De prime abord l'alliance est étrange. Depuis la destitution du président Mohamed Morsi par le général Abdel Fattah al-Sissi (il n'était pas encore maréchal), le 3 juillet 2013, le royaume saoudien est devenu le meilleur allié du régime militaire installé sur les bords du Nil. Le roi Abdallah d'Arabie Saoudite a été le premier à féliciter le maréchal al-Sissi pour son élection. Le 8 juin, à l'occasion de la prestation de serment du nouveau président, il rappelait son souhait de réunir une conférence des pays donateurs amis de l'Egypte. Dans l'immédiat, l'amitié du royaume est sonnante et trébuchante. Dès le coup d'Etat contre le président islamiste, Riyad et Abu Dhabi sont intervenus et ont donné 12 milliards de dollars au nouveau régime, une partie en nature (pétrole et gaz), une autre en dons pour des projets en cours, la troisième sous la forme d'un dépôt bancaire (le donateur peut le retirer à tout moment). En octobre 2013, 50% de l'aide avait été décaissée. La générosité du royaume saoudien, berceau de l'islam wahhabite, envers un régime militaire séculier, n'est pas fortuite. Elle tient à leur égale détestation des Frères musulmans. Pour l'Arabie Saoudite, les pays du Golfe, Bahreïn et le Koweït, la Confrérie est considérée comme une force déstabilisatrice qui soutient leurs opposants. Elle est d'autant plus crainte que les Frères ont pour parrain et banquier, le petit mais richissime Qatar, rival de toujours de Riyad. L'anxiété a augmenté dans le Golfe lors des Printemps arabes lorsque les monarchies s'inquiétèrent à l'idée que la contestation puisse gagner leurs rivages. Il est vrai que le Qatar, propriétaire de la chaîne Al Jazeera n'a pas calmé leurs peurs et a laissé la télévision ouvrir largement ses studios aux opposants islamistes et libéraux des pays de la région. Pourtant, jusqu'en 1990, Riyad finançait les Frères musulmans et ses associations. L'invasion du Koweït par Saddam Hussein a changé la donne. La Confrérie a refusé de prendre parti pour le Koweït et son allié saoudien. Riyad lui a coupé les vivres. C'est alors que les Frères se sont rangés sous l'ombrelle du Qatar. L'émirat a ainsi financé l'Egypte dirigé par le président Morsi. L'Arabie Saoudite a donc applaudi l'armée égyptienne lorsqu'elle a destitué Morsi et s'est lancée dans une répression féroce contre les Frères musulmans. A Riyad comme au Caire, le mouvement a été déclaré « organisation terroriste ». Les Saoudiens poussent les Egyptiens à poursuivre l'éradication de la Confrérie. Une politique qui peut s'avérer dangereuse pour le nouveau président. 53% des Egyptiens ne sont pas allés voter, tous ne sont pas des Frères musulmans, mais ils n'apprécient guère, non plus, le retour de l'armée au pouvoir. Ils savent qu'ils ont obtenu le départ d'Hosni Moubarak puis celui de Mohamed Morsi. La popularité de son successeur risque de dépendre du soutien saoudien et de sa générosité. Le maréchal Sissi le sait. Il dit compter sur ses nouveaux amis pour mettre en oeuvre un « plan Marshall » ambitieux de 140 milliards de dollars de relance de l'économie. Depuis un an, des entreprises privées saoudiennes et du Golfe ont passé avec l'armée égyptienne (premier entrepreneur du pays) des contrats d'un montant de 40 milliards de dollars d'ici 2020. Mais qui paie, commande ❚