«Les Libertés fondamentales au Maroc : Propositions de réformes», c'est l'intitulé choisi pour l'ouvrage édité en arabe et traduit en français par les Editions Le Fennec. Réunissant le fruit des réflexions d'un groupe de travail constitué en 2022, le document a été élaboré par huit personnalités et intellectuels aux profils complémentaires, comme le note un communiqué des éditions le Fennec. Asma Lamrabet, Yasmina Baddou, Monique Elgrichi, Khadija El Amrani, Driss Benhima, Chafik Chraïbi, Mohamed Gaïzi et Jalil Benabbés-Taarji sont les auteurs de cette proposition audacieuse de réforme visant le renforcement des libertés fondamentales au Maroc. Une refonte qui devrait commencer par la révision du code de la famille et son adaptation à la réalité actuelle comme le soutient le collectif. « Le principal levier vers toute amélioration des conditions de la vie matérielle et immatérielle d'une société et d'une nation sont des citoyens et citoyennes marocains démocrates, libres, éclairés et dotés d'une conscience critique et rationnelle capable de produire des richesses et des idées innovantes», estiment les auteurs qui malgré leur propositions audacieuses ne veulent nullement être en rupture avec « la culture et les traditions ». Avis des Oulémas « Cette publication a pour objectif de se positionner à l'intérieur des valeurs universelles de tolérance et du juste milieu portées par l'Islam marocain et s'inscrit ainsi comme une contribution au débat national », précise-t-on auprès du collectif. Toujours dans ce sens, les membres du collectif affirment avoir consulté des Oulémas marocains pour recueillir leurs avis sur les questions « délicates » tels l'héritage, le divorce, l'avortement ou encore le mariage des mineurs. Une démarche plutôt prudente de la part de ces intellectuels afin d'éviter une éventuelle levée de bouclier anti-réforme. « Les questions soulevées sont une étape importante pour la réforme et doivent être sujettes à discussion et à révision. Les efforts doivent être intensifiés afin d'y remédier et de trouver de solutions en passant, s'il y a lieu, par la création d'une cellule de concertation afin d'élaborer une pensée réfléchie, sereine et pragmatique qui transcende les différents imaginaires», répondent les Oulémas à la requête du collectif. Liberté de culte Droit essentiel selon le collectif, la liberté de culte, de conscience et de religion, n'a pas été traitée par la Constitution 2011 alors que c'est une liberté fondamentale. Le collectif propose de ce fait l'amendement de l'article 3. Ce dernier stipule que l'Islam est la religion de l'Etat. La proposition du collectif se présente autrement : « La religion de la majorité des Marocains est l'Islam, dont le garant est Amir Al Mouminine qui garantit à toutes et à tous le libre exercice des religions, de cultes et la liberté de conscience ». Une proposition approuvée par ailleurs par les oulémas consultés qui estiment que « Le Coran a définitivement réglé ce problème en reconnaissant la liberté de croyance et le respect du choix de la religion ». Un héritage plus équitable Reconnaissant les rôles de plus en importants joués par la femme marocaine dans la vie familiale et active, le collectif estime qu'une équité homme-femme en héritage s'impose. Traitant cette question avec prudence, comme le reconnaissent les membres du collectif, ce dernier propose cependant des amendements susceptibles d'insuffler le changement sans brusquer les mentalités. Soucieux de protéger les droits des héritières filles, le collectif s'intéresse en particulier au «Taâssib» (héritage par agnat) et au testament. Il recommande d'adopter l'usage préalable du testament dans l'héritage avant tout partage. « Le testateur fera ainsi à ses héritiers, filles ou garçons ou autres, un testament leur léguant jusqu'au tiers de son héritage, selon sa propre volonté et sans l'approbation de quiconque. À noter que la manière de régir le testament permettrait au testeur qui le désire de léguer à ses filles, par testament, la quote-part de son héritage juste nécessaire pour équilibrer le partage entre filles et garçons », propose le collectif. Partage du patrimoine Toujours dans cet esprit d'équité, le collectif s'attaque à la question épineuse du partage du patrimoine matrimoniale. « Quand la femme a fourni des efforts considérables et travaillé avec acharnement durant de longues années de labour pour construire et fructifier le patrimoine du couple, elle s'en trouve démunie après la mort du mari. Elle n'héritera que la part réservée à une femme qui n'a eu aucune contribution dans la production du patrimoine familial », constate le collectif