets et Chargé de Mission auprès du Directeur Général. Entretien réalisé par S. L. L'Observateur du Maroc. Comment Lydec a-t-elle géré les inondations des 29- 30 novembre ? Hamid El Misbahi. A l'annonce des prévisions météorologiques par la Direction de la Météorologie Nationale, le 29 novembre, Lydec s'est mise en situation d'alerte et a renforcé ses équipes d'astreinte et les moyens d'intervention sur le terrain. Le Centre de Relation Clientèle a été renforcé (48 postes). Une cellule centrale de gestion de crise a été ouverte le même jour à 16h, composée des membres de la Direction Générale. Elle a fonctionné 24h/24h. Par ailleurs, outre les interventions sur le terrain de ses équipes, Lydec a assuré une présence constante dans le PC crise de la Wilaya et le pilotage de la cellule «intervention pompage» de la Wilaya. L'entreprise avait-elle les moyens humains et techniques pour gérer une telle catastrophe ? A titre indicatif, une pluie de fréquence centennale est estimée à 33 mm en une heure. Celle du 29-30 novembre a atteint 43 mm en une heure sur le secteur de la Route d'Azemmour. D'une façon générale, le cumul sur 24 heures équivaut à la moitié du total annuel habituel et à deux fois le volume enregistré lors de la précédente crise en 1996. Au total, ce sont près de 1200 personnes qui ont été actives sur le terrain avec d'importants moyens déployés au cours de l'opération. Lydec a été tout particulièrement attentive à la sécurité des habitants et des employés tant dans le domaine de l'assainissement que dans celui de l'électricité. En particulier, 10.000 manœuvres sensibles sur le réseau électrique se sont déroulées sans accident. Quelles sont les leçons retenues de ces inondations ? Au-delà de l'intensité des pluies, dans certains cas, les dégâts causés par les eaux auraient pu être limités si certaines règles d'urbanisme avaient été respectées. En effet, certains facteurs contribuent à engendrer et/ou à aggraver les dommages : les constructions dans des zones inondables, les aménagements de trottoirs devant les rampes d'accès aux sous sols provoquant la pénétration des eaux de ruissellement de la chaussée vers les sous-sols, les défauts d'étanchéité des sous-sols et l'absence de dispositifs anti-retour des réseaux d'assainissement, en particulier dans les constructions dotées de sous-sols. Où en sont les projets d'assainissement liquide de la ville ? Connaissent–ils un retard par rapport au planning initial ? Un programme d'investissements est établi en fonction des informations et des projections urbanistiques disponibles au moment de l'élaboration des schémas directeurs. Le programme d'investissement est validé par le Comité de Suivi de la Gestion Déléguée et les priorités sont fixées par les autorités. Les investissements prévus au contrat de gestion déléguée révisé et devant être financés par Lydec ont été réalisés. A l'exception de deux projets. L'opération d'assainissement de Zénata a été différée dans l'attente de l'adoption du schéma d'urbanisme de cette zone. Le renforcement du réseau de Sidi Maârouf est en attente de la réalisation d'un exutoire prévu dans le cadre du projet «Super Collecteur Ouest» / Oued Bouskoura. Il faut souligner qu'un ouvrage majeur prévu dans le programme a pu être débloqué. Il s'agit du bassin de rétention des eaux pluviales Derb Diwane qui a permis de limiter l'impact des inondations à Ain Chock. Pour le reste du réseau, les mises à niveau se font progressivement. Comment votre entreprise compte regagner la confiance des Casablancais ? D'abord, nous comprenons la situation difficile que peuvent connaître certains foyers suite aux dégâts matériels causés par ces intempéries exceptionnelles. Dans les quartiers défavorisés, nos équipes ont mené des opérations de solidarité en réalisant d'importantes opérations de pompage, comme à Lahraouiyyine. Au total, ce sont près de 1200 personnes qui ont été mobilisées durant ces intempéries, jour et nuit pendant une semaine, pour rétablir le bon fonctionnement des services. Comment repenseriez vous Casablanca ? Oidie Soubat, Architecte, urbaniste, paysagiste. La question est belle. Casablanca a toujours eu de bonnes idées, de bons plans. Penser que c'est un ogre est une erreur: c'est un corps complexe. C'est vrai