Ahmed charaï La pratique du noir est toujours en vogue, y compris sur le logement social, pourtant encadré par l'Etat. C'est une pratique qui handicape essentiellement les jeunes couples, obligés de différer l'accès à la propriété en attendant de constituer une épargne, pour payer le noir, celui-ci étant réputé non bancable, donc non finançable par le crédit. Les promoteurs ne cachent pas le recours à cette pratique, mais tentent de l'expliquer. Ainsi, dès l'achat du foncier, le processus est entamé. Le promoteur est obligé de céder à cette pratique et de payer une partie en noir au propriétaire foncier. «C'est la règle, sinon le terrain trouvera un autre acquéreur» dit un grand de l'immobilier. Ensuite, plusieurs corps de métier travaillant sur les chantiers, ne sont pas patentés. En clair, ils travaillent au noir. Le même patron explique : «Ce sont des métiers essentiellement informels. Si vous cherchez une entreprise structurée, vos coûts augmentent irrésistiblement et, à l'arrivée, à standing égal, vous n'êtes plus compétitif». Les promoteurs justifient donc le noir, comme moyen de récupération des coûts qu'ils ne peuvent imputer à leur bilan. Il y a un peu de vrai dans cette application. Elus, promoteurs : le règne de la corruption. L'une des solutions envisagées pour pacifier les rapports entre le fisc et les promoteurs est la création d'un guide des prix minimums en fonction de la situation géographique et du standing. Ce prix fixé par les deux parties servirait de base au service de l'enregistrement pour l'évaluation d'un bien au moment de sa vente. C'est une pratique en cours dans d'autres pays et qui permet un minimum de transparence. Le noir n'est pas la seule plaie du secteur. La corruption en est une autre. En particulier, dans les rapports avec l'administration et les élus. Terrains, autorisations, informations confidentielles, tout s'achète. Pire, certaines extensions du périmètre urbain se sont faites dans l'intérêt exclusif d'un promoteur qui avait pris le soin d'acheter les terrains concernés pour une bouchée de pain. Ces tares concernent les gros promoteurs, ceux en vue. Que dire de ceux qui s'enrichissent à la périphérie, souvent des coupe-file. Peut-on pour autant parler de mafia de l'immobilier ? Le terme est trop fort et injuste pour l'essentiel du métier. Ce secteur est au cur de toutes les relations, entre public et privé. Il subit par conséquence les incohérences, les défaillances, les dépravations de tout le système. C'est en le protégeant des pratiques malsaines de ses partenaires qu'on l'aidera à avancer sur le chemin de la transparence. Sans rêver non plus, parce que dans toutes les démocraties, les scandales immobiliers sont monnaie courante. Tout simplement parce qu'un document administratif vaut de l'or. Où s'arrêtera la machine ? Hakim Arif Ce n'est déjà plus la campagne et ce n'est pas encore la ville non plus. Des quartiers comme Lahraouiyine ne sont classables nulle part. Ils n'ont ni schéma directeur, ni logique urbaine ni encore moins d'espace de vie. Comment se sont-ils implantés ? En vertu de quelle loi ont-ils été construits ? Personne ne savait. Jusqu'au jour où une affaire d'habitat clandestin a éclaté au grand jour. C'était il y a des années déjà. Et cela se passait à Sidi Maârouf, dans le Grand Casablanca. Le précédent ayant été établi, on ne peut pas dire que les autorités ne savaient pas de quoi il retournait. Des années plus tard, on s'est aperçu qu'un quartier, à Casablanca toujours, était totalement illégal, Lahraouiyine. Ceux qui le connaissent savent que l'appellation populaire de ce quartier est Chichane, autrement les Tchétchènes. Cela donne déjà une idée de ce qu'il peut être. Mais ceux qui le traversent peuvent voir de quoi il s'agit au juste. Rien n'est fait comme il devrait l'être. Ni rues asphaltées, ni maisons réglementaires, ni commerces propres... Rien. Mais qui l'a implanté là ? La réponse à cette