Interview avec Dr Bouazza Kherrati, Président de la FMDC L'Observateur du Maroc. Qu'est-ce qui vous fait dire que la fraude touche la qualité du pain, les conditions de sa fabrication et de sa distribution ? Dr Bouazza Kherrati . Certaines pâtisseries et autres boulangeries usent d'astuces et d'artifices pour rendre le pain le plus cher possible. Ils jouent sur le poids, la couleur et la forme du pain. En outre, ils font payer au prix fort les quelques ingrédients rajoutés comme les olives, graines de sésame, raisins secs, beurre, sucre, lait, anis de badiane... Tout cela pour tenter de justifier des prix qui sont parfois exorbitants. Il se trouve que le pain basique, d'un poids de 200g, est vendu à 2,50 DH au lieu de 1,20 DH par l'adjonction parfois d'une légère couche de semoule. De nombreuses appellations européennes de pain ont été aussi introduites à des prix variant entre 2,50 et 6 DH, voire 9 DH. Quelques boulangeries, dites haut de gamme, présentent des pâtisseries à des prix hors de portée, mais surtout sans commune mesure avec les coûts de production. L'aubaine des pâtissiers-boulangers reste toujours le mois de Ramadan où toutes les dérives sont permises. Le consommateur moyen se trouve doublement arnaqué. D'abord au titre de la subvention qu'il a supportée et qui profite aux classes aisées, ensuite du fait des prix élevés et indûment justifiés des pains proposés. A l'évidence, le système fonctionne uniquement pour ceux qui savent l'adapter à leurs besoins pour en tirer le maximum de profit. Pour preuve, quand les prix de la farine de blé tendre chutent, aucune mesure corrective n'est adoptée ni par les professionnels, ni par l'Etat. Comment l'Etat a-t-il failli à son rôle de contrôleur dans ce secteur ? Le référentiel législatif, réglementaire et normatif au Maroc est très étoffé pour les produits de la minoterie industrielle et dérivés. En matière de fraude, les dispositions de la loi 13-83 restent toujours en vigueur et le Décret n° 2-74-614 du 15 janvier 1975 définit les dénominations de vente des types de pain fabriqués par les boulangers suivant le mode de panification européenne (BO n° 3250 du 12/02/1975). Ceci en laissant sévir l'anarchie pour tout le reste. Alors, sans le contrôle de l'Etat, le consommateur lambda ne peut se rendre compte des tricheries. Pire, sous l'ancien gouvernement, une étude du prix du pain a été effectuée en collaboration avec les professionnels et les résultats ont démontré que le pain rond d'un 1,20 DH atteint des prix allant de 1,30 à 1.50 DH selon les régions. Devant cette réalité, le gouvernement avait opté pour la politique de l'Autriche : laisser faire les professionnels en trichant sur le poids et ne point augmenter le prix. Par ailleurs, en 2011, les autorités compétentes de contrôle avaient entrepris une étude sur les boulangeries au Maroc. Cette étude a été avortée dans l'œuf. Quelles seront les retombées socio-économiques si la réforme de la caisse de compensation touchait à la farine nationale ? L'actuel gouvernement a déclaré vouloir asseoir une meilleure transparence et une plus grande concurrence entre les minoteries à travers la libéralisation de la filière du blé tendre. Il veut aussi insérer le secteur meunier dans la mouvance de la libéralisation. La réflexion est également lancée concernant un nouveau mode de fabrication du contingent et la création de conditions favorables. Même la question des frais et marges alloués à la fabrication et à la distribution de cette farine a été posée. Ce sont là des objectifs nobles et nous soutenons le gouvernement pour la libéralisation progressive de la totalité des prix des farines. Bien sûr, la crainte serait de voir les prix flamber. Il faut savoir que pour certaines tranches de la population marocaine, le pain représente la composante principale des repas. Les conséquences d'un surenchérissement de cette denrée sont donc imprévisibles. A notre sens, la subvention pour ce secteur particulier n'est qu'une forme parmi d'autres de la rente qui mine depuis belle lurette l'économie marocaine. En conséquence, les retombées de la libéralisation n'auront aucun effet socio-économique. Aussi, l'actuel gouvernement est-il appelé à la mise en place et en priorité d'un plan national pour la lutte contre le gaspillage des produits subventionnés et plus particulièrement le pain. Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que le prix du pain est intimement lié au prix de l'énergie (électricité, butane, etc.) et non pas à celui de la farine. Si le prix reste faible, nous continuerons de voir de grandes quantités de pain et autres dérivés (couscous, pâtes,...) jetées quotidiennement dans les poubelles. Et c'est dommage !