Conformément à l'article 174 du Code de la famille au Maroc, un homme divorcé peut saisir la justice contre son ex-épouse pour lui faire perdre la garde des enfants, si cette femme décide de se remarier. Depuis 2011, la Constitution marocaine reconnaît l'égalité homme-femme en droit, dans son article 19. Mais ce n'est pas pour autant que toutes les lois inégalitaires ont été abrogées ou reconnues inconstitutionnelles. Les exemples sont multiples : du droit successoral à la parité salariale. Une autre illustration de cette inégalité de fait et de droit est l'article 174 du Code de la famille. En effet, celui-ci rend possible l'annulation de la garde des enfants à une mère, en cas de divorce, si son ex-conjoint l'accuse de relation hors-mariage ou si elle se remarie. Nouvellement créée, l'association W-Lady fait de l'abrogation de ce texte son combat majeur, à partir du parcours personnel de sa présidente-fondatrice, Khadija El Amrani. Une expérience personnelle devenue un combat associatif Egalement avocate au barreau de Casablanca, Khadija El Amrani explique à Yabiladi avoir créé cette ONG sur la base d'«une expérience vécue en 2017». Cette année-là et après douze ans de vie avec ses enfants, elle a perdu la garde par décision de justice, «en première instance puis en appel», son ex-époux n'acceptant pas qu'elle se marie une nouvelle fois. «Le père a également essayé de m'enlever le droit de visite et ma colère est devenue telle que j'ai décidé de créer cette association», nous confie-t-elle. Khadija El Amrani explique que son combat part du principe que «la présence d'un père est importante pour ses enfants, mais au même titre que celle de la mère», sur la base de «la garde partagée qu'il est inconcevable de ne pas reconnaître». Après avoir «écrit au roi» sans obtenir justice, l'avocate compte mener une bataille juridique avec comme objectif de «faire déclarer l'inconstitutionnalité de l'article 174 du Code de la famille, en allant jusqu'au Conseil constitutionnel». «Le Code de la famille a été une réforme royale de 2004 qui m'a permis de divorcer à travers une procédure de Chiqaq, mais je tiens à ce que cet article ne me prive pas de mes enfants», nous dit-elle. Un article qui met les mères divorcées entre deux feux Pour nombre d'acteurs associatifs, l'article 174 représente l'une des inégalités les plus flagrantes qui s'appliquent encore en conformité avec la justice, même lorsque les réformes constitutionnalisent l'égalité dans le droit. Pour la directrice de l'Association Tahadi pour l'égalité et la citoyenneté, Bouchra Abdou, ces dispositions engendrent en effet «des problématiques multiples». «Littéralement, ce texte met les femmes entre deux feux lorsqu'elles décident de refaire leurs vies après un divorce : la loi les oblige à choisir entre leurs enfants et leur second époux», nous déclare la militante, qui plaide pour «une garde respectueuse de l'intérêt supérieur de l'enfant». Dans ce sens, Bouchra Abdou dénonce des dispositions asymétriques. «La loi impose cette garde à la mère, même lorsque cette dernière a des difficultés, souvent financières, à garantir l'épanouissement de ses enfants et que la pension ne suffit pas à cet effet. Par ailleurs, elle ne peut pas voyager avec ses enfants ou les transférer d'une école à l'autre, si leur père y fait objection, abstraction faite de leur intérêt supérieur dans ce cas-là. Autrement dit, on octroie la garde aux femmes sans leur conférer les droits qui vont avec et on la leur enlève dès qu'elles décident d'avoir une nouvelle vie.» Bouchra Abdou Par ailleurs, Bouchra Abdou conteste «une forme de chantage auquel recourent les ex-maris dans certains cas, notamment pour des raisons économiques, puisque la perte de la garde par la mère signifie l'exemption de la pension pour le père». Afin que les enfants ne subissent pas les conséquences des différends entre les deux parents, la directrice de l'association Tahadi appelle à ce que le Code de la famille «se base entièrement sur la Convention internationale relative aux droits des enfants (CIDE)». «Actuellement, un seul article de cette loi évoque ce traité et comme la pratique l'a prouvé, cela n'empêche pas que d'autres articles du même code soient applicables en contradiction avec les termes de la CIDE, sans parler de la Convention contre l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDEF)», dénonce encore la militante. L'intérêt supérieur de l'enfant en question Justement, Khadija El Amrani invoque nombre de dispositions nationales et internationales garantissant les droits de la famille, notamment en cas de divorce. Dans ce sens, la CIDE, que le Maroc a signée et avant de lever entièrement ses réserves, garantit l'intérêt supérieur de l'enfant «dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale» (article 3). Par ailleurs, l'article 7 prévoit le droit du mineur à «connaître ses parents et être élevé par eux» si son intérêt y est, ce qui n'est pas expressément garanti en application de l'article 174 du Code de la famille. Un autre cas rejoignant le plaidoyer de W-Lady est évoqué également dans l'article 8 de la CIDE. Conformément à celui-ci, les Etats signataires se doivent d'«accorder une assistance et une protection appropriées, pour que [l]'identité (de l'enfant, ndlr) soit rétablie aussi rapidement que possible», si privation des éléments constitutifs de celle-ci ou de certains d'entre eux, notamment du constituant familial en totalité ou en partie, est prouvée. Quant à l'article 9 du texte et sauf contradiction avec la notion de l'intérêt supérieur, il garantit à l'enfant séparé de ses deux parents ou de l'un d'eux d'«entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs» avec eux. De plus, le Protocole facultatif à la CIDE établissant une procédure de présentation de communications, signé par le Maroc en 2012, garantit «des mécanismes nationaux appropriés» via «l'accès à des recours utiles à l'échelon national» à tout enfant, si ses droits reconnus par la CIDE et les dispositions nationales ont été violés. En d'autres termes, ce mécanisme donne la possibilité à tout enfant d'ester en justice contre ses parents ou l'un d'eux, s'il se considère lésé par une situation qu'il vit auprès de l'un des géniteurs. Pour examiner l'ensemble des éléments susceptibles de renforcer son plaidoyer, l'association W-Lady, de son côté, prévoit notamment une rencontre à Casablanca, le 21 septembre prochain. «Nous allons réunir plus de 400 acteurs nationaux, internationaux et spécialistes de droit comparé des différents pays d'Afrique, afin de voir comment s'opère la garde des enfants à l'échelle continentale et comment cet échange peut renforcer une pratique de droit équitable pour les enfants et leurs mères», espère Khadija El Amrani.