question est à rechercher désormais auprès de la Justice. A l'heure actuelle, 109 personnes dont des fonctionnaires de l'Intérieur, des gendarmes, des membres des forces auxiliaires, des élus et des présidents de conseils communaux sont poursuivis. Tous ces acteurs, auxquels s'ajoutent des promoteurs immobiliers informels sont poursuivis pour trafic d'influence, corruption, escroquerie et participation à l'escroquerie et réalisation de lotissements et constructions non autorisés. C'est la loi qui dira le dernier mot dans cette histoire. Mais ce ne sera pas tout. Il faudra se rendre compte que quelque chose ne va pas. Le ministère de l'Intérieur, censé tout savoir, n'a rien su depuis des années. Les ministres de l'intérieur qui se sont succédé n'ont jamais rien fait pour arrêter le massacre. Il a fallu que le Roi lui-même s'investisse dans l'affaire. Si le gouvernement n'avait pas été pressé par le souverain, personne ne sait s'il aurait ou non intervenu. En tout cas, Lahraouiyine n'est pas un cas isolé. Partout au Maroc, des quartiers illégaux sont bâtis. Où s'arrêtera la machine ? Comment le Maroc a lutté contre ses bidonvilles Karim Rachad Que fait l'Etat marocain pour venir à bout d'un fléau qui le touche de plein fouet depuis son indépendance ? Exode rural, saisons de sécheresse à répétition et déficit en logement qui augmente de jour en jour ont aggravé la situation. D'année en année, ce qui n'était que quelques «carrières» implantées uniquement dans les grandes villes du royaume s'est répandu à l'ensemble du territoire. Dès les années 70, le Maroc a mis en place des programmes de lutte contre ces baraques, sans qu'ils ne donnent leurs fruits. Et pour cause, la définition même de ces habitats, leurs emplacements et la manière d'identifier les bénéficiaires de ces programmes n'étaient pas très cernés. C'était à l'époque où le ministère de l'Intérieur s'occupait de ces tâches, même si le pays avait un département ministériel en charge de l'Habitat. Il a fallu attendre le milieu des années 90 pour voir lancer un programme ambitieux, mais dont l'objectif n'était pas clairement de pourvoir des logements en dur pour les bidonvillois. Il s'agit du programme 200.000 logements économiques lancé en 1995 par feu Hassan II. Officiellement, les objectifs tracés lors du lancement en 1995 ont été atteints. L'évaluation en a été faite en 2005. Ainsi, et sur dix ans, le programme 200.000 logements a concerné 3.493 projets, portant sur l'agrément de 243.762 logements. 78% ont été construits par les promoteurs privés contre 22% pour le secteur public. Ces logements ont touché plus de 60 villes, avec une grande concentration sur Casablanca. En plus, 70 % des logements agréés dans ce cadre sont occupés par des ménages ayant un revenu mensuel inférieur à 4.000 DH. 78% des ménages consultés dans le cadre de cette étude se sont dit satisfaits de leur logement. Pour ce qui est des effets économiques et sociaux, l'étude a relevé que ce programme a drainé 613 millions de DH d'investissements et a contribué à la création de 1.965 emplois par an. Mais concrètement, le pays a eu du mal à freiner la prolifération des bidonvilles. En 2003, 900.000 ménages marocains, soit quelque 5 millions de personnes et un tiers de la population urbaine, vivaient dans un logement précaire, dont 212.000 ménages en milieu urbain. Ces statistiques, rendues publiques à l'époque, ont eu l'effet d'un séisme sur les décideurs du pays. Il était clair pour le gouvernement, conduit à l'époque par l'ancien Premier ministre Driss Jettou, qu'il devenait urgent de mettre fin à la prolifération de ces quartiers d'habitat insalubre, avant de commencer à les éradiquer. Peu de temps après, les tragiques événements du 16 mai 2003 les consolident dans ce choix. Une année plus tard, le roi Mohammed VI lance officiellement un programme national de lutte contre ce fléau intitulé «Villes sans bidonvilles». C'était en juillet 2004. Ce