Pour qui jette un coup dil un peu curieux sur lhistoire récente du Royaume, il ne peut que relever un phénomène politique constant, celui de la création des partis nouveaux, toujours dans le sillage et au service du pouvoir en place. Une manie itérative. LIstiqlal, lorganisation des leaders Allal El Fassi, Ahmed Balafrej et les autres épigones (Ben Barka et ses camarades quadragénaires), a sans conteste mené - et gagné - le combat conduit contre les colonialismes français et espagnol, pour faire retrouver une souveraineté perdue, et cela sur au moins une partie du territoire que revendiquait le peuple marocain. Le discours officiel, dès lan I de lindépendance en 1956, prônait résolument une ligne affirmant une évolution par étapes. Il sagissait, selon la vulgate officielle, de regrouper les morceaux épars dans le sud saharien comme à lest sur la Hamada, particulièrement, duser de moyens diplomatiques et pacifiques pour parfaire lintégrité du territoire du pays qui devait idéalement au départ sétendre, sans solution de continuité, jusquaux bords du Fleuve Sénégal. De fait, sil était rapidement procédé, notamment sous la férule du redoutable Prince héritier Moulay Hassan, à la rapide dissolution de lArmée de libération nationale - qui nétait entrée en action que tardivement, dans le courant de lété 1955, le Maroc commença par récupérer, en avril 1956, toute la zone Nord du protectorat espagnol (une espèce de sous-location qui avait été concédée par la France à Madrid, en toute illégalité) ; puis ce fut le tour de Tanger, considérée comme «ville à statut international», depuis le début des années vingt, à réintégrer le giron du Royaume (en mai 1956) ; puis en avril 1958 fut récupérée la bande de Tarfaya des mains de larmée espagnole et enfin, pour clore cette première période, il y eut la réintégration, le 30 juin 1969, de la petite enclave atlantique dIfni. Une reconnaissance, comme implicite et allant de soi de la Mauritanie, devenue déjà indépendante depuis le 28 novembre1960 contre le Maroc, libéra Rabat dune hypothèque désagréable et permit à Hassan II de faire de la libération du Sahara marocain sa principale préoccupation et par là même la grande Affaire du Règne. A partir de lanniversaire royal du 9 juillet 1974, fut lancée officiellement loffensive décisive de lintégration de la province saharienne méridionale, que le dictateur espagnol le généralissime Francisco Franco préparait, avec détermination, à une indépendance pleine et entière. La stratégie du Souverain marocain parut concluante, puisquaprès le coup de génie de la «Marche Verte» enclenchée le 6 novembre 1975, le Maroc put grâce à laccord tripartite de Madrid conclu avec lEspagne et la Mauritanie, hisser le drapeau national sur Laâyoune au début de lannée 1976, alors que larmée espagnole pliait, en toute urgence, ses bagages et retirait toutes ses troupes dès la fin mars de la même année. Les événements se précipitèrent alors dune manière haletante et mettaient dangereusement les deux pays maghrébins en situation de guerre franche au début pour, depuis la proclamation de la «République arabe sahraouie démocratique» (R.A.S.D.), devenir un conflit multiforme entre Rabat et Alger par guérilla polisarienne interposée. On connaît la suite et la situation à laquelle on est arrivé aujourdhui, sans perspective réelle dune quelconque solution définitive, acceptée internationalement et qui sauvegarderait les intérêts légitimes et historiques de la nation marocaine. Dans cette chronique marocaine daprès lindépendance (bien imparfaite, on sen aperçoit à la lecture de cette introduction), le Royaume, qui apparaissait comme un Etat où le pouvoir ne pouvait quêtre dévolu à une monarchie alaouite restaurée mais qui devait faire une large place auprès delle à un parti de lIstiqlal, aux ambitions clairement hégémoniques, comme ailleurs dans tous les pays nouvellement émancipés au Maghreb, en Afrique ou en Asie où existait un parti nationaliste puissant. La toute première tentative des Istiqlaliens de sinstaller prédominants dans le gouvernement, sans partage, parut se dérouler apparemment sans anicroches majeures, puisquaprès quelques mois, le challenger traditionnel du parti de Allal El Fassi, le «Parti démocratique de lIndépendance», le Hizb Choura, ne tarda pas à être éloigné des cercles du pouvoir et lon assista alors, en mai 1958, à la constitution dun cabinet ministériel homogène et monocolore sous la présidence du vieux leader nationaliste Ahmed Balafrej. En ces deux ans daprès lindépendance, une première tentative de briser la prédominance de lIstiqlal, qui sinstallait en toute bonne conscience de cette prééminence autoproclamée héritée après au moins la vingtaine dannées de combat anti-colonial, fut entreprise par un groupe danciens résistants emmenés par le docteur Abdelkrim Khatib accompagné de lex-officier de larmée française Mahjoubi Aherdane, qui se résolurent à monter une organisation politique neuve à laquelle ils donnèrent le nom de «Mouvement populaire». Lavènement de ce nouveau venu se heurta tout de suite à lhostilité déclarée de lIstiqlal, qui navait nullement envie de faire une place dans le paysage politique national à quiconque ni à qui que ce soit. Le «Mouvement populaire» nobtint finalement sa légalisation quen février 1959, après que le Roi a imposé aux pouvoirs publics de régulariser une situation qui devenait intenable. On ne comprenait pas jusque-là le pourquoi de toutes les lenteurs et des divers obstacles mis sur le chemin du nouveau parti, qui avait bénéficié pourtant du soutien et de lencouragement du Premier ministre - par deux fois - du début de lindépendance et qui nétait pas en particulière odeur de sainteté auprès des tenants du parti de lIstiqlal, Mbarek Bekkaï surtout, fort proche du roi Mohammed V. Une autre initiative devait marquer dune façon considérable la sphère politique marocaine. Il sagit de la scission spectaculaire au sein de lIstiqlal donnant naissance à l«Union nationale des forces populaires», qui se situa demblée en janvier 1959 au centre gauche. Est-ce le hasard qui fit alors que cela se soit passé sous le gouvernement dont la présidence était échue à une importante personnalité de gauche, Abdallah Ibrahim, soutenue fermement par la mouvance syndicaliste ? Ce nétait donc pas une nouveauté, et ce ne sera encore pas une innovation que lon voit apparaître, surgir, provoquer ou se former des partis politiques nouveaux par leurs proclamations tout au moins conçus, élaborés, inventés, aménagés par une autorité prépondérante du Royaume, sinon par le souverain lui-même. Le F.D.I.C., le R.N.I., lU.C. ont été à lévidence imaginés et bâtis par le pouvoir royal, directement ou indirectement, pour sassurer dune force malléable, docile et de préférence soumise au palais. Cette tentation, même Mohammed V ny a apparemment pas pu résister, puisque cest sous son règne quest né, avec difficultés certes, le «Mouvement populaire» précité et même cette «Union nationale des forces populaires» de gauche. On peut laffirmer - en forçant un peu - même si on doit nuancer et souligner que ces deux organisations nont bien sûr pas été mises en orbite dune manière artificielle à linstar de ce quon verra plus tard sous Hassan II. Loin sen faut Aujourdhui, le «Parti authenticité et modernité», qui est en train de jouer sérieusement et sans excessive aménité des coudes sur la scène politique, peut-il être incorporé dans cette catégorie des constructions de commande aux objectifs improbables ? Nous avons dit que ce nétait pas si simple que cela.