Ces vingt dernières années, le Maroc a énormément changé. De même que les mentalités et les besoins de la société. Les femmes ont acquis un peu plus de droits et leurs conditions de vie ont changé. Malgré cela, des failles ont surgi pour nous rappeler qu'il y a toujours des femmes privées de plusieurs de leurs droits à cause justement de lois devenues aujourd'hui « caduques« . Au début des années 2000, des voix féminines se sont élevées demandant une réforme du Code de la famille pour permettre aux femmes d'acquérir plus de droits. Une persistance et une volonté de changement sont ainsi apparues faisant pression sur le législateur et les politiques. Mais c'est le Roi Mohammed VI qui a impulsé cette réforme du Code de la famille donnant naissance à la Moudawana de 2004 qui a été accueillie avec joie et surtout avec espoir d'un lendemain meilleur pour les femmes et la famille. Ainsi, la Moudawana de 2004 a permis aux femmes de demander (et d'obtenir) le divorce, ce qui n'était pas le cas avant, de conserver le domicile familial (si elle obtient la garde de ses enfants), de transmettre sa nationalité à ses enfants (une loi autorisée par le Roi Mohammed VI en 2006) ou encore de fixer l'âge minimum légal de mariage à 18 ans au lieu de 15 ans. Autant de droits qui, en 2021, semblent logiques et normaux. Mais l'évolution de notre société a montré que le Code de la famille, tel qu'il est conçu actuellement, fait limite abstraction de plusieurs questions liées à l'enfant. Maitre Khadija Amrani, présidente de l'Association de protection de l'enfance « W-lady » et avocate au barreau de Casablanca, soulève justement la question de la place de l'enfant dans la Moudawana de 2004 qu'elle considère comme « obsolète » à plusieurs niveaux que ce soit sur la question de la filiation, de la tutelle légale, de la garde des enfants, du droit de visite ou encore sur la question de la pension alimentaire. En effet, Me Khadija Amrani avance dans une déclaration à Hespress Fr, que les incidences législatives et judiciaires du divorce sur l'enfant sont incompréhensibles. « On a beau dire que l'intérêt de l'enfant est préservé grâce à la Moudawana, mais c'est faux. Il s'agit d'une Moudawana qui n'est pas du tout dans l'intérêt de l'enfant », estime l'avocate. Garde des enfants 17 ans après la Moudawana de 2004, 100.000 divorces par an ont été enregistrés en moyenne à en croire les dernières données du ministère de la Justice. « Et ça fait beaucoup d'enfants qui aujourd'hui souffrent de beaucoup de problèmes« , souligne la militante. En cas de divorce, et selon le Code de la famille article 171, « la garde est confiée en premier lieu à la mère, puis au père, et puis à la grand-mère maternelle de l'enfant. À défaut, le tribunal décide, en fonction des présomptions dont il dispose, et toujours dans l'intérêt de l'enfant, d'attribuer la garde à l'un des proches parents les plus aptes à l'assumer …« . En cas de désaccord entre le père et la mère, l'article 182 du même Code stipule que « le tribunal fixe, dans la décision accordant la garde, les périodes de visite et en précise le temps et le lieu de manière à prévenir …« . Sur ce point, Me Amrani avance que, justement à cause de cette loi, les enfants se retrouvent automatiquement privés de leurs parents, avec un droit de visite qui ne dépasse pas un jour par semaine. Dans l'optique d'une réforme de la Moudawana, il faut d'une part, selon la juriste, « donner la possibilité dans le cadre de la procédure légale de divorce de mettre en place une garde partagée, applicable tant à la mère qu'au père, et d'autre part, étendre le droit de visite à plus d'un jour par semaine lorsque le choix s'est porté sur la garde exclusive à la mère« . Le principe étant de permettre à l'enfant de bénéficier de ses deux parents malgré leur divorce, nous dit elle. Lorsque la mère se remarie après un divorce, elle perd automatiquement la garde de ses enfants contrairement au père qui lui la conserve. Dans ce sens, Me Amrani estime que les articles 173 et 175 du Code de la famille doivent être remplacés par des articles qui permettraient à la mère remariée de bénéficier de la garde partagée, et prévoir entre autres, une définition plus précise des conditions de garde. « L'article 173 prévoit dans les conditions de dévolution de la garde, la rectitude et l'honnêteté, lesquelles dans un cadre jurisprudentiel ont été remises en question sur un simple PV d'huissier de justice pour des condamnations de déchéance de la garde. Ce qui implique une réforme imminente de la Moudawana« , fait noter l'avocate qui estime que le fait que la maman soit privée de la garde de ses enfants si elle se remarie est « anticonstitutionnel puisque la constitution, dans son article 19, stipule que toute loi inégalitaire est non constitutionnelle ». Pension alimentaire Dans ce volet, Me Amrani avance le besoin d'une réforme qui préciserait la somme de la pension alimentaire, afin qu'elle soit proportionnelle au revenu des parents, en prévoyant un pourcentage sur le revenu. En laissant le calcul de la pension alimentaire à l'appréciation du juge, « on se retrouve avec des pensions alimentaires de 300 dhs par mois », déplore notre interlocutrice. « Actuellement les pensions alimentaires ne prévoient pas les frais de scolarité. Il faudrait également prévoir qu'en cas de garde partagée, la pension soit divisée par deux« , propose Me Amrani. Et pourquoi pas, selon elle, prévoir une barémisation de ladite pension alimentaire. Tutelle légale Dans le Code de la famille, le législateur a prévu que la garde soit accordée à la mère, tandis que l'institution du tutorat légal étant réservée au père. Il s'agit d'une répartition « totalement désuète », estime l'avocate. Et on entend par la tutelle légale, toutes les prises de décision concernant l'enfant, qu'elles soient d'ordre administratif (sortie du territoire, etc), scolaire, sanitaire ou encore patrimonial. Et dès lors que les parents divorcent, chacun des ex-époux devient tributaire de l'autre quant aux décisions très stratégiques de la vie d'un enfant. Ainsi, et avec le nombre de divorces qui augmente, il devient impératif, selon Me Amrani, de demander une abrogation de cet article et instaurée en lieu et place, une co-tutelle légale, afin que les deux parents deviennent représentants légaux de l'enfant, dont l'intérêt suprême doit prévaloir dans tous les textes de loi de la Moudawana. Filiation Pour la juriste, il y a en moyenne 200 enfants par jour qui naissent d'une relation hors mariage. Or, la Cour de Cassation a tranché que « l'enfant illégitime né en dehors des liens du mariage ne peut être lié à son père biologique, ni par la filiation parentale, ni par la filiation paternelle ». Une décision de justice qui considère, poursuit l'avocate, « l'existence d'un test ADN établissant un lien biologique comme insuffisant pour établir aussi bien la filiation parentale que la filiation paternelle ». Et l'enfant devient « le fruit d'un dommage collatéral, d'un délit commis par ses parents, celui de la violation de l'article 490 du Code pénal« . Ainsi, et pour donner à l'enfant son droit légitime à la « dignité », Me Amrani propose la réforme de l'article 148 de la Moudawana, pour « permettre dans le cas où le lien biologique est prouvé, notamment par la présentation d'un test ADN positif, que la filiation du père soit reconnue, indépendamment du fait qu'il y ait un lien matrimonial entre les deux parents« . « Il faut donc prévoir la responsabilité du père par filiation biologique, et faire en sorte qu'il soit acculé à la reconnaissance de son enfant. Il s'agit plus globalement de demander une équité face au devoir parental » conclut l'avocate sur ce point.