Le programme « Intelaka » semble prometteur dans la contribution à la relance de l'économie nationale. Il reste pourtant lacunaire au niveau de l'accompagnement des jeunes entrepreneurs. Depuis l'annonce de la réactivation du programme « Intelaka », une des pierres angulaires de la relance économique en ces temps de crise, les jeunes entrepreneurs ont commencé à entrevoir une lueur d'espoir, dans un paysage du marché de l'emploi assombri par la hausse du chômage. A en croire les dires du ministre de l'Economie et des Finances, Mohammed Benchaâboun, la redynamisation du programme en question est une urgence et le gouvernement en fait désormais une priorité. Pourtant, ce programme destiné à financer les auto-entrepreneurs et les TPME, naissantes soit-elles ou existantes, fait l'objet de moult critiques. Pour différentes raisons, les banques démontrent une réticence à octroyer des crédits à ces jeunes marocains ouverts à l'entrepreneuriat et à l'affut d'une promesse de financement. Si 9.500 entreprises ont pu profiter de ce soutien (voir article annexe), des milliers d'autres projets ont vu leurs aspirations s'évaporer. Un état de fait confirmé par Abdellah El Fergui, président de la Confédération de la TPE/PME, qui déclare que de nombreux entrepreneurs ont déjà abandonné leurs projets et le taux de faillite des entreprises va considérablement augmenter. Il atteste que plusieurs TPE auraient pu maintenir leurs activités grâce à des crédits de faibles montants que les banques ont refusés. Le pourquoi de la distinction « Les banques sont très réticentes en cette période par rapport à l'octroi de crédits », nous confie un banquier sous couvert d'anonymat. La plupart des refus de dossiers, constatés au niveau des banques, sont justifiés par la présentation de projets insuffisamment renseignés ou accompagnés de données financières ne permettant pas de s'assurer de leurs viabilités à terme, explique-t-il, d'autant plus que la conjoncture actuelle ne permet pas de visibilité quant à la rentabilité de plusieurs projets. D'autres dossiers sont mis en standby, en raison de l'incertitude de la relance de certains secteurs, où il y a un manque de clarté par rapport au retour sur investissement, dans la conjoncture présente. Par ailleurs, certains entrepreneurs ont été confrontés à une demande de fonds propres. Ceux-là présentaient des dossiers de projets nécessitant un capital supérieur à la limite du crédit que le programme « Intelaka » prévoit, soit 1,2 million de dirhams. Contacté par nos soins, Amine Nejjar, vice-président de l'Alliance des Economistes Istiqlaliens (AEI), souligne qu'il est impératif d'intensifier les structures d'accueil des jeunes futurs entrepreneurs avant qu'ils ne se dirigent vers les banques pour demander un financement dans le cadre du programme « Intelaka ». L'accompagnement des jeunes entrepreneurs s'impose En vue d'assurer une relance qui convient à la conjoncture, le processus d'accompagnement devrait être pensé et poussé davantage de sorte à tirer le meilleur de ces projets. « L'accompagnement de ces idées innovantes est essentiel dans un premier temps », avance Amine Nejjar, « dans la mesure où une idée de projet doit passer par une étude de marché et une étude technico-financière, pour aboutir à un business plan où la viabilité et la rentabilité sont mises en exergue et où les besoins de financement sont exprimés ». La recommandation du vice-président de l'Alliance des Economistes Istiqlaliens s'aligne d'ailleurs avec l'objectif du programme « Intelaka » qui, en plus de l'aspect financier, aspire à insuffler chez les jeunes l'esprit d'entrepreneuriat en leur permettant d'intégrer la vie active tout en créant de la valeur ajoutée, pour eux-mêmes mais aussi pour l'économie nationale et donc pour le pays. Selon M. Nejjar, « les banques doivent également mobiliser des ressources humaines pour aider ces jeunes entrepreneurs à corriger et compléter les dossiers de demande de crédit qui nécessitent souvent des rectifications ou des éclaircissements ». « Il est impératif que les banques expliquent et motivent toutes les décisions prises sur ces dossiers de crédit, surtout quand elles opposent un refus ou qu'elles accordent un montant différent, en général toujours très inférieur de celui de la demande initiale », souligne -t-il, ajoutant qu'il est très important de prévoir des instances de recours afin d'éviter que cet « espoir né avec le programme Intelaka ne se transforme en une frustration de nos jeunes, femmes et hommes ». La promotion de l'entrepreneuriat au service de la relance économique Cela devient évident, dans la conjoncture actuelle, où le marché de l'emploi souffre d'une réduction drastique, il est essentiel de sauver des emplois, mais également d'en créer. « Dans la mesure où on ne peut pas garantir le salariat à tous les jeunes, la seule manière de créer de l'emploi est d'encourager de promouvoir et d'accompagner l'entrepreneuriat », confirme Amine Nejjar. Impliquer la jeunesse dans la production nationale devient une nécessité afin d'apporter de la valeur ajoutée à l'économie. « Il faut investir dans le champ de l'entrepreneuriat car ce n'est que par la réussite de ce genre de programmes qu'on y arrivera », conclut-il. Nabil LAAROUSSI 3 questions à Abdellah