Un déjeuner a réuni les chioukhs de la Salafiya, récemment libérés, au gotha de la classe politique, à l'exception notable du Parti du chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, qui, nous diton, a décliné l'invitation. Depuis leur sortie de prison, les chefs salafistes multiplient les contacts avec les politiques et les sorties publiques. Ils ne cachent pas leur désir d'intégrer le jeu politique. Mohamed Fizazi a d'ailleurs déjà annoncé sa volonté de créer un parti et une association. C'est une question sérieuse qui se pose à la construction démocratique. Peut-on accepter la création de partis politiques religieux ? Selon la constitution, la nouvelle comme l'ancienne, la réponse est non, puisque l'Islam est censé être un référent identitaire commun. Politiquement cela constituerait un danger grave, celui de voir le religieux, qui est de l'ordre de l'absolu, prendre le pas sur la compétition démocratique, par essence très relative. Le débat public serait censuré par les religieux, avortant toute compétition autour de politiques publiques et ne laissant place qu'aux discours théologiques. A terme, cela mettrait tous les choix du Maroc et le projet national en danger. Le PJD a réussi sa mue, en laissant la prédication au MUR et en se comportant en parti politique. Malgré cette normalisation, les sorties de quelques-uns de ses cadors, sur la question des femmes, sur les libertés individuelles ou sur la création artistique, prouvent la difficile distinction entre le politique et le religieux pour ce parti. Mais jusque-là, Abdelilah Benkirane l'a réussie. Intégrer les Salafistes dans le jeu politique serait une erreur, de notre point de vue. Ce courant existe dans la société, mais il faut qu'il soit confiné à la prédication, ce qu'il fait pendant plus d'une décennie, avant de s'exprimer sur l'espace public avec l'élargissement des libertés démocratiques. Ce confinement doit être consensuel dans l'intérêt du pays et de la démocratie. Le choix qui semble se dessiner, celui d'autoriser les partis religieux dès qu'ils font allégeance à la commanderie des croyants, ne nous paraît pas judicieux. Nous nous retrouverons bientôt, puisque l'on annonce la «re-légalisation » du Badil El Hadari et du parti de la Oumma, avec un groupe de partis islamistes dont les nuances ne portent pas sur la gestion publique, mais sur les interprétations de l'Islam. On voit dès lors que l'espace public sera phagocyté par des débats théologiques qui n'ont pas lieu d'être. La commanderie des croyants est, constitutionnellement, garante de l'unité du rite. L'introduction de partis islamistes dans le jeu politique aboutit non pas au renforcement des institutions, y compris religieuses, mais à leur remise en question en les soumettant, de manière intempestive, au débat public, et en excluant de facto la compétition démocratique.