Moins timoré et déséquilibré que le précédent rapport sur les événements d'Al Hoceima et de la région du Rif publié en mars 2019, le dernier rapport du Conseil national des droits de l'homme (CNDH) sur les troubles sociaux survenus en 2018 à Jerada n'en demeure pas moins un simple constat factuel, cruellement dépourvu d'audace. Dans un rapport de 60 pages, le CNDH a dressé sa lecrure du mouvement de contestation qui avait agité en 2018 l'ancienne Capitale marocaine du charbon en proie depuis des décennies à une crise économique et sociale profonde. Tout au long de ses 29 conclusions et 36 recommandations, le Conseil semble encore une fois péché par manque d'audace. Et comme ce fut le cas pour le rapport publié sur les événements d'Al Hoceima et du Rif, l'instance confirme ainsi son incapacité à remplir sa vocation cathartique à même d'apaiser les tensions sociales liées au droit de l'homme et surtout, d'éviter qu'elles ne se reproduisent. Rédigé durant la période entre décembre 2019 et février 2020, le rapport du CNDH s'est en effet contenté d'émettre des appels prudents au respect du droit à manifester saupoudré d'une analyse mécanique du déroulement des manifestations et du comportement des autorités, ainsi que le dénouement judiciaire du mouvement social. Heureusement le rapport se rattrape en pointant du doigt, les causes profondes du malaise social, qui trouvent racines dans le manque des opportunités de travail. La présidente du CNDH a estimé dans ce sens, que «les protestations qui ont eu lieu dans la ville de Jerada, une des villes dépendant de l'activité minière, constituent l'une des manifestations de la problématique liée à la transition de la phase de l'exploitation des mines à la phase post-épuisement des ressources», ajoutant que cela aurait dû constituer une occasion pour mener une réflexion sur le développement d'une stratégie anticipative nationale qui vise à traiter les transformations d'ordre économique, social et environnemental dans la ville de Jerada et les régions enregistrant une situation similaire. Par ailleurs, le Conseil a prêché la bonne parole en appelant à un dialogue national sur la question des entreprises et des droits de l'Homme. Un constat factuel et superficiel Le Rapport fait preuve de peu de précision dans la description des événements avec une chronologie mécanique. Le Conseil attribue le déclenchement du mouvement de contestation de Jerada à l'exacerbation de la colère des habitants de la ville, étouffés par l'agonie de l'activité économique suite à la suspension de l'activité des mines de charbon. Cette colère s'est déchaînée suite à la conjonction de deux éléments essentiels : les factures exorbitantes de l'eau et de l'électricité et la mort tragique de deux frères engloutis dans un puits de charbon. Ce qui avait ouvert la voie à une série de manifestations et de grèves générales à l'appel des syndicats locaux. Lors de cette phase de mobilisation de la société civile qui s'étend du 20 décembre 2017 au 8 mars 2018, les manifestations appelaient en général à une alternative économique pour sauver la ville de la dépression. Ensuite, est intervenue la phase violente avec une montée des tensions surtout après les mises en garde du ministère de l'Intérieur contre tout rassemblement «illégal». Les émeutes du 14 mars furent des plus violentes suite à la tentative de dispersion d'un rassemblement qui a fait 312 blessés parmi les forces de l'ordre et 32 parmi les manifestants, et l'arrestation de plusieurs d'entre eux. Toutefois, le rapport reste approximatif dans son bilan. Concernant la judiciarisation des événements, les procès ont commencé dès le 9 avril, comme le précise le Conseil, qui ne fait pourtant pas allusion à l'arrestation des leaders du mouvement. Cet épisode a pris fin avec la Grâce Royale qui fut accordée à 47 détenus. Des revendications qualifiées de "sociales" Face à la crise économique, les manifestants ont brandi des revendications à caractère social que le Conseil résume dans l'amélioration des services d'éducation et de santé et l'investissement dans les projets générateurs d'emplois. Pour simplifier, les habitants ont revendiqué à titre d'urgence des hôpitaux, une couverture sociale, des universités multidisciplinaires et des emplois alternatifs à l'activité minière arrêtée, pour sortir de la crise qui frappait leur ville depuis des décennies. La défiance vis à vis du gouvernement La réaction tardive du gouvernement n'a ni apaisé ni convaincu les manifestants dont la confiance fut quasi-nulle vis-à-vis des promesses de l'Exécutif qui a proposé des avantages en matière de recrutement dans la fonction publique et des facilités de paiement des factures d'eau et d'électricité ainsi que l'amélioration des conditions des travailleurs dans les mines. Le Conseil souligne par ailleurs, le rôle considérable des réseaux sociaux dans l'organisation des manifestations qui demeuraient «pacifiques» en général, «à l'exception de celles du 14 mars», précise la même source. Cependant, le manque de représentativité a compromis le mouvement de contestation. Il est ainsi étonnant de constater que la lumière ne fut pas mise sur les activistes des détenus ayant joué un rôle dans la mobilisation. Le rapport n'accorde pas suffisamment d'attention à la tendance excessive du gouvernement à recourir à l'approche sécuritaire et l'intervention musclée. L'institution dirigée par Amina Bouayach passe sous silence certains dysfonctionnements décriés au niveau de l'instruction et du jugement du dossier, se contentant d'exprimer son satisfecit quant à des procès considérés dans son rapport comme impartiaux et accessibles au grand public et aux journalistes. Des recommandations prudentes Après s'être félicité de la grâce royale au profit de 47 détenus, le CNDH présente 36 recommandations dont le moins qu'on puisse dire est qu'elles sont prudentes et généralistes, se bornant à des appels au respect des principes de droits de l'homme qu'on entend fréquemment et qui vont dans le sens du respect du droit de manifester et d'améliorer la gouvernance. Au final et parmi le fatras de recommmandations recommandations qui sonnent creux pour la plupart, on retiendra une doléance intéressante. Celle qui appelle à réduire l'ampleur des emplois informels dans l'exploitation des mines et à la responsabilisation sociale des sociétés gestionnaires des mines de charbon vis-à-vis des travailleurs... C'est au moins ça de gagné.