Bien qu'il ait eu l'audace d'éplucher un dossier aussi délicat que celui du Rif, le Délégué interministériel aux droits de l'Homme (DIDH) a manqué la substantifique moelle des évènements qui ont secoué le Maroc en 2017. Florilège. Nommé par Sa Majesté le Roi, en décembre 2018, comme Délégué interministériel aux droits de l'Homme, Ahmed Chaouki Benyoub fait déjà parler de lui en publiant un rapport sur "Les événements d'Al Hoceima et la protection des Droits de l'Homme". Dans un document de 66 pages, cet ancien pilier de l'Instance Equité et Réconciliation revient, en six chapitres, sur ces événements qui ont marqué l'histoire du Maroc moderne: les faits significatifs, le procès de Casablanca, les garanties d'un procès équitable, les actions et les efforts des autorités et des institutions constitutionnelles, les rencontres de communication et les initiatives des acteurs civils, ainsi que les analyses sur le contexte, les manifestations, la mémoire et l'espace et, enfin, les recommandations. Exhaustif et riche en propositions, ce récit des faits, qui se veut "un point sur les facteurs, les circonstances et conditions dans lesquelles se sont déroulées" ces évènements, omet pourtant de parler de l'essentiel: la gestion très discutable par le gouvernement de ce dossier épineux, les rapports du Conseil national des Droits de l'Homme sur les conditions de détention des activistes, d'autant plus qu'il occulte les arguments de la défense des détenus. La responsabilité du gouvernement A aucun moment, dans son rapport, Benyoub ne mentionne les bavures d'El Othmani & Co. dans le traitement du mouvement des jeunes révoltés d'Al Hoceima. En plus de les avoir négligés pendant plusieurs mois, tandis que la colère grondait dans le Rif, la majorité gouvernementale avait brandi la carte des accusations malsaines, en traitant les manifestants "d'indépendantistes" et de "serviteurs d'agendas étrangers", lors de ce qui est devenu "la maudite réunion du 14 mai 2017". Pour rappel, jusqu'à cette date, les autorités n'avaient enregistré aucune violence lors des marches de contestations, qui avaient duré plus de six mois après le tragique décès du poissonnier Mohcin Fikri, écrasé par une benne à ordure, le 29 octobre 2016. Les émeutes, la fameuse interruption de la prière du vendredi par Nacer Zefzafi, tous ces évènements ont eu lieu vers la fin du mois de mai, en riposte aux accusations humiliantes de l'Exécutif. S'il a manqué de les citer dans son rapport, le DIDH, invité de l'émission Confidences de Presse du dimanche dernier à 2M, a littéralement reconnu que les accusations du gouvernement étaient "une erreur". Cette reconnaissance demeure, toutefois, insignifiante puisque, de l'aveu même de Benyoub, c'est le rapport qui servira de référence au sujet du Rif devant les instances internationales chargées des Droits de l'Homme. En recomposant les faits qui ont mené à l'emprisonnement de plus de 50 jeunes Rifains, le nouveau monsieur Droits de l'Homme du Maroc est revenu sur la visite d'une délégation gouvernementale à Al Hoceima, le 22 mai 2017. Cette visite qui, selon le rapport, a été l'occasion de la tenue de plusieurs réunions entre des ministres et des élus locaux, ainsi que des représentants de la société civile locale, n'a compris, en effet, aucun échange avec les leaders du mouvement de contestation. Bien au contraire, simultanément à la présence des six ministres en ville, Zefzafi avait appelé à une "large manifestation" en contestation contre "la négligence que le gouvernement a eu à leur égard". Dysharmonie avec le CNDH Au sujet du rôle déterminant du Conseil national des Droits de l'Homme depuis l'éclatement des évènements du Rif en 2016, le rapport du DIDH se limite à l'action menée envers les détenus et leurs familles. En deux pages, le texte revient sur les visites des délégations du CNDH aux prisons où sont détenus les activistes du Hirak du Rif et leur présence au cours des audiences du procès à la Cour d'Appel de Casablanca, mais ne cite nulle part les documents remis, justement, au tribunal par cet organe constitutionnel. Du temps de son ex-président, Driss Yazami, remplacé par Amina Bouayach en décembre 2018, le CNDH avait commandé des rapports de médecine légale sur les détenus ayant prétendu avoir été victimes de "torture ou de maltraitance" lors de leur interpellation ou détention. Ce texte, dont une partie avait fuité dans les médias en juillet 2017, avait noté les récits des détenus sur ce qui leur est arrivé, y compris les mauvais traitements qu'ils disaient avoir subis, et évalué leur état psychologique de "façon détaillée". Parmi eux, 16 concordaient à divers degrés avec les violences policières qu'ils ont déclaré avoir subi. Les deux médecins légistes mandatés par le CNDH avaient également décrit le "stress aigu" et la "détresse psychologique" ressentis par certains et affirmé que "quelques allégations de violence physique et psychologique en détention étaient crédibles et corroborées par de nombreux témoignages concordants". Ils étaient 34 prisonniers à avoir été auscultés au final, conclut le rapport de 35 pages du CNDH, qui a jugé "raisonnables" certaines prétentions, mais que Benyoub a « brillamment » ignorées. Certes, le travail du DIDH marque une première dans l'exercice d'évaluation officielle du traitement par l'Etat d'une situation de crise. Il l'est d'autant qu'il laisse entendre une volonté au sein de l'Etat d'admettre qu'il y avait eu des erreurs dans la gestion de ce dossier. Mais les lacunes du texte qui, en outre, délaisse les arguments du comité de défense des détenus et passe sous silence la vidéo de Nacer Zefzafi exhibant son corps devant la caméra, provoquent un sentiment d'inachevé chez son lecteur. Amine DERKAOUI