El Fergui « Certaines banques n'acceptent que les porteurs de projets proposant un apport financier » Abdellah El Fergui, président de la Confédération de la TPE/PME, nous clarifie les raisons et conséquences des difficultés qui entravent une mise en œuvre optimale du programme « Intelaka ». - Quelques entrepreneurs que nous avons interviewés au sujet du Programme « Intelaka », nous ont confié que les banques refusent de leur octroyer des crédits sans raison apparente. Quelle est votre lecture ? - Au début du confinement, le ministre de l'Economie, Mohamed Benchaâboun, avait décidé de suspendre le programme « Intelaka ». Le souci est que cette décision n'a pas été communiquée au grand public, et par conséquent les entrepreneurs ont continué à déposer leurs candidatures pour le programme. Ces dossiers se sont entassés et sont restés sans traitement. A la réactivation du programme, les banques ont dû se retrouver avec des centaines de milliers de dossiers. D'autre part, les banques choisissent des projets rentables dans des secteurs prometteurs. - Quelles sont les principales failles du programme ? - Le manque de communication et d'accompagnement sont les plus grandes tares qui affectent l'optimisation des résultats du programme. Les banques rencontrent des dossiers incomplets ou encore des projets dans des secteurs non-pris en charge par le programme. Par conséquent, les banques favorisent les projets des TPME, car elles estiment qu'elles ont une expérience qui permet de garantir un retour sur investissement. Il est vrai que certains jeunes entrepreneurs manquent d'implication et de sérieux. En outre, quelques banques n'acceptent que les porteurs de projets proposant un apport financier, ou exigent, dans certains cas, des apports financiers qui peuvent arriver jusqu'à 50%, prétextant que l'objectif est de garantir l'implication de l'entrepreneur. - Quelles actions entreprend la confédération pour y remédier ? - Nous avons créé des pages sur les réseaux sociaux, afin de combler le grand vide communicationnel et d'accompagner ces jeunes aspirant à l'entrepreneuriat dans l'élaboration de leurs projets. Nous répondons à des centaines de questions reçues chaque jour. Aussi, un salon virtuel « Intelaka » est organisé chaque semaine, portant sur les nouveautés entourant le programme. Un point très important : à partir de janvier 2021, nous prévoyons de labelliser les cabinets d'accompagnement des entrepreneurs, et ce, pour entraver les escrocs et arnaqueurs qui dépouillent ces jeunes entrepreneurs en se faisant passer pour des associations ou des bureaux d'accompagnement. Recueillis par N. L. Encadré Conjoncture sinistrée : Les séquelles de l'arrêt des entreprises pendant le lockdown Les impacts du confinement sur les entreprises et conséquemment sur le marché de l'emploi sont devenus évidents aujourd'hui. En effet, près de 83,4% de l'ensemble des entreprises organisées ont arrêté leurs activités pendant la période du confinement. Constituant 95% du tissu économique au Maroc, les PME et les TPE sont les plus concernées par ce phénomène. L'arrêt d'activité a été enregistré chez 86% des TPE, et 79% parmi les PME. Les grandes entreprises (GE) ont quant à elles enregistré une proportion de 57%. Cet arrêt d'activité, étant en soi un problème de taille pour l'économie nationale, a suscité une vague de licenciements sans précédent. Selon le Haut Commissariat au Plan (HCP), 49,8% des entreprises organisées ont réduit temporairement leurs effectifs employés et 9,6% d'entre elles l'ont fait de manière définitive. Malgré la reprise de l'activité économique post-confinement, la pandémie continue ses ravages sur le marché d'emploi. Le taux de chômage au niveau national s'est accru de 33% pour s'établir à 12,7% au troisième trimestre 2020, indique le HCP dans une note plus récente. Le HCP explique que le taux de chômage a enregistré une forte hausse aussi bien en milieu rural qu'en milieu urbain, passant respectivement de 4,5% à 6,8% et de 12,7% à 16,5%. Ainsi, le nombre de chômeurs a augmenté de 368.000 personnes entre le T3- 2019 et le T3-2020, passant de 1.114.000 à 1.482.000 chômeurs. Repères La genèse prometteuse du programme Lancé en février de l'année courante, sur hautes instructions de SM le Roi, le programme «Intelaka» avait connu un bon démarrage, avant que le ministre de l'Economie, des Finances et de la Réforme de l'Administration ne décide sa suspension, en raison de la crise sanitaire. Il convient de noter qu'après un mois de son lancement, 143 millions de DH de crédits ont été octroyés à plus de 1.000 bénéficiaires. Jusqu'au début avril (deux mois après le lancement), 5.300 crédits ont été accordés, donnant espoir à bon nombre de jeunes assoiffés d'opportunités. Reconfinement : le nouveau cauchemar des TPME Le gouvernement promet un programme de relance, doté d'une enveloppe globale équivalente à 11% du PIB. Néanmoins, les propriétaires des TPME que nous avons contactés sont sceptiques, et sont unanimes à prévoir qu'en cas de reconfinement, il faut s'attendre « encore une fois » à ce que «les banques bloquent les crédits ou durcissent les critères de sélection, puisque le retour sur investissement n'est pas garanti». Dans ce cas, ils seront pour la plupart amenés à mettre la clé sous la porte.