Ce n'est que vers la mi-décennie soixante-dix que le Maroc devait connaître enfin-après une vingtaine d'années d'indépendance-une organisation judiciaire grosso modo qui commençait par là sa réforme dans le cadre d'un mariage de raison entre héritage colonial récent et une tradition arabo-islamique qui avait trouvé difficilement sa synthèse en le règne (fin du dix-neuvième siècle) quelque peu magnifié de Hassan 1er. Il y eut, bien sûr, quelques tentatives, louables par bien des aspects, de faire bouger les choses, dans un domaine vilipendé depuis des siècles, par ce qu'il représentait d'aspects médiévaux (ou pis) que subissait tout un peuple qui n'avait pour exprimer ses sentiments que les repères forcément incertains qu'offrait la religion musulmane. Le vu unanime de tous (sujets modestes, nantis et autres personnes) était que tous les magistrats du pays-en tous points du territoire-puissent avoir en n'importe quel moment le souci scrupuleux de n'écouter que leur seule conscience et de n'avoir crainte que de subir le châtiment divin en cas de manquements grave à la Loi suprême édictée par le Livre et les hadiths. Ce système, pluraliste et complexe, frappé très souvent par le fléau de l'inefficacité parce que composite, formé qu'il était par des strates superposées à côté de l'ordre juridique dominant qu'est l'infrastructure née de l'implantation de la religion musulmane majoritaire survivait doucement. En effet, à côté de cet aspect majoritaire de fait, cette juridiction a coexisté longtemps dans un pluralisme institutionnel, pré-colonial, avec justices coutumière, rabbinique, consulaire, ou subsidiaires (mohtassib, amines al-oumana) L'esprit fondamental de la mise en place de la politique des réformes a débuté véritablement lorsque la France du Protectorat mit en marche «la rationalisation par la modernisation» du fonctionnement de la justice traditionnelle marocaine, suite à la signature formelle du Traité de Fès fin mars 1912. Ainsi et jusqu'à aujourd'hui, il est possible d'affirmer que le Maroc du judiciaire en général est marqué par le poids de l'esprit de la longue tradition du modèle (droit positif pour l'essentiel) français. Nous poursuivons, avec cette deuxième partie de nos «Actuelles», notre réflexion sur le pitoyable aspect qu'offre aujourd'hui notre monde judiciaire, plus d'un demi-siècle après l'indépendance et une décennie bouclée par le règne de l'actuel souverain alaouite, Mohammed VI, sur lequel toute une nation fonde encore les plus grandes espérances. Je me rappellerai, personnellement, toujours de ce moment pathétique et poignant au cours duquel le prédécesseur de l'actuel roi, le monarque qui a gouverné le Maroc presque sans partage près de quatre décennies, a évoqué un fantasme qui l'avait taraudé fugacement. Devant l'énormité colossale du chantier qu'il avait à affronter et convaincu que c'était là une affaire peut-être proprement surhumaine que de vouloir remettre de l'ordre dans le capharnaüm judiciaire, le souverain défunt avait avoué avoir été tenté de faire brûler tous les dossiers entassés dans les tribunaux du Royaume pour remettre le compteur à zéro et tout recommencer à vide. Une manière nihiliste, absolument pas dans la nature d'un Hassan II, qui se faisait toujours un point d'honneur d'apparaître homme d'Etat volontaire au caractère trempé, même dans l'adversité la plus féroce. Mais c'était là le cri du désespoir de l'homme d'action orgueilleux, vaincu par l'ampleur titanesque de l'enjeu, défi d'une ampleur inégalée. En ce sens, comment ne pas rendre un hommage frémissant d'admiration à ce roi-ci, qui dans le discours dernier à l'occasion de la célébration du déclenchement le 20 août 1953 de la Révolution du Roi et du Peuple, a eu le courage, l'audace et la témérité inouis d'en appeler solennellement au combat généralisé pour gagner la bataille (la Mère des batailles), qui enfin réconcilierait les Marocains avec leur institution juridique si gravement et de très longtemps saccagée, détruite. Qu'en est-il des chances réelles de voir cet appel pathétique compris et entendu ? Le scepticisme, ce grand ennemi de toute tentative d'évolution ou de réforme, n'aura-t-il pas raison en définitive de toute velléité de changement de quelque nature que ce soit. Pourtant, ce n'est pas une question que l'on peut jamais considérer comme subsidiaire ou marginale. Elle est essentielle pour la modernité et bien sûr pour la pérennisation de la démocratie bien comprise. Il ne s'agit pas d'une exagération dans la définition du diagnostic à propos du système général de la Justice au Maroc. Seule la télévision nationale nous sert, imperturbable, des reconstitutions de procès tellement lisses sur le modèle (copié) des fameux feuilletons américains où l'on voit juge, défendeur, avocat et autres témoins se livrer, avec précision et suspense, à une parfaite illustration du grand jeu de la recherche de la vérité. Avec cette différence que notre télévision offre aux téléspectateurs un spectacle réifié et artificiel, quelque chose d'insipide, surtout parce que les protagonistes donnent toujours l'impression de se livrer là à une gesticulation sans vie, étrangère à ce que le Marocain connaît de la pratique qui se déroule des deux côtés de la barre de nos tribunaux. Tout sue le factice au point que le petit écran semble décrire et parler d'une vue de l'esprit irréelle et idéelle, dont la trame se tisse par une illusion douce, dont la meilleure signification serait, si l'on jouait la générosité puérile et si l'on mettait de côté la médiocrité flagrante de la réalisation, qu'elle