programme national vise 83 contrats-villes pour permettre à quelque 298.000 ménages logeant dans des conditions insalubres d'accéder à un habitat décent. Et pour atteindre ces objectifs, l'Etat y a mis le paquet. En tout, la mise en application de ce programme nécessitera un budget global de 25 milliards de DH. L'Etat y participe à hauteur de 10 milliards de DH. A fin 2008, une trentaine de villes s'étaient débarrassées de leurs bidonvilles. Ainsi, 2009 s'annonce charnière dans ce sens puisque le ministre de l'Habitat, de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire a annoncé un objectif de trente nouvelles villes à construire durant l'année en cours. Le gouvernement a même fait appel aux nouvelles technologies dans cette guerre. La pierre angulaire de la réussite de «Villes sans bidonvilles» est d'arrêter l'hémorragie de l'habitat insalubre dans les différentes régions du Maroc. Pour suivre de plus près le développement de ces foyers d'insalubrité, le ministère de l'Habitat a eu recours aux images satellites. 35 villes sont ainsi concernées. Et parallèlement à ces efforts d'éradication, l'Etat a pris la décision, depuis le début des années 2000, de mettre à la disposition des opérateurs immobiliers, qu'ils soient publics ou privés, de grandes parcelles de terrains pour construire des logements destinés aux couches sociales les plus défavorisées. C'est que l'un des plus grands problèmes que devait affronter le secteur de l'habitat a toujours été la disponibilité d'une assiette foncière exploitable, essentiellement au sein des grandes villes. Ces dernières subissent une forte pression démographique et donc une demande croissante en logements. Entre 2003 et 2007, près de 9.400 ha appartenant à l'Etat ont été mobilisés pour de grands projets d'habitat et d'urbanisme sur deux tranches. Pour l'aménagement de ce foncier public (hors site, réseaux primaires), l'Etat puise dans ses réserves. Le FSH (Fonds solidarité habitat) a été mis à contribution pour des opérations à Agadir, Tanger (Al Irfan et Ibn Batouta), Taza (Al Wifaq), Tamansourt, Salé (Bouknadel), Tamesna, Fès, Casablanca (Salam Ahl Ghelam) et Kénitra. 3.700 hectares supplémentaires viennent d'être mobilisés cette semaine au profit d'Al Omrane. Il devrait contenir le nouveau programme de logements à 140.000 DH. La convention les concernant a été signée lundi 16 février devant le souverain. Cependant, un bémol existe toujours. La capitale économique du pays peine à réaliser les objectifs qui lui sont tracés. La métropole abrite à elle seule plus de 84.000 baraques. Lahrawiyine, ville rurale ! Le terme même de «bidonville» a été employé, pour la première fois à l'échelle mondiale, en 1953 à propos de Casablanca. Il veut dire littéralement des «maisons en bidons», c'est-à-dire un ensemble d'habitations construites avec des matériaux de récupération. Pourtant, la ville n'est pas directement concernée par «Villes sans bidonvilles». Elle a eu droit à un programme spécifique qui arrive à échéance en 2012. A noter qu'une société publique, Idmaj Sakane en l'occurrence, a été créée pour piloter ce programme. « La sanction est indispensable mais insuffisante» Omar Farkhani, président du Conseil national de l'ordre des architectes. Propos recueillis par Salaheddine Lemaizi L'observateur. La campagne que mène l'?tat contre l'habitat non réglementaire peut-elle porter ses fruits ?Omar Farkhani. : Oui, dans une certaine mesure. Si l'action s'inscrit dans la durée et si les coupables sont systématiquement réprimés, dans le respect de la loi, pour qu'on en finisse avec le sentiment d'impunité qui prévaut aujourd'hui. Ceci étant, ce n'est pas la sanction seule qui éradiquera ce type d'habitat : la fin de l'habitat «anarchique» est liée à une offre alternative en logements décents pour les plus démunis et surtout à l'augmentation du pouvoir d'achat des Marocains, et donc au développement économique du pays. Même dans