« Nous avons tiré la sonnette d'alarme à plusieurs reprises. Cinq années après l'entrée en vigueur du code de la famille, nous l'avons fait, puis, à la commémoration de sa première décennie, nous l'avons relancé en organisant un forum ». La présidente de l'association Union de l'action féministe (UAF), l'avocate Aïcha Loukhmas, estime, dans une déclaration au HuffPost Maroc, que la moudawana n'a pas atteint son véritable objectif: garantir à la famille stabilité et équilibre. « En réalité, la moudawana a octroyé à la femme peu de droits à valeur plutôt morale que matérielle. Son statut au sein de la famille ne s'est pas du tout amélioré », constate Aïcha Loukhmas, militante acharnée pour les droits de la femme. Pour elle, l'unique avantage que la moudawana a accordé à la femme réside dans le divorce pour raison de discorde (Chiqaq). « Avant, il était presque impossible que la femme puisse divorcer si son conjoint n'était pas d'accord. Les femmes pouvaient souffrir de toutes les violences conjugales imaginables, mais n'avaient pas le droit de quitter légalement leur mari. La moudawana a rendu cela possible. C'est un grand gain que représente le divorce pour le Chiqaq », reconnaît l'avocate, soulignant que le temps est venu d'aller de l'avant. L'UAF veut ainsi lancer un appel pour la révision du code de la famille dans sa globalité pour le mettre en adéquation avec le principe de l'équité des droits. Pour présenter ses arguments, l'association compte organiser une conférence, samedi 24 février à Rabat. Elle y a invité des chercheurs et des juristes impliqués dans le domaine, pour débattre des questions liées au code de la famille et sortir avec un mémorandum réunissant des recommandations pour une révision globale du texte. Failles « Nous allons d'abord présenter, à l'occasion, une étude que nous avons élaborée sur l'application de la moudawana. Nous y évoquons les différentes failles que nous avons diagnostiquées à travers les différents articles du code de la famille », annonce l'avocate Aïcha Loukhmas. Des failles dont la première réside, pour cette militante, dans le fait que la femme n'est pas reconnue par la moudawana comme tuteur légal de ses propres enfants. « Cela nuit énormément aux enfants. A titre d'exemple, lorsqu'une femme divorcée, qui a pourtant le droit de garde de ses enfants, a besoin de faire un passeport à ses derniers, pour effectuer un voyage, elle doit demander l'autorisation du père. S'il refuse, pas de passeport! », s'indigne la militante, estimant qu'il s'agit là d'une aberration. Des cas comme celui-là, l'avocate en a rencontré plusieurs dans son cabinet, dans les tribunaux et au centre d'écoute Annajda d'aide aux femmes victimes de la violence qu'elle dirige. « Tous les jours, nous recevons des femmes qui souffrent le martyre pour cause des failles de la moudawana. Imaginez qu'une femme renvoyée du domicile conjugal avec ses enfants par son propre mari se trouve obligée de vivre chez une de ses connaissances à des centaines de kilomètres. Mais elle ne peut pas transférer ses enfants d'une école à une autre sans l'autorisation du père. De nombreux enfants sont déscolarisés à cause de ce genre de cas », déplore Aïcha Loukhmas, faisant remarquer que ce cas de figure représente une violation de l'article 54 de la moudawana stipulant la préservation des droits des enfants. Ces cas et d'autres, l'étude que présentera l'UAF en fait une référence pour se pencher sur les difficultés d'exécution de certains articles. Plusieurs questions seront débattues notamment l'héritage, le mariage des mineures et le partage des biens. Dans son diagnostic, l'UAF fait état de l'augmentation des cas de mariages de mineures. « C'est une honte! Alors que le mariage des mineures représentait 8%, il est passé à 12% après l'entrée en vigueur de la moudawana », s'insurge la militante. Et de préciser que la tranche d'âge la plus touchée reste celle des filles de 14 à 16 ans. « Elles sont violées légalement. Elles sont souvent victimes du viol conjugal, mais ce dernier n'est pas reconnu. Il faut éliminer l'exception qu'accorde la moudawana dans ses articles 20 et 21 et sanctionner sévèrement les tuteurs qui marient leurs filles mineures par la voie de la Fatiha », assure-t-elle. « Les enfants devront être mieux protégés » Une révision de fond en comble de la moudawana impose aussi, selon Aïcha Loukhmas, la nécessité d'interdire catégoriquement le droit à la polygamie, de réviser entièrement le chapitre 6 du code de la famille, lié à l'héritage, et de réviser le mode de calcul des pensions alimentaires en cas de divorce. « La mère doit aussi être dotée du statut de tuteur légal de ses enfants au même titre que le père. Les enfants, eux, devront être mieux protégés notamment par l'application des conventions internationales ratifiées par le Maroc », ajoute la présidente de l'UAF. Et de préciser que, pour les enfants de parents divorcés, les visites prévues au père doivent être mieux organisées et permettre le recours à des procédures d'urgence auprès des juges de la famille. Par ailleurs, l'UAF a aussi prévu d'organiser un procès symbolique contre la féminisation de la pauvreté. Pour cause, l'association estime qu'il s'agit d'un fléau qui prend de l'ampleur au Maroc: le drame d'Essaouira, de Tanger, de Bab Sebta... « Souvent, le mariage devient aussi un moyen d'appauvrissement de la femme lorsqu'elle est obligée de nourrir ses enfants, seule, parce que le conjoint ne travaille pas ou refuse de payer la pension alimentaire », tient à faire remarquer l'avocate. La révision de la moudawana est une question que le gouvernement n'exclut pas de son agenda. C'est en tout cas ce qu'avait déclaré le chef du gouvernement, Saad-Eddine El Othmani, mercredi 27 décembre, à la Chambre des conseillers, affirmant qu'il n'avait aucune objection sur la révision du code de la famille de façon à faire évoluer les droits de la femme.