qu'il y a des besoins spécifiques et que les gestionnaires doivent garder en tête que la production d'une ville est un acte civilisationnel lié à une histoire, un présent et un avenir. Les documents permettent de garder le cap, mais ce sont les gens qui véhiculent son âme. Or nous avons la mauvaise habitude de rompre avec les stratégies de gestion et les personnes qui les mènent temporairement, sans les rappeler pour le conseil, l'aide et le suivi d'une chose commune. Les structures ou les projets ont besoin de plus de suivi car l'aspect comptable et financier n'est pas tout dans une entreprise urbaine et de citoyenneté. Il faut créer le «contrôle genre» pour les aspects non comptables, à savoir le paysage, le patrimoine, l'urbain. Dans ce but, il faut donner une part de responsabilité aux profils techniques, qui portent le souci et la mission sectorielle mais complémentaire de l'acte urbain. Ces professionnels qui peuvent créer un maillage efficace pour éviter les égarements ou les écarts de l'objectif de fond et pas uniquement financier. Le sujet de la maitrise de l'eau et de l'irrigation, un sujet d'actualité, devrait avoir des représentants professionnels dans les structures de gestion. Ils donneraient l'appui aux paysagistes et urbanistes pour créer des espaces moins bétonnés et plantés en rapport avec notre milieu naturel et notre patrimoine paysager, sans créer nécessairement des parcs à la française ou de type anglais avec des espaces gazonnés. Je n'apprécie pas la remise en cause de nos compétences dans ce domaine, mais je suis d'avis que nos projets s'ouvrent sur les compétences internationales, pour une raison de densité du savoir et non de qualité. Les architectes sont minoritaires, les urbanistes ne sont pas mieux lotis et les paysagistes se font rares. A chaque fois que l'on s'est fait aider, respectueusement de notre identité, nos valeurs et nos projets, nous avons réussi. Notre pays est un exemple que beaucoup envient, nous sommes capables de le porter plus loin, si on se donnait plus de marge de confiance. Aadel Essaadani, Urbaniste de formation, membre de Casamémoire. Casablanca grandit, et c'est un euphémisme. Casablanca a été pensée initialement et prévue pour devenir une grande ville dès son choix pour l'implantation du port par Lyautey. Elle a évité les catastrophes majeures jusque là, car les infrastructures existantes ont étés pensées en perspective de sa croissance. Mais nous parlons là d'un temps que les moins de 60 ans ne peuvent pas connaître ! C'est enfoncer des portes ouvertes que de dire que la planification des villes est une démarche de gestion urbaine qui se fait tout au long de la vie d'une ville. Les schémas directeurs et les plans d'aménagements constituent l'ossature, pour quelques années, des arbitrages de politique urbaine. Ils sont amenés à être mis à jour, en général, tous les 20 ans. Or Casablanca accuse des retards visibles dans la prospective de sa croissance, de la préservation de son patrimoine et de la réflexion autour des grands thèmes urbains : transport, logement, espaces publics, espaces verts, infrastructures industrielles, culturelles et touristiques. Il est évident que ça ne suit pas ! Le dernier schéma directeur de Casablanca date de 1984, le nouveau tarde à sortir. Les statistiques de base ne sont pas vérifiées. Les grands chantiers sont davantage des chantiers à des fins de communication que de planification urbaine (l'autoroute urbaine, le grand théâtre, le réaménagement de la corniche, du Bd El Massira). Cependant, un mode opératoire peut être envisagé en pensant à des infrastructures pour une ville de 10 millions d'habitants, le temps de les réaliser. Si nous commençons maintenant et sérieusement, Casablanca arrivera à ce décompte : infrastructures et plan de déplacements, réseaux électriques, évacuation des eaux pluviales, stations d'épuration, détermination précise des zones à risques... bien qu'il faille commencer par l'inventaire et le diagnostic sérieux de l'existant. Or les infrastructures étant moins voyantes, et les travaux pour les réaliser contraignants, le bénéfice en image de ce travail dépasse le temps des mandats politiques, d'où le besoin d'une conscience avérée pour l'intérêt général dépassant les calculs électoraux.