les pays développés on constate une réapparition de l'habitat «anarchique» à chaque fois qu'une crise économique s'installe, que le chômage se développe et que le pouvoir d'achat baisse. La loi 04-04, qui renforce le contrôle en matière de lutte contre les habitations insalubres et prévoit des peines d'emprisonnement, peut-elle aider à stopper le phénomène? La publication du projet de loi 04-04 a fait l'objet d'une grande polémique à cause notamment de sa dimension répressive dans une société marocaine où l'appareil judiciaire pose encore problème. Par ailleurs, comme je l'ai déjà dit, la sanction systématique, dans le cadre de la loi, est indispensable pour éradiquer le sentiment d'impunité, mais insuffisante pour en finir avec l'«anarchie» dans la production de l'espace. Avez-vous été consultés en tant que professionnels dans la préparation de cette campagne ? Non. Probablement parce que l'habitat «anarchique» relève d'une problématique politique, judiciaire et économique. Ce n'est pas une problématique technique. Quel rôle peut jouer un architecte dans ce genre de campagne ? En tant qu'expert de l'aménagement de l'espace et en tant qu'homme de terrain, l'architecte peut accompagner et conseiller utilement les pouvoirs publics dans la définition structurelle des problèmes et dans l'élaboration de solutions pérennes. Il n'a pas de rôle à jouer dans les campagnes d'éradication. Aux royaumes de l'anarchie Salaheddine Lemaizi Quelle est la commune marocaine qui a mobilisé le temps d'une réunion tous les poids lourds du Maroc sécuritaire ? Ce n'est ni Nador avec ses réseaux de trafic de drogue, ni Salé avec ses quartiers salafistes. Mais bien Lahrawiyine, une petite commune péri-urbaine rurale dans les frontières Est de la région du Grand Casablanca. Le 5 janvier dernier s'est tenue au siège de la préfecture de Médiouna une réunion présidée par Chakib Benmoussa, en présence de Tawfik Hjira, Charqui Draiss, Housni Benslimane et Hamidou Laânigri. Ces responsables affichaient tous la ferme volonté de lutter contre l'habitat anarchique. Wafaâ Belarbi, une enseignante à l'Ecole nationale d'architecture (ENA) et qui effectue des recherches dans la commune de Lahrawiyine, tient à préciser que «dans cette commune, il n'y a pas lieu de parler d'habitat anarchique, il s'agit plutôt d'habitat non réglementaire qui ne date pas d'hier, boosté par les vagues successives de l'exode rural». La guerre est lancée La guerre de «Chichane» Les actions se mettent en place rapidement. Dès la fin de la réunion, le chef des affaires intérieures (DAG) de la préfecture et six agents d'autorité sont démis de leurs fonctions et poursuivis en justice. Le ministère de l'Intérieur annonce la démolition, en quelques jours, de 307 constructions et 25 dépôts. Pour mesurer l'ampleur de cette opération, il suffit de savoir que sur toute l'année 2008, près de 1.500 habitations non autorisées ont été détruites. Au fil des jours, des têtes tombent dans la région. Le nombre de responsables arrêtés atteindra 70 personnes. Parmi les personnes déférées devant le juge près la Cour d'appel de Casablanca, le 4 février dernier, 55 ont été placées en détention. Dans le lot, 4 caïds, 10 chiouks, 3 moukaddems, 9 gendarmes, 5 membres des forces auxiliaires, 6 agents préfectoraux, mais aussi 19 agents immobiliers. Tous doivent désormais répondre de trafic d'influence, de corruption, de construction sans permis et d'escroquerie. L'enquête, elle, n'est pas terminée et chaque jour de nouvelles têtes tombent. Le nombre de personnes interpellées a atteint 109. Un des moukaddems arrêtés a accumulé une fortune de 10 millions de DH. Un reportage de la deuxième chaîne publique marocaine 2M, tourné à l'aide d'une caméra cachée, révèle clairement la prédisposition d'un moukaddem à autoriser la construction d'un habitat anarchique. Après cette purge, tout le monde se demande à quoi peut bien ressembler cette commune. Notre enquête