Le règne de Hassan II (1961-1999) a été marqué par la tentative, trois fois recommencée, de créer dans le paysage politique national une force organisée qui ferait un pendant sérieux aux organisations nées du Mouvement national qui avait mené, surtout depuis la seconde guerre mondiale, le combat réussi pour faire recouvrer au pays son indépendance perdue au début du vingtième siècle. Il en restera, malgré tout, quelque chose puisquau jour daujourdhui perdurent dans le Parlement actuellement en fonction deux groupes qui ne sont pas tout à fait ce quon peut appeler résiduels : le «Rassemblement national des indépendants» (R.N.I.) et l«Union constitutionnelle» (U.C.). De la première formule dun «Parti du Roi», celle qui a consisté, sous la houlette de Ahmed Réda-Guédira, à créer une large coalition intitulée «Front pour la défense des institutions démocratiques» (F.D.I.C.), qui a rapidement disparu par désintégration en plein vol, ne laissera aucune trace dans la vie nationale, sinon le souvenir persistant et péjoratif dune étiquette malheureuse. Une expérience désastreuse dont il était impératif de toujours se démarquer, sinon de se défier ! Un tel modèle de structuration de linstitution constitutionnelle du Maroc de la souveraineté retrouvée, ce F.D.I.C. nétait dès lors pas loin de représenter le contre-exemple absolu dont leffet était assuré surtout après la pénible mi-décennie des années soixante, prélude aux péripéties violentes des deux coups dEtat avortés. Pourtant, cela nempêcha pas que, dans la foulée euphorique de la Marche Verte réussie au-delà de toute espérance, soit lancée une entreprise politique nouvelle. Du poste de commandement monté en urgence absolue à la primature, où était installé depuis quelques années Ahmed Osman, on fit largement appel aux personnalités et autres individualités «indépendantes» -cest-à-dire sans obédience politicienne déclarée ni allégeance partisane affirmée - que lon dota, par privilège de bulletins blancs signes de ralliements dociles à lAdministration, pour monter à lassaut dune chambre qui devait être clairement introuvable et incarner «le Maroc nouveau» tel quannoncé solennellement par le Roi. Limpressionnante majorité recueillie qui verrouillait un Parlement où les autres partis (Mouvement populaire, Union socialiste des forces populaires, Istiqlal principalement) devaient se contenter dun rôle congru humiliant de figuration. Cette majorité vola en éclats suite à une scission qui voulait, sans toutefois convaincre, se donner des allures populistes et ruralistes. Parce quentretemps ces «indépendants», au nombre de 141 députés, avaient décidé de se constituer en parti politique organisé selon les normes classiques et traditionnelles héritées du XIXe siècle occidental. Cette scission donna le «Parti national démocratique», fondé en avril 1981, qui sescrima, sans beaucoup de résultats, à se forger une identité particulière, pour inexorablement péricliter jusquà ne plus apparaître quen tant que confetti en lannée 2009, après les déboires confus et juridiques quil avait eu à connaître quelques mois auparavant. La saga politique des partis, qualifiés dépréciativement dadministratifs, nen finit pas pour autant puisque quen décembre 1982, Maâti Bouabid, Premier ministre, lance une organisation nouvelle qui prétendait vouloir fédérer toute «la génération daprès lindépendance», en diagnostiquant lexistence d«un vide» quil fallait de toute urgence, bien sûr, sefforcer de combler. L«Union constitutionnelle» était prête et se positionnait dans le néo-libéralisme - le capitalisme sauvage plutôt, rétorquaient ses adversaires. Elle prit cette fois encore, lors des élections organisées quelques mois plus tard, une majorité de 83 sièges dans un hémicycle où le R.N.I. devait se contenter sans râler dêtre ravalé au deuxième rang, soit une soixantaine de députés ; 24 pour un P.N.D. qui faisait déjà figure de strapontin négligeable. Dans cet arc, les partis traditionnels se répartissaient ainsi : Mouvement populaire 74, Istiqlal 43 et U.S.F.P. 