reflète assurément le désir profond et insistant de voir notre pays doté d'une armature et de structures judiciaires qui ne nous feraient pas trop honte. Les années se sont écoulées depuis l'indépendance, sans que rien de consistant et d'essentiel n'ait été entrepris pour mettre la justice à niveau, celui des attentes fondamentales d'un peuple qui, aujourd'hui, paraît tétanisé par l'ampleur d'un désastre institutionnel dans le domaine qui nous préoccupe ici. Qu'est-ce qui a été entrepris de concret, en effet, depuis cinquante et quelques années, et qui n'a pas été autre chose qu'une espèce de coruscante cosmétique, sertie des quiètes formules rhétoriques que l'on connaît. La principale réformette plutôt réussie a été de procéder à l'arabisation totale de la machine bureaucratique judiciaire, entraînant celle de la police, de la gendarmerie et d'autres services auxiliaires de genres approchants. Les séquelles nées de la division du Royaume en zones française, espagnole et internationale, ont été gommées pour que du Nord au Sud, il n'y ait plus qu'un seul tenant, en fait une extension mécanique de ce qui existait dans la portion centrale du Maroc naguère sous sujétion formellement protectorale française à tout le reste du pays. Mais elle fonctionne vaille que vaille, m'entends-je rétorquer quand j'y vais de ma litanie pleine de noirceur. Mais comment cela fonctionne-t-il en réalité et surtout pourquoi si mal ? Continuons la semaine prochaine, notre investigation A SUIVRE L'impuissance occidentale Mireille Duteil Le scénario est parfaitement huilé. Deux fois l'an, lorsque la date butoir pour imposer de nouvelles sanctions à l'Iran approche, les grandes puissances haussent le ton. La semaine passée, l'éventualité de frappes aériennes contre les sites nucléaires iraniens était de nouveaux dans l'air. Rien d'officiel certes. Mais un général américain a agité la menace et les Israéliens ne cachaient pas qu'ils ne laisseraient pas l'Iran de Mahmoud Ahmadinejad se doter de l'arme nucléaire. Ils frapperont avant que la république islamique ne sache fabriquer l'uranium hautement enrichi, à 93%, qui lui permettrait de fabriquer la matière fissile utilisée dans une bombe atomique. Dans les années 80, pour les mêmes raisons, ils avaient bombardé Osirak, le site nucléaire irakien. Israël affirme aujourd'hui que ce moment est proche en Iran. Une affirmation non partagée par l'ensemble de la communauté scientifique. Néanmoins, la crainte d'une éventuelle intervention israélienne était renforcée, le 7 septembre, par les rumeurs sur un voyage secret du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, en Russie. Un voyage - vrai ou faux - dévoilé après les déclarations sur le rôle joué par Israël pour mettre fin à la mystérieuse épopée du cargo Artic Sea supposé transporter des missiles anti-aériens S300 à destination de l'Iran. Benyamin Netanyahou serait-il allé demander à Vladimir Poutine de ne pas livrer ces missiles? Israël dit craindre que, disposés autour des sites nucléaires, ils ne rendent leurs bombardements plus dangereux. Netanyahou est-il allé avertir son homologue russe (Israël entretient d'excellentes relations avec la Russie) de l'éventualité de prochaines frappes militaires ? Réalité ? Ecran de fumée? Dans ce jeu du chat et de la souris entre la république islamique et les Occidentaux, les seconds n'ont pas toutes les cartes en main. Américains et Européens sont convaincus que la possession de l'arme atomique par les Iraniens entraînerait immédiatement une dissémination nucléaire parmi les pays de la région (Arabie Saoudite, Egypte, Turquie, Algérie ). Ce sera la fin de l'ordre international, fort injuste, mis en place au lendemain de la seconde Guerre mondiale et par lequel seuls cinq pays ont droit à l'atome à des fins militaires : Etats-Unis, Russie, Chine, France, Grande-Bretagne. Israël, le Pakistan et l'Inde, sont devenus clandestinement des puissances nucléaires. Une route que l'Iran, qui veut être reconnue comme une puissance régionale, semble avoir décidè de suivre, tout en affirmant enrichir l'uranium à des seules fins civiles. L'embarras des Occidentaux est donc grand. Comment faire changer d'avis une république islamique qui n'a fait que chausser les bottes de son impérial prédécesseur ? Depuis 2005, ils alternent la carotte -les pourparlers -et le bâton-trois séries de sanctions -pour amener Téhéran à suspendre son programme d'enrichissement d'uranium. Aujourd'hui, ils proposent de nouveau à l'Iran de se doter, sous contrôle international, d'une énergie nucléaire à des fins civiles et parallèlement de suspendre l'enrichissement d'uranium. Téhéran propose, elle, de «discuter du désarmement nucléaire mondial» mais estime non négociable son droit à enrichir l'uranium à des fins civiles. La rencontre, le 1er octobre, en Turquie (la première depuis janvier 2008), entre le négociateur iranien Saeed Jalili et les cinq membres du Conseil de sécurité (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Grande-Bretagne) plus l'Allemagne et l'UE, risque de tourner court. Que se passera-t-il alors ? L'Europe souhaite durcir les sanctions (un embargo sur les exportations de pétrole raffiné vers l'Iran) et les appliquer fin septembre. Barack Obama rechigne à ouvrir un nouveau front de crise et veut attendre la fin de l'année. La Chine et la Russie les refusent. Sans compter que Téhéran pourrait probablement faire contourner les nouvelles sanctions en se tournant encore plus résolument vers l'Asie à laquelle elle fournit déjà son brut. L'impuissance occidentale ressemble à une impasse.