Entretien Bouchra Abdou, Directrice générale de l'association Tahadi pour l'égalité et la citoyenneté (ATEC) L'Observateur du Maroc et d'Afrique : Comment est née l'idée de la création du Collectif féminin pour un Code de la famille basé sur l'égalité et la dignité ? Bouchra Abdou : A l'ATEC nous avons organisé jusqu'à maintenant deux rencontres nationales axées sur la Moudawana. Nous avons également élaboré un mémorandum sur sa réforme avec un nombre de revendications pour sa mise à jour et son adaptation à la nouvelle réalité sociale dans notre pays. De part ces rencontres, l'idée est née de travailler d'une manière collective avec une dizaine d'associations féministes locales œuvrant pour la protection des droits des femmes et des enfants dans plusieurs villes du Royaume. L'Objectif étant d'élaborer un projet de réforme, un mémorandum commun réunissant leurs différentes visions et propositions. Un point très important vu que ces associations de proximité travaillent sur le terrain au plus près des femmes victimes de violence légale. C'est ainsi que le Collectif a vu le jour pour unir nos efforts et porter ensemble un seul plaidoyer pour une Moudawana équitable, égalitaire et respectueuse de la dignité des femmes, des enfants et des hommes aussi. Quels sont les objectifs de ce collectif ? Vous avez déjà élaboré des propositions précises de refonte du Code de la famille ? Effectivement, l'objectif premier du collectif reste la proposition et la formulation des réformes et des révisions à prévoir dans le code de la famille actuel. A commencer par l'interdiction catégorique et définitive du mariage des mineures. Plus aucune dérogation et l'abolition de l'article 20 ouvrant la porte au mariage précoce des jeunes filles âgées de moins de 18 ans. La deuxième proposition concerne la reconnaissance de la filiation paternelle qui devrait dorénavant s'appuyer uniquement sur l'expertise génétique via l'ADN. Ce qui est la seule manière de protéger les droits et la dignité des enfants nés hors mariage, d'un viol ou encore victimes d'un père démissionnaire. Nous réclamons également l'interdiction catégorique et sans dérogations possibles de la polygamie et le maintien des seuls divorces : par « commun accord » et celui du « chikak ». Les autres types sont devenus obsolètes et ne servent finalement qu'à compliquer les procédures. Qu'en est-il de la problématique de la tutelle légale et de la pension alimentaire des enfants du divorce ? Ce sont là deux problématiques qui sont au centre de notre plaidoyer car à l'origine de beaucoup d'injustice envers les femmes divorcées, de leurs enfants et parfois même envers les époux. Ainsi nous réclamons que la mère ayant la garde des enfants après le divorce ait également leur tutelle légale. C'est la seule manière de préserver l'intérêt suprême des enfants et de protéger leurs droits. Notre travail sur le terrain auprès de ces mères nous rapproche de leur souffrance d'une injustice légale et juridique impactant négativement la vie et l'avenir de leurs enfants. Certains quittent l'école, d'autres se voient priver de leur droit au voyage ou même d'élaborer des documents administratifs à cause d'une loi injuste et inadaptée. Même constat concernant la pension alimentaire dont les montants restent bien au dessous des besoins des enfants (scolarisation, hébergement, alimentation, soins médicaux...). Nous plaidons pour la révision des barèmes appliqués, le prélèvement de la pension à la source et la hausse des montants octroyés par la Caisse d'entraide familiale. Au collectif, nous croyons que les femmes actives ou aisées devraient également verser la moitié de la pension alimentaire. Si elles ont toutefois la garde, ce pourcentage doit être revu à la baisse car étant en charge des enfants. Le collectif plaide pour une véritable égalité allant dans les deux sens et pour les droits aussi bien des femmes que des hommes. N'oublions pas non plus l'épineuse question du remariage de la mère ayant la garde et qui se voit priver de ses enfants car jouissant d'un droit naturel. Cette loi doit absolument être abolie car anticonstitutionnelle et ségrégationniste. Vos propositions vont au-delà de la réforme des lois pour tenter de changer les mentalités. Comment vous comptez vous y prendre ? Justement, dans notre plaidoyer nous visons la refonte du code de la famille mais également le changement des mentalités que ça soit chez les hommes ou les femmes. Les propositions concernant la responsabilité des mères quand il s'agit de la pension alimentaire et l'égalité des devoirs financiers entre père et mère en est un éloquent exemple. Il est temps de changer soi même si on réclame le changement de l'autre. A travers les actions de proximité des associations affiliées au Collectif nous visons justement le déclenchement du changement des mentalités à travers des ateliers, des rencontres et des actions de sensibilisation auprès des citoyens dans les quartiers. C'est ainsi que l'on prépare le terrain à l'avènement de nouvelles lois plus égalitaires et plus respectueuses de la dignité de chacun. Quelle sera la stratégie de plaidoyer du collectif ? Au Collectif, nous portons tous ce plaidoyer pour l'égalité que ça soit sur le terrain auprès des citoyens ou auprès des acteurs et décideurs politiques en particulier les partis politiques qu'ils soient dans l'opposition ou la majorité. Vers la fin de ce mois de janvier, nous aurons préparé le plaidoyer définitif. Nous allons ensuite organiser différentes rencontres, à partir de février, dans les deux chambres du parlement avec la présence des représentants des associations affiliées. L'objectif étant de plaider pour la cause des femmes et des enfants, expliquer les réformes et recueillir les réactions tout en enrôlant les politiques pour booster le changement.