Après une première jurisprudence en 2019 par la cour d'appel de Tanger, une autre juridiction marocaine, à El Jadida cette fois, reconnaît le viol conjugal. Un autre tabou tenace qui résiste encore aux tentatives de dénonciation et de changement. Par Hayat Kamal Idrissi
Serons-nous en train d'assister à une révolution socio-légale concernant le viol conjugal ? Longtemps passé sous silence, le phénomène qui fait beaucoup de victimes en toute impunité n'a jamais été reconnu auparavant comme étant un crime. Jusqu'à l'éclatement de cette affaire de viol conjugal à Larache, en décembre 2019. Une première
La cour d'appel de Tanger avait converti en sursis, les deux ans de prison fermes auxquelles a été condamné l'époux en première instance tout en reconnaissant le viol. Une première condamnation a été prononcée cependant sur la base de «violence conjugale » et non par de « viol conjugal » objet de la plainte déposée par l'épouse. Malgré le remplacement de la prison ferme par un sursis suite au retrait de la plainte par l'épouse, cette jurisprudence représentait une grande première pour la justice marocaine : La reconnaissance de l'existence du viol conjugal. Mieux encore, « la Cour est convaincue que le crime de viol avec défloration est établi contre l'accusé... conformément aux articles 486 et 488 du code pénal », explique le jury de cette affaire dans sa décision publiée sur Legal Agenda. Rappelons que l'article 486 et 488, définissent le viol comme étant l'acte par lequel un homme a des relations sexuelles avec une femme contre le gré de celle-ci. Et il est puni de la réclusion de cinq à dix ans. Aussi, les châtiments varient en fonction de la situation familiale de la victime ou du fait qu'elle soit vierge ou non. « Le législateur désigne toutes les femmes et n'exclut pas la femme mariée, ce qui sous-tend que cette dernière est également concernée par l'application de la loi », conclut l'arrêt de la Cour d'appel de Tanger. Vide légal
Un argumentaire novateur et une initiative assez courageuse de la part des juges tangérois ; vu le vide légal concernant le viol conjugal. Une situation qui laisse beaucoup de marge de manœuvre aux maris violeurs. « Il faut dire que la loi marocaine n'incrimine pas clairement le viol conjugal. Il n'est même pas décrit ou identifié comme tel par les textes spécifiques et ça représente un véritable vide juridique », nous explique Maître Mohamed El Malki, avocat au barreau de Casablanca. D'après ce dernier, la rareté des affaires de ce genre contribue largement à cette situation de « stand by » légal. « Mais ce n'est pas parce que les cas manquent ! Le phénomène existe bel et bien et fait beaucoup de victimes mais ça reste un grand tabou », dénonce l'avocat. Même analyse de la part de Bouchra Abdou, directrice de l'association Tahadi pour l'égalité et la citoyenneté. « Les femmes n'osent pas en parler car estimant que leurs maris ont tous les droits sur leurs corps, qu'elles doivent être soumises à leurs désirs et qu'elles n'ont pas le droit de refuser de satisfaire leurs maris », nous explique Abdou. Poids du tabou
Recevant des victimes de violence et de viol au centre d'écoute de l'association, les assistantes sociales remarquent que « les femmes ne parlent de leur calvaire que lorsqu'elles sont victimes d'hémorragie, qu'elles sont blessées ou que le conjoint demande des pratiques jugées dépravées ou inacceptables (religieusement en particulier) », dévoile Bouchra Abdou en nous racontant le cas particulièrement désolant d'une jeune mariée violée par son mari lors de leur première nuit de noces. « Elle a été violée avec beaucoup de violence et transportée aux urgences dans un état grave. Et elle n'est la seule ! Nombreuses vivent ce calvaire au quotidien et n'osent même pas en parler autour d'elles », explique Abdou. Poids du Hchouma, honte et souvent incapacité de réagir sont autant de facteurs qui poussent les victimes à se réfugier dans le silence mais pas seulement... « Nombreuses sont inconscientes même qu'elles sont victimes de viol. Elles croient que leurs maris disposent entièrement de leurs corps, qu'ils peuvent en faire ce qu'ils veulent et quand ils veulent parce qu'ils sont liés par les liens du mariage », note Maître El Malki en fustigeant l'absence d'une culture de droits. De son côté Abdou, pointe du doigt, l'éducation sexuelle qui est aux abonnés absents. « Ces femmes, même adultes et mères de famille, ne connaissent pas ce que c'est une relation sexuelle « saine », n'ont aucune notion sur ce registre sans parler de leur droit en tant que femmes et autant que partenaires. Comment peuvent-elles réagir face aux viols à répétitions des maris agresseurs ? », analyse la féministe. Si la prise de conscience reste primordiale dans le démantèlement de ce tabou, prouver le viol conjugal est un véritable chemin de croix pour les victimes, comme l'affirme El Malki. « Si la victime surmonte ses peurs et les autres contraintes et dépose plainte, il va falloir prouver le viol. Ce dernier se passe souvent dans un espace privé, loin des yeux des témoins. Reste alors le recours au certificat médical et l'expertise médicale opérée à la demande de la police judicaire ou du tribunal », décrit l'avocat. Une procédure qui au-delà du courage requis pour l'entamer, est un processus de longue haleine. « Parfois même les juges n'acceptent pas ce genre de plaintes car estimant que tant qu'il y a acte de mariage, il n'y a pas lieu de viol. Les mentalités restent assez récalcitrantes pour reconsidérer ces actes comme étant un crime », explique l'avocat. Un véritable obstacle à la dénonciation du viol conjugal selon ce dernier. « D'ailleurs les rares fois où on évoque le viol conjugal dans les tribunaux, c'est dans les affaires de divorce, « chi9a9 » en particulier, comme l'une des raisons principales de la demande de divorce. C'est dire l'ampleur du phénomène », note maître El Malki. Chantage
Empoisonnant l'ambiance dans les foyers, le viol conjugal peut profondément affecter l'existence des femmes victimes mais aussi de leurs enfants. « En faisant nos investigations, on découvre que beaucoup de femmes mariées subissent différentes formes de violences conjugales matérielles et psychiques et qui sont en fait la traduction de violence sexuelle au sein du couple », alerte la directrice de Tahadi. Explication : Pour punir le refus ou le manque d'enthousiasme de leurs femmes pour des pratiques sexuelles inacceptables par ces dernières, certains maris vont jusqu'à couper les vivres. « Ils arrêtent carrément de jouer le rôle du père de famille pourvoyeur finançant les besoins du foyer et des enfants. Une violence matérielle sur fond d'une autre sexuelle. Un chantage d'une violence extrême », regrette-t-on auprès de Tahadi. Un triste vécu pour des victimes coincées entre le marteau et l'enclume. Sans sources, elles n'ont pas grand choix : Se résigner et subir en silence les assauts de maris violeurs ou se prononcer et voir leurs foyers éclater.