commence au boulevard Oued Eddahab, aux limites de la préfecture de Ben M'sik. Des champs agricoles annoncent la fin de l'urbain et le début du monde rural. La commune est délimitée par la zone industrielle de Moulay Rachid, le marché de gros, les abattoirs et une très grande casse. On passe devant ce qui semble être le centre de cette localité. Au milieu d'un décor anarchique, une bâtisse délabrée d'un jaune défraîchi abrite l'arrondissement de Lahrawiyine, une administration secouée par le scandale de l'habitat anarchique. On s'arrête à Hay Al Wahda, qui étrangement fait partie de l'arrondissement de Sbata. Les ruelles ne sont pas goudronnées, néanmoins il semble que les maisons de ce quartier soient dans les normes, du moins en apparence. Une source locale nous indique la maison d'un des plus anciens habitants du quartier «qui a fait fortune dans l'habitat anarchique». L'homme est un ancien conseiller communal. Aujourd'hui, il est éleveur de bétail, et ne cache pas sa profession. Il possède d'ailleurs deux étables. Le jour où nous allons à sa rencontre, il n'est pas disponible. C'est donc son fils qui nous accueille chaleureusement, mais lorsque nous abordons la question de l'habitat anarchique, le visage du jeune homme se crispe. Il clôt rapidement la discussion : «Vous pouvez voir du côté du Douar Chichane, ils ont détruit des baraques construites par des membres de la gendarmerie», lance-t-il avant de rentrer et fermer la porte de sa maison. L'ordre anarchique Chichane, le mot est lâché. Ce bidonville est un chef-lieu de l'habitat anarchique. C'est une ville à part entière où tout est sens dessus-dessous. Il est construite en deux parties : une «zone industrielle» et une «zone résidentielle». Du côté des habitations, les routes, le réseau d'assainissement, l'eau et l'électricité, n'existent pas. De plus, les pluies des dernières semaines compliquent la vie des «bidonvillois». A l'entrée du bidonville, les traces des dernières démolitions dont les habitants parlent discrètement sont encore visibles. Au fil de la discussion les langues se délient. Devant les ruines d'une baraque, un jeune affirme : «Cette baraque a été construite en septembre dernier par un membre des forces auxiliaires, il l'a louée à de nouveaux arrivants». Le bidonville est si grand que pour se déplacer il faut prendre une charrette. Un propriétaire de ce moyen de locomotion nous invite à faire le tour du bidonville. «Un sandouk (une baraque) coûte 70.000 DH avec les autorisations officielles. Chaque matin, des baraques se créaient, personne ne disait rien. Tout le monde vivait de ce système avec la bénédiction du makhzen», nous confie un passager de la charrette. Ce modus vivendi a fait des dégâts et a créé une ville anarchique. La «zone industrielle» de Chichane est aussi anarchique que sa «zone résidentielle». Elle se compose d'ateliers de confection, de dépôts de bois et de madriers pour la construction, de stockage d'objets en plastique collectés sur le territoire de Casablanca, sans oublier les étables. Dans cette partie de Chichane, une économie totalement informelle et ostentatoirement prospère s'est développée. En témoignent les voitures de luxe qui stationnent devant certains dépôts. Qui dit anarchie, dit illégalité. Et ce bidonville est une plaque tournante du trafic de drogue. Les dealers casablancais viennent y faire leurs provisions de haschisch et de karkoubi. La campagne en cours sonne-t-elle le glas de cette «ville» hors-la-loi? Les nouveaux royaumes Bien au contraire, surtout avec des campagnes sporadiques de démolition, marquées d'ailleurs par de tragiques incidents. Tout le monde se rappelle la mort d'Othmane Zaâri, âgé de 10 ans, au moment de la démolition d'une chambre anarchique dans la baraque familiale à Douar Al Aâtikine dans la commune de Dar Bouazza. Cette mort avait soulevé un tollé et les agents de l'autorité avaient été pointés du doigt à l'époque. Cette