39. Tout cela devait quelque peu changer et beaucoup dobservateurs attendaient, enfin, sans patience excessive, une normalisation de la vie politique par une stabilisation bénéfique à lexercice serein de la démocratie réelle dans le cadre dune monarchie constitutionnelle qui ne soit plus formelle. Donc, il était courant de voir ici et là les esprits attendre une espèce de petite révolution culturelle qui libérerait, par impulsion royale, enfin les murs corsetées dans les rets dun makhzen persistant et omniprésent. Lespoir dun tel changement napparaissait aucunement vain pour qui voulait honnêtement sapercevoir que Hassan II, pendant toute une décennie, celle des années quatre-vingt dix, sappliquait à fissurer sa cuirasse autoritariste et à laisser enfin, relativement, ouvert le jeu dans la société marocaine. Peut-être que le Souverain vieillissant, qui allait disparaître en juillet 1999, voulait mettre les affaires du Royaume en ordre libéral en vue dune succession attendue et quil voulait sans heurts ? Et cest assurément sous le signe de lapaisement et de lharmonie qua paru sinaugurer le règne nouveau de Mohammed VI, accueilli avec les plus grandes espérances populaires et autres. Les dirigeants politiques unanimes, les uns après les autres, exprimaient sans détours leur attachement au trône, attachement quils navaient plus besoin de qualifier, rhétoriquement et rituellement, d«indéfectible» pour que ce soit un sentiment de réalité tangible. Pour la première fois, les élections générales et autres se déroulaient plutôt correctement à leur heure prévue, sans trop de heurts et leurs résultats étaient globalement accueillis sans beaucoup de contestations majeures. La carte politique devenait-elle, en cette fin prochaine de la première décennie du règne, une espèce de champ consolidé où tous les acteurs, sans aucun traitement différencié, ne craindraient plus dinterventionnisme prédateur de la part de ce Makhzen si craint et qui sest de toujours voulu le partenaire intrus privilégié, mais le primus inter pares prééminent dans une distribution maîtrisée des rôles ? Selon toute crédibilité offerte par lactualité, il a fallu vite déchanter puisquune intention se faisait visible de travailler apparemment à installer un nouveau parti royaliste ou pour mieux dire une «formation politique du Roi». Un intime du souverain, son condisciple au collège royal et à luniversité, son chef de cabinet lorsquil était encore prince héritier, démissionnait brusquement de ses fonctions de ministre-délégué au ministère de lIntérieur pour entrer en politique et briguer de suite les suffrages. Ce fut le début de la fulgurante ascension sans masque de Fouad Ali El-Himma qui après son entrée au Parlement et son insertion dans le tissu partisan, tout dabord par le truchement de la création du Mouvement de tous les démocrates (MTD) puis la constitution dun groupe parlementaire et enfin la mise en place dun parti politique imposant, ne serait-ce que quantitativement, sur les travées des deux chambres du Parlement. Pour réussir son opération de saccaparer la toute première place sur léchiquier afin de se hisser probablement à la tête du gouvernement, Fouad Ali El-Himma et son état-major dissimulent fort peu leur stratégie de conquête. A partir du petit noyau composé essentiellement déléments radicaux et danciens gauchistes dont quelques anciens condamnés, le nouveau parti, où il ne tient pas à apparaître en qualité de leader nominal, mais au choix en tant que chef de file ou meneur-inspirateur charismatique, fortifie ses rangs en recrutant, à gauche comme à droite, des capacités diverses. Au terme du dernier scrutin, qui a vu le «Parti Authenticité et Modernité» (P.A.M.) arriver premier devant tous les autres, même devant les troupes du Premier ministre istiqlalien Abbas El Fassi, il devenait permis et fondé de se poser la question suivante : est-on en présence dune nième resucée des tentatives antérieures dinstauration dun organisme nouveau, au service exclusif du Palais ? Ce nest pas si simple.