Cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi 103-13 contre la violence faite aux femmes, l'association Tahadi pour l'égalité et la citoyenneté (ATEC) analyse son impact et dresse un bilan chiffré de son application. Dans un rapport de 150 pages, l'ATEC se penche sur les différentes formes de violence subites par les femmes, l'évolution du phénomène, les chiffres et les statistiques mais aussi les profils des victimes et des agresseurs. " C'est une étude qui tente d'annalyser le phénomène tout en évaluant l'impact de l'application de la loi 103-13. Ce rapport est également un moyen de diagnostiquer les failles légales et les procédures défaillantes du système de protection des femmes contre les différentes formes de la violence ", explique à L'Observateur du Maroc et d'Afrique, Bouchra Abdou directrice de l'ATEC. " Au delà de l'évaluation de la loi, l'association vise à enrichir le débat social à propos de la réforme du Code pénal et du Code de la famille à travers des cas pratiques et des situations directement tirées du terrain ", précise Abdou. Les chiffres L'étude de l'ATEC couvre la période allant de septembre 2018 à septembre 2023. Le recensement a touché 3829 victimes ayant fait appel au centre d'écoute Derb Ghallef et à l'Espace ployvalent CIEL à Casablanca. Par tranches d'âge, les jeunes femmes âgées entre 18 et 28 ans représentent 23% des victimes. "Cette catégorie reste la plus touchée par la violence complexe physique, psychique et sexuelle ", note les auteurs du rapport. Les femmes âgées entre 29 et 38 ans, représentent 36% des cas et constituent la catégorie la plus "courageuse" en osant dénoncer leurs agresseurs. Relativement moins exposées à la violence physique, les femmes âgées entre 39 et 48 ans représentent 26 % des cas mais restent cependant plus touchées par la violence psychique. Fait choquant : Même les femmes âgées de plus de 60 ans ne sont pas épargnées même si avec des proportions moins importantes 3%. Ces dernières sont celles qui gardent le plus le silence et dénoncent le moins leurs agresseurs. Profilage D'après le rapport, la violence ne fait pas de distinction selon le milieu ou la nature de l'habitat. "Cependant on a remarqué que le phénomène sévit plus dans les milieux indépendants où la victime et son agresseur vivent retranchés de leurs proches ". Décodage ? Parmi les 2659 survivantes à la violence, 1822 victimes vivaient dans un logement indépendant, 432 avec la famille, 258 avec la famille du mari et 147 avec la famille de l'épouse. Le rapport nous apprend également que plus le niveau d'instruction de la femme est élevé moins elle s'expose à la violence. Ainsi 25% des victimes ont un niveau primaire, 24% préparatoire, 18% secondaire et 10% universitaire. Si les femms aux foyers représentent 49% des victimes, 15% d'entre elles travaillent dans le secteur informel, 10% dans le secteur privé, 3% sont des entrepreneuses indépendantes et 2% des fonctionnaires. Conclusion ? " Le risque de subir la violence pour une femme augmente avec sa vulnérabilité économique ", déduit-on dans le rapport. Violence conjugale Par situation matrimoniale, le rapport reste sans appel. Le mariage serait un facteur de risque si l'on prend en considération les chiffres avancés par l'ATEC. Ainsi 70% des victimes sont des femmes mariées. 12% des divorcées; 10% des mères célibataires, 7% des femmes célibataires et moins de 1% vivant en concubinage. " La violence conjugale reste l'une des formes les plus répandues doublée de la violence légale obligeant cette catégorie à se réfugier auprès des associations telles l'ATEC en quête de soutien et d'orientation", note Bouchra Abdou. Cette dernière attire l'attention également sur le phénomène du viol conjugal qui a enregistré une évolution alarmante durant ces cinq dernières années. Les agresseurs Dans ce même sens le rapport nous apprend que la plupart des agresseurs sont des proches de la femme. Le mari vient en tête dans 66.4% des cas, suivi du boyfriend, puis de l'ex mari et en dernier lieu l'un des membres de la famille. 98% des agresseurs sont des Marocains. Le reste sont des étrangers notamment des Turcs, des citoyens du Golfe, des Egyptiens ou des subsahariens. Par âge, la catégorie de 39 à 48 ans reste la plus agressive avec 31% des violences suivie par les 29 à 38 ans avec 27% des cas. Les plus de 60 ans et moins de 18 ans sont beaucoup moins portés sur la violence avec respectivement 7% et 1% des cas. Autre facteur significatif : Le niveau d'instruction. Selon le rapport, moins les hommes sont instruits, plus ils sont violents: 28% des agresseurs ont quitté l'école au primaire tandis que 10% ont un niveau universitaire. En termes professionnels, comme les femmes fonctionnaires qui sont les moins agressées, les hommes fonctionnaires restent les moins violents avec un pourcentage de 6% des cas. Les formes de violence La violence psychique reste la forme la plus répandue avec 97% des cas. Une violence qui se croise souvent avec les autres formes d'abus d'où cet important pourcentage, explique-t-on auprès de l'ATEC. La violence verbale, le mauvais traitement, la pression, les menaces, l'isolement de la femme de son entourage... sont autant de déclinaisons de l'enfer psychologique subi par les victimes, note les auteurs du rapport. " La violence économique représente 80%. Cette violence inclut les affaires de pension alimentaire et de négligence familiale (72%)", explique l'étude. Cette dernière note cependant l'abstinence des femmes de dénoncer les abus concernant la privation de l'héritage, l'usurpation du salaire par le mari ou encore la privation des pièces d'identité tels la CIN, le passeport. " Une situation qui perdure à cause du vide légal et de l'absence de lois incriminant de tels actes", dénonce l'ATEC. Féminicide Toujours selon le rapport la violence physique représente 52% des cas avec la prévalence des coups et blessures. " Nous constatons cependant l'évolution alarmante des féminicides, des tentatives de meurtre contre les femmes et des séquestrations qui ont enregistré une évolution de plus de 20% ces dernières années", alerte la directrice de l'ATEC. " La violence légale se décline sous différentes formes du mariage des mineures à la polygamie en passant par la garde des enfants qui tombe au mariage de la mère; la tutelle ou encore la filiation... " énumère le rapport. Autre chiffre inquiétant, celui de la violence sexuelle qui représente 24% des cas. Dans cette catégorie, le viol (dont celui conjugal) arrive en tête avec 74% des agressions suivi des tentatives de viol et de l'harcèlement sexuel. Recommandations S'adressant au législateur, l'ATEC réclame la révision intégrale de la loi 103-13 en urgence pour protéger les femmes des violences aussi bien dans l'espace public, privé ou numérique. " Commencer par les définitions claires et précises de toutes les formes de violence afin d'éviter les mauvaises interprétations et autres "détournements", et définir aussi les responsabilités de tous les intervenants des actions de lutte anti-violence contre les femmes" recommande le rapport. " La loi doit aussi spécifier les mesures adéquates et précises permettant aux autorités concernées de déclencher les enquêtes, sanctionner les agresseurs et réparer les préjudices subis par les victimes. Elargir le champ d'action des cellules de prise en charge des femmes violentées pour inclure le millieu professionnel ", réclame l'ATEC. L'association a par ailleurs consacré deux importants chapitres à la violence numérique et la violence contre les femmes durant les crises et les catastrophes (Covid-19 et Séisme d'Al Haouz) que L'Observateur du Maroc et d'Afrique traitera dans un autre article consacré à ce rapport. A suivre !