campagne ne s'est pas limitée à Mediouna, elle touche désormais plusieurs communes de la région du Grand Casablanca. Jeudi 13 février, dans la préfecture de Nouacer, les autorités locales ont procédé à la démolition de plusieurs hangars qui appartiennent à de grandes sociétés. Une opération coup de poing a eu lieu également dans la commune de Chelalat à Mohammedia, et plusieurs responsables ont été également arrêtés dans cette nouvelle affaire. Néanmoins, un observateur de la chose locale à Mediouna qui a requis l'anonymat tempère : «L'Intérieur a gagné une bataille, mais pas la guerre. Le travail fait jusqu'ici est très bon, mais il faut continuer car d'autres citadelles de l'habitat anarchique prospèrent au même moment». Cet homme pointe du doigt d'autres communes : «Il faut voir ce qui se passe au quartier Rhamna à Tit Mellil, ou à Mejjatiya Ouled Taleb et surtout à Sidi Hajaj Oued Hassar. Ces communes rurales sur papier sont en train de se transformer en de véritables villes, mais sans plan d'aménagement, sans raccordement aux réseaux d'eau, d'électricité et d'assainissement». Dans le document de présentation du Schéma directeur d'aménagement urbain (SDAU), on peut lire que parmi les choix urbanistiques stratégiques figure «la mise en place d'une politique sociale de rééquilibrage à l'Est, notamment à Sidi Moumen avec le grand stade et la restructuration de l'habitat, de même qu'à Lahrawiyine», une position tout à fait juste au vu de la situation de ce côté de la région de Casablanca. Le SDAU a une autre priorité stratégique: «la définition d'une trame régionale d'espaces ouverts non urbanisables, constituée du réseau des forêts, des lits d'oued, des espaces côtiers protégés, des espaces agricoles à haut rendement, des zones inondables, des coupures vertes entre industrie et habitat, et des liaisons vertes entre ces différents espaces». Concrétiser ce vu sera très difficile, surtout quand on connaît la situation d'urbanisation - anarchique bien sûr - qui règne sur le territoire de l'une des terres les plus fertiles de la région, à savoir Lahrawiyine. La lutte contre l'habitat anarchique est aussi une lutte pour préserver un minimum vital d'écologie à Casablanca. Lahrawiyine, ville rurale ! Selon le dernier découpage communal de la région du Grand Casablanca, Lahrawiyine est considérée comme une commune péri-urbaine rurale. Elle concentre environ 52.862 habitants selon le recensement de 2004. Chaque famille se compose en moyenne de cinq personnes. Le taux d'analphabétisme y est élevé : 50,2% chez les femmes et 31,1 % chez les hommes. «Suite à plusieurs découpages administratifs, cette commune est passée d'un simple douar relevant de la commune de Tit Mellil à une commune de 1.792 ha abritant 10.806 ménages faisant partie de la province de Médiouna», écrit Wafae Belarbi, enseignante à l'Ecole nationale d'architecture de Rabat. Cette architecte, qui a réalisé une étude sur cette commune, ajoute : «Lahrawiyine concentre 18 douars, qui, selon leur niveau d'ancienneté, regroupent des bâtiments et des bidonvilles d'un degré de précarité variable. L'année 1996 constitue un tournant dans l'histoire de Lahrawiyine, par le biais de la mutation socio-spatiale qu'a connue la commune et les évènements émeutiers qui s'y sont déroulés pendant cette époque». La population, qui a plus que triplé entre 1994 et 2004, reste un indicateur très caractéristique de la rapidité de fabrication de la zone. La population jeune dans cette zone est importante, 35,7 % de la population ont moins de 14 ans. Les indicateurs que présente cette chercheuse se trouvent à des années-lumière des quartiers du centre de Casablanca. Selon l'étude, «il y a une différence nette qui existe entre les deux sexes en matière de scolarisation. Cette différenciation est surtout due aux contraintes de sécurité et d'accès à l'école, ainsi qu'au phénomène du mariage précoce qui touche les jeunes filles de la commune».