Cinéphiles, méfiez-vous des apparences ! A la vue de l'affiche et du public VUP (very unkown personalities) invité à l'avant-première à l'Eden Club, modeste cinéma de quartier du centre-ville de Casablanca, on s'attend à une production marocaine médiocre, une grossière copie d'épopée hollywoodienne crachant du feu et giclant du sang. Puis on se rassure aussitôt en apercevant le nom de l'auteur. Le réalisateur, comédien et metteur en scène Hamid Zoughi a beau être un vieux de la vieille du haut de ses 50 ans de carrière, il n'a rien des cinéastes désuets en mal de scénario accrocheur. Le public qui a applaudi « Kharboucha » en 2008, biographie de la mythique cheikha d'Abda signée par le fondateur des non moins légendaires « Jil Jilala », appréciera pareillement « Boulanoir ». Le dernier opus de Zoughi, adapté du roman d'Othmane Achekra, est tout sauf décevant. Cru, poignant, incisif, le long-métrage a un air de Germinal qui n'est pas pour déplaire aux férus des fresques sociales naturalistes à la Zola. Le film raconte la genèse de l'insurrection des mineurs de Boulanouar (petit village phosphatier dans la région de Khouribga) de 1921 à 1947, en plein protectorat français. C'est tout un pan de l'histoire politique, sociale et syndicale du Maroc que brosse en 1heure 30 l'oeuvre de Zoughi. Le jeu puissant des personnages vous touche au cœur, et vous voilà en quelques minutes de spectacle dans la peau torturée des protagonistes, dont le destin paysan se trouve chamboulé par l'ouverture du gisement phosphatier. On partage leurs tourments, l'impuissance autochtone devant la main mise coloniale sur les richesses du sol national, le sentiment d'injustice face au mépris fourbe des agents de l'administration, les amitiés naissantes avec les compagnons de mine et de lutte venus chercher fortune des 4 coins du pays, la beauté de la solidarité prolétaire qui se moque des frontières géographiques et confessionnelles... et l'amour en filigrane. L'amour de la terre natale, l'amour des mères, l'amour des femmes, pansement poétique sur les plaies béantes de l'exploitation économique et de la misère sociale. Sublimée par la photographie de Paul-Anthony Mille, la dernière œuvre de Hamid Zaghi est aussi un plaisir pour les yeux. A voir et à revoir dans les salles obscures dès le 25 septembre 2014.