qui appelle à l'amendement de l'article 49 du code de la famille. « C'est l'équivalent du partage du patrimoine qui doit être écrit sur un autre contrat à part et signé par les deux conjoints. La référence est présente dans la Moudawana, mais non appliquée par méconnaissance ou réticence des Adouls. Ces deniers doivent systématiquement rappeler ce droit aux futurs mariés », recommandent les membres du collectif. Mariage des mineurs Malgré son interdiction par la loi depuis 2004, le mariage des mineurs continue de sévir à cause des dérogations prévues par la moudawana et des milliers de filles se trouvent donc mariées avant l'âge de 18 ans. Constatant cet état de lieu, le collectif en appelle « tout simplement à abolir ces dérogations exceptionnelles qui deviennent très courantes ». D'après ce dernier, il faut adopter un nouvel article de la Moudawana, qui donne le droit au mineur marié contre sa volonté, une fois arrivé à l'âge adulte, d'attaquer en justice celui qui l'a obligé de se marier qu'il soit père, mère ou autre. Père/mère : Les mêmes droits Divorce, garde des enfants et droits des deux parents... le collectif tente de trouver une solution garante de l'intérêt suprême de l'enfant tout en préservant les droits du père et de la mère et à parts égales. « Il faut donner la possibilité dans le cadre de la procédure légale de divorce de mettre en place une garde partagée, applicable tant à la mère, qu'au père et, d'autre part, étendre le droit de visite à plus d'un jour par semaine lorsque le choix s'est porté sur la garde exclusive de la mère», indique le collectif. « En cas de remariage de la mère gardienne, nous proposons que la même possibilité soit ouverte au père pour demander la garde alternée. Il convient de préciser que les articles 173 et 175 du Code de la famille doivent être remplacés par des articles, qui permettraient à la femme remariée après le divorce de bénéficier de la garde partagée et prévoir entre autres, une définition plus précise des conditions de garde », propose le collectif. La problématique de la Tutelle Au Maroc, la tutelle légale est systématiquement attribuée au père des enfants. « Cela pose des problèmes administratifs rocambolesques à la mère qui garde les enfants notamment au niveau de leur scolarité et de voyage hors des territoires marocains », constate-t-on auprès du collectif. Solution à proposer ? « Abolir l'article 231 » tranche le collectif. D'après ce dernier, la tutelle légale devrait être fondée sur l'égalité. Les décisions administratives doivent être prises avec le consentement des parents ensemble, et à défaut de quoi, la décision finale revient à la partie gardienne. Relations sexuelles hors mariage Si selon la loi marocaine, les seules relations sexuelles légitimes sont celles inscrites dans le cadre du mariage, dans la réalité il en est autrement, estiment les membres du collectif. « Les relations sexuelles entre adultes consentants ont lieu dans notre société et sans que cela ne porte préjudice à quiconque » constatent-ils. « Ces relations ne peuvent être interdites selon les principes des libertés individuelles universelles qui donnent le droit à tout citoyen de disposer librement de son propre corps », insistent-ils. Tentant de trouver un compromis entre la loi actuelle et le droit de chacun de jouir de sa liberté individuelle, le collectif propose d'adopter des peines financières sans emprisonnement. « Toute relation entre un homme et une femme adultes consentants dont l'un est marié donne de fait le droit au conjoint «trahi» la possibilité de divorcer éventuellement dans des conditions juridiques et matérielles préservant les pleins droits de ce dernier et ses enfants » détaille le collectif. Quant à la problématique de la paternité, le collectif estime que « Tout acte entre adultes consentants impose à l'homme en tant que père biologique, la reconnaissance de sa progéniture indépendamment de son statut ». Avortement autorisé avant 12 semaines Au Maroc, entre 500 et 800 avortements sont pratiquées tous les jours dans l'illégalité. Une situation qui met en danger la vie de milliers de filles et de femmes obligées de se faire avorter dans la clandestinité et dans des conditions désastreuses. Le responsable de ce drame ? Une interdiction légale longtemps dénoncée par les activistes féministes et ceux des droits humains. Selon la proposition du collectif, l'avortement médical ne doit pas être interdit par la loi quand il est pratiqué sur un embryon qui n'a pas dépassé 12 semaines, s'il est pratiqué par un médecin ou un chirurgien et lorsqu'il vise à sauver la vie ou la santé physique ou mentale de la mère.