Après Marock, qui a fait beaucoup de bruit après sa sortie dans le pays en 2006, Leïla Marrakchi revient avec un autre long-métrage : Rock the casbah. Ce titre est emprunté à la chanson mythique du groupe The Clash lancée contre l'interdiction de la musique rock en Iran sous l'Ayatollah Khomeini. Voilà qui pourrait laisser penser à un Marock II. « Faux ! », clame la réalisatrice. Dans son nouveau film qui a été tourné à Tanger, elle affirme proposer plutôt un débat de fond sur certains problèmes dont souffrent des femmes marocaines. La mort d'un patriarche est racontée avec humour et poésie, à travers les confidences intimes de « ses » femmes. Mais, est-on bien loin de Marock, surtout quand on retrouve l'héroïne de ce film, Morjana Alaoui, exprimant le même refus du conformisme et de la soumission dans Rock the casbah ? Entretien. L'Observateur du Maroc. Pourquoi ce titre : « Rock the casbah » ? Leïla Marrakchi. C'était mon titre de travail depuis le départ. Et puis, c'est une chanson contestataire de The clash écrite à l'époque de Khomeiny qui avait interdit le rock. C'est une sorte d'hymne à la liberté. Voilà qui a donné d'entrée de jeu un aspect contestataire à votre film. Etait-ce là votre but ? C'est sûr que le film porte une sorte de contestation, mais d'une manière beaucoup poétique et drôle que virulente. En clair, Rock the casbah est moins rock que la chanson éponyme même s'il y a des thématiques à problèmes qui sont abordés comme l'héritage, le désarroi de certaines femmes, le non-dit, la transgression... Par ces messages qu'il véhicule, Rock the casbah ne s'inscrit-il pas dans la continuité de Marock ? Pas complètement. Le nouveau film aborde, avec humour et tendresse, des sujets de fond sur la société marocaine loin de toute provocation. En fait, j'avais un projet qui était vraiment en totale rupture avec Marock puisqu'il devait raconter l'histoire de la famille Oufkir, mais qui ne s'est pas fait. Comme j'avais Rock the casbah au fond du tiroir et que j'avais en tête l'idée qu'il porte depuis un moment, je suis revenu à ce film. D'abord parce que j'avais bien envie de raconter cette histoire. Puis, j'y parle d'un milieu que je connais bien et que j'avais envie d'explorer différemment. Autant Marock c'était l'adolescence, autant là, c'est plus l'âge adulte. C'est quand même autre chose. Mon choix a été de rester dans une fiction. Le seul moment où on dénonce quelque chose, c'est à propos de l'héritage. C'est donc plus sociologique. C'est plus un film sur l'intimité de ces femmes, leurs contradictions, leurs paradoxes, à travers un évènement où on est tous fragilisés en tant qu'être humain et on est, malgré tout, capables de rire de n'importe quoi et de faire n'importe quoi. Mon but était de retranscrire un film humain qui soit dans l'émotion. J'ai voulu montrer notre rapport avec la mort. Surtout que les morts sont toujours là avec les vivants. J'ai voulu aussi montrer autre chose à un public occidental. C'est surtout une histoire de femmes. Le seul homme dominant était le patriarche et vous l'avez tué... Votre commentaire ? C'est vrai que le seul homme qui était omniprésent, même mort, c'était le père et qui a tué un peu les autres hommes. C'est quand il meurt que tout bascule et que les femmes prennent la parole et qu'on voit que l'ordre établi est en train de changer… C'est là que chacune remet en question sa vie. Il fallait tuer le père pour que « ses » femmes existent et puissent trouver leur place. C'est aussi une sorte de métaphore sur le printemps arabe. Mais au-delà de la présence des hommes que je mets en arrière plan, c'est un film sur la conjugalité, sur le rapport homme-femme. Il pose la question de la place "Mort à vendre" du couple dans une famille marocaine. Je parle du couple qui s'aime... C'est quelque chose qu'on ne voit pas énormément. C'est compliqué dans notre culture. Il n'est vraiment vécu que dans l'intimité. On peut être père ou mère d'une famille, mais quelle est la relation de l'homme et la femme et quel est son rapport au couple ? C'était aussi cela mon questionnement. Puisque vous l'aviez sorti du tiroir, Rock the casbah est-il un film de substitution ? Pas du tout. C'est un projet longuement réfléchi. C'est un film personnel que j'ai pris à bras le corps. Même s'il a été rapidement terminé, il a nécessité tout de même deux ans de travail entre l'écriture du scénario et la fabrication. Vous dites qu'on est loin de Marock, mais on reste quand même dans le même milieu bourgeois... Sur ce sujet, il n'y a pas tant de films que cela au Maroc. Et ils sont nombreux les réalisateurs qui explorent les mêmes thèmes, les mêmes milieux et les mêmes univers dans leurs films. N'est-ce pas limitatif comme regard sur la société marocaine ? C'est un regard parmi d'autres. On ne peut pas brosser en un film la société marocaine qui est bien complexe que cela. Plusieurs regards sont nécessaires pour en avoir une vision globale. Serait-ce là alors les contours de ce qui est et sera votre signature ? Après ces deux films, j'ai vraiment envie d'explorer autre chose et puis surtout de me confronter à autre chose. C'est comme